« The voices » : chat méchant mais chien bon et c’est épatant!

A  voir à Madiana

the_voices-400— Par Roland Sabra —

Selon la légende cette Princesse rouge est fille d’aristocrates proches des milieux communistes, son oncle Annouche, dirigeant du Toudeh, le Parti Communiste, sera exécuté pour ses opinions politiques par le régime des ayatollahs. Mythe ou réalité ? Peu importe le conte, si c’en est un, est à la hauteur de son talent. Elle est avec certitude auteure de bande dessinée dont elle réalise le scénario et le dessin, elle est peintre et réalisatrice de quatre films qui ont fait et qui feront date dans l’histoire du cinéma et ce dans des registres très différents.
Entre 2000 et 2003 elle édite les quatre tomes d’une bande dessinée, réunis en un seul volume en 2007 que celles et ceux qui s’intéressent aux arts graphiques ont forcément dans leur bibliothèque. La même année elle en fera un film, Prix du Jury au Festival de Cannes, deux fois « Césarisés » en 2008 : Persépolis. Entre temps elle obtiendra le Prix du meilleur album du festival d’Angoulême pour Poulet aux prunes dont elle fera un film en 2011. Elle est franco-iranienne et sa dernière œuvre cinématographique a été financés par les studios étasuniens. Elle a quarante six ans et c’est une femme libre. Pour qui en doute il suffit de lire une seule interview et il découvrira une liberté de ton et une intelligence rafraîchissante. Elle, c’est donc Marjane Satrapi. Elle nous offre aujourd’hui un joli cadeau complètement déjanté : « The Voices ».

Jerry travaille au service expédition d’une fabrique de baignoires en polyester perdue dans un trou du cul du diable étasunien. Son chef de service le charge de la sono pour la fête annuelle de l’entreprise. Lors des réunion préparatoires, en dehors des heures de boulot, il tombe raide amoureux de Fiona, une employée du service de comptabilité, qui l’avait bien allumé. Chez lui la tête en feu, ou autre chose, il confie à son chat et a son chien ses états d’âme. Jusque là rien de très banal. En effet qui n’a jamais parlé à son chat ou à son chien ? Sauf que là le chat et le chien répondent à leur maître, commentent et délivrent des conseils pas toujours avisés. Jerry entend des voix ! Si la voix du chien Bosco incarne la bonté celle de Monsieur Moustache, le chat, le pousse à franchir dans la démesure la ligne du meurtre. Jerry dérape dans un feu d’artifice d’hémoglobine, de boites de plastiques transparentes remplies d’organes et de têtes parlantes entreposées dans le réfrigérateur ! Jerry est un serial killer sans le faire exprès, d’ailleurs il ne recherche pas ses victimes, elles viennent d’elle-mêmes se jeter dans les bras de ce grand gamin timide et meurtrier malhabile qui tente vainement de résoudre une équation insoluble, celle d’une adaptation impossible à une réalité obérée par une enfance placée sous la tutelle de Manea, cette fille putative des Érinyes. Au delà de la surabondance d’excès et de débordements baroques, sans avoir l’air d’y toucher le film aborde les thèmes de la responsabilité pénale d’un malade mental, celui de l’innocence d’un enfant bafoué, de l’agir d’un individu placé sous médocs avec pour toile de fond la morale et la justice.
Marjane Satrapi ballade avec maestria le spectateur de scènes gores en scène intimistes, de franches rigolades en saisissements d’effroi, sans que jamais le comportement de Jerry n’apparaisse comme déterminé par une stratégie perverse. L’empathie qu’elle manifeste pour son personnage principal lui fait traverser avec légèreté les genres cinématographiques : comique, horreur, fantastique et comédie musicale. La direction artistique d’une grande finesse conduit l’acteur principal Ryan Reynolds sur le fil du rasoir dans un rôle de paumé incrédule d’une grande sensibilité, somme toute attachante. La réalisatrice a gardé du film d’animation un goût pour les couleurs tranchées comme celle du bowling ou de l’usine, pour les scènes cocasses, comme celle d’un ballet dansé de chariots élévateurs qui entassent les colis de baignoires tout comme Jerry superpose sur son plan de travail les tupperwares dans lesquels il conserve les restes de ses rencontres. La caméra balance entre mouvements d’épaule et plan fixes et à l’instar des épisodes d’intranquillité et de relatifs apaisements qui saisissent tour à tour Jerry.
On n’a pas fini d’entendre parler de Marjane Satrapi et c’est tant mieux!
Fort-de-France, le 18-03-2015
R.S.