« Suzy & Franck » : une réussite en force et délicatesse!

— Par Roland Sabra —

C’eut été mal connaître Didier Poiteaux et Olivier Lenel que de croire qu’ils allaient nous embarquer dans une conférence théâtralisée sur le thème toujours aussi clivant, de la peine de mort. Abolie en France en septembre 1981 par l’Assemblée nationale à la suite d’un texte de loi présenté par Robert Badinter elle a toujours ses partisans, qui nostalgiques, l’évoquent le plus souvent à mots couverts: il est des désirs peu glorieux, honteux, sordides. Un quart des pays du monde, et parmi eux les plus peuplés se vautrent encore dans son lit. Trois jours avant la représentation de la pièce à Fort-de-France, l’Arabie saoudite exécutait 81 prisonniers.

« Suzy et Franck » nous évite la longue litanie de ces assassinats maquillés sous le manteau de la « légalité ». Le travail présenté se construit autour d’une docu-fiction théâtrale qui mêle étroitement faits réels et faits imaginés au service d’une présentation certes alerte et passionnée, mais avant tout animée d’un souci constant, celui de transmettre au plus près du public ce qu’il voulait lui dire. La recherche de proximité, pour ne pas dire d’intimité prend concrètement la forme d’un placement des spectateurs qui échappe aux deux dispositifs les plus connus et les plus pratiqués, le face à face et le bi-frontal. Didier Poiteaux et Olivier Lenel installent en effet le public sur les deux côtés d’un carré avec un jeu de scène qui favorise aucun d’entre eux. Mais c’est surtout par la dialectique humanisation/déshumanisation, qui traverse le propos de part en part que le spectateur est impliqué au plus profond de lui-même dans ce qui est raconté. Le récit de la réanimation d’un condamné qui s’était suicidé et que l’on fait revenir à la vie par force de moyens, afin de pouvoir l’exécuter dans l’heure d’après est bouleversant. Ce n’est pas tant la mort du condamné que la machine étatique recherche, que les moyens par lesquels elle est obtenue. Le suicide réussi du condamné la priverait de la jouissance de l’exécution. Hors de question que le coupable échappe à la vengeance d’un ordre social qui toute honte bue se délecte d’un sadisme de bon aloi. Ce rappel de faits réels, s’enroulent autour de la narration d’un échange épistolaire qui deviendra histoire d’amour entre Suzy, une française, et Franck, un prisonnier américain du Texas promis à la mort. Didier Poiteaux nous fait nous identifier à cette femme qui au commencement de l’histoire choisit par hasard le prisonnier avec lequel elle se propose d’échanger. Plutôt que de se pencher sur le crime réalisé elle s’intéresse à la personne qui l’a commis. Du crime accompli le spectateur ne saura rien. Didier « Suzy » cherche à comprendre, et nous rappelle avec force tout criminel est  avant tout un homme et que nul ne se résume à ses actes.

La narration se déroule avec une simplicité apparente, provocant chez le spectateur un dialogue qui naît de la (re)connaissance plus ou moins ambiguë qu’il a des propos, des sentiments exposés et qui le traverse.

Ce travail chaleureusement salué par la critique est intemporel. Il a donc, hélas pourrait-on dire, une longue carrière devant lui. On ne peut que lui souhaiter de faire le tour de toutes les écoles du monde entier et être frapper d’obsolescence au plus vite. Vœux pieux sans aucun doute!

Fort-de-France, le 18/03/2022

R.S.