— par Selim Lander —
La Fondation Clément à la Martinique organise à côté des expositions mettant en valeur les artistes caribéens contemporains des événements prestigieux en relation avec d’autres institutions. Après Télémaque et Le Geste et la Matière avec le Musée Pompidou (2016 et 2017), Afrique (2108 avec la Fondation Dapper), Révélation ! (2025 avec la République du Bénin) c’est cette fois d’un retour aux sources les plus lointaines de la création dans l’archipel caribéen qu’il est question, en collaboration avec le Musée du Quai Branly. Plus de 300 pièces sont rassemblées en provenance des collections européennes mais aussi bien américaines, dominicaines, portoricaines, guadeloupéennes et bien sûr martiniquaises, sous le commissariat d’un ancien directeur du Musée de l’Homme, André Delpuech qui signe plusieurs articles du catalogue.
Les catalogues sont souvent comme ces beaux livres qu’on range dans un coin pour ne plus les consulter. Celui de cette exposition devrait connaître un sort différent et devenir un ouvrage de référence concernant une ou plutôt des civilisations à propos desquelles on manquait jusqu’ici cruellement d’informations aisément accessibles, sachant que ni le livre ni l’exposition ne pourront lever tous les secrets de sociétés sans écriture et dont les seuls témoignages dont nous disposions par les récits des premiers colonisateurs (soldats ou plus souvent membres du clergé) ne portent que sur la période la plus récente de leur histoire, comme celui du Père Breton (1665), lequel a laissé de précieuses informations et même un dictionnaire callinago-français.
« Callinago » car, comme le relate Breton : « J’ai appris par les capitaines de l’île de la Dominique que les mots Galibi et Caraïbe étaient les noms que les Européens leur avaient donnés et que leur véritable nom était Callinago ». Les Callinagos – ou suivant la graphie moderne, les Kalinagos – étaient les habitants des Petites Antilles tandis que les Taïnos (autrement appelés Arawaks) habitaient les Grandes Antilles. Tous venaient d’Amérique du Sud (vallée de l’Orénoque, Guyane en particulier). Les Kalinagos, derniers arrivés, étaient semble-t-il un peuple particulièrement guerrier et accessoirement cannibale qui aurait repoussé les Taïnos un peu plus pacifiques vers le Nord de l’arc antillais. De fait, parmi les œuvres exposées les poteries et les pierres sculptées par les Taïnos se remarquent par leur raffinement, alors que les artefacts attribués aux Kalinagos qui sont arrivés jusqu’à nous sont plutôt liés à la guerre, en particulier des têtes de hache en pierre ou des massues en bois.
Les œuvres héritées des Taïnos, participent de la culture dite « saladero », caractérisée par ses poteries, née dans la vallée de l’Orénoque vers 2500 av. J.-C. et qui s’est répandue aux Antilles à partir du Ve siècle av. J.-C. A côté des nombreuses poteries leurs artefacts sont souvent liées à des rituels comme ceux de la drogue hallucinogène dite « cohoba » (anadenanthera peregrina), parmi lesquels d’étonnantes spatules vomitives aux poignées sculptés représentant des figures zoomorphes ou des figures humaines à la tête de crâne et de mystérieux « colliers » en pierre semblant associés au jeu de balle nommé « batey ».
L’exposition s’ouvre sur un « trigonolithe » – mot formé à partir du grec trigonos (trois angles) et lithos (pierre), donc un objet lithique pourvu de trois pointes – un « zemi », c’est-à-dire un artefact magique représentant un esprit ancestral ou un dieu. On explique parfois que les trois pointes agissaient respectivement sur les cultures, sur les accouchements et sur la présence du soleil et de l’eau. Le plus spectaculaire (photographié ici de face) qui porte un visage anthropomorphe et qui vient de la République dominicaine mesure 17×12 cm.
Le visiteur peut admirer bien d’autres œuvres dont la qualité plastique le surprendra sans doute, des sièges cérémoniels (« duho ») aux nombreuses représentations de crânes, aux objets en vannerie, aux parures. L’exposition réserve également des espaces plus réduits aux contacts avec la civilisation européenne, aux descendants contemporains des peuples premiers antillais (Kalinagos de la Dominique et Garifunas de Saint-Vincent), enfin aux influences des créations des peuples premiers sur les artistes contemporaine en Caraïbe. Ainsi la toile du peintre haïtien Zéphirin représentant la pendaison de la princesse rebelle Anacoana (1503). Les Européens y sont représentés avec des têtes d’animaux, juste retour des choses puisque les explorateurs européens crurent parfois apercevoir des cynocéphales chez les « sauvages » !
Aux origines de la Caraïbe, Taïnos & Kalinagos, Fondation Clément, Le François, Martinique du 14 décembre 2025 au 15 mars 2026.
Catalogue sous la direction d’André Delpuech, commissaire, avec le concours de Stephen Rostain et Benoît Roux, Bordeaux, HC-Éditions, Fondation Clément et Musée du Quai Branly, 2025, 240 p., 25 €.

