Étiquette : Gérald Tenenbaum

« Les Rues parallèles », de Gérald Tenenbaum

— Par Michèle Bigot —

Il en va pour un recueil de nouvelles comme pour un recueil de poèmes : c’est l’architecture de l’ensemble qui constitue le sens. Telle pièce prise séparément revêtira une signification et une portée très différente de la même pièce composée dans un ensemble, où sa place dans le recueil, son voisinage, ses effets d’écho avec des morceaux complémentaires ou opposés jetteront sur elle un éclairage nouveau. C’est peut-être encore plus vrai pour un recueil de nouvelles, compte tenu du fait que la brièveté, l’ellipse et la déceptivité sont constitutifs du genre. Que dire alors d’un recueil de nouvelles qui se place sinon en ultime position dans l’œuvre du moins à la suite de nombreux romans et essais ? Il en reçoit lui-même un éclairage spécifique.

Il en va ainsi du dernier ouvrage de Gérald Tenenbaum, dans lequel les lecteurs avertis reconnaîtront les échos des livres précédents, une série d’harmoniques. Sans toutefois que les nouveaux lecteurs y trouvent gêne ou embarras. Ils seront aussi bien gagnés par la magie mélancolique de l’ouvrage, dans lequel ils reconnaîtront la descendance d’un Meyrink, d’un Kafka, ou d’un Borges.

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L’Affaire Pavel Stein, Gérald Tenenbaum, éditions Cohen&Cohen

— Par Michèle Bigot —

« En matière de révolte, aucun de nous ne doit avoir besoin d’ancêtres », cette épigraphe d’André Breton ouvre le roman sur une énigme. Quelle révolte, qui est révolté et contre quoi? Mais il se pourrait que la révolte n’ait pas nécessairement besoin d’un objet, qu’elle soit un état de l’esprit. Voyons donc…

La matière du roman est matière fluide. Une femme écrit. Une femme parle. Choc de la première phrase: « Je déteste porter des collants lorsque j’ai mes règles ». D’emblée, le narrateur-auteur est invité à disparaître, au moins en tant qu’homme. Et Paula, puisque c’est elle qui agit, se lance dans un récit. Rétrospectif et personnel. La scène de l’écriture (qui ouvre et clôt le récit) intervient quelque vingt ans après la scène de l’histoire. Fluidité dans la temporalité (allers-retours de la mémoire) et fluidité dans l’identité. Est-ce la même Paula, la jeune journaliste un peu candide qui fait la rencontre de Pavel Stein pour l’interviewer, et la femme mûre qui mène son deuil par l’écriture?

C’est donc l’histoire d’une rencontre amoureuse. On se demande si Breton aurait apprécié!

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« Les Harmoniques » de Gérald Tenenbaum

— Par Michèle Bigot —
Gérald Tenenbaum
ISBN : 2815921170
Éditeur : Nouvelles éditions de l’Aube (03/02/2017)

« Aucun son naturel n’est simple : il résulte de la combinaison d’un son principal, fondamental et d’un grand nombre d’harmoniques qui déterminent son timbre ». Aucun roman authentique n’est simple : il résulte de la combinaison d’un certain nombre d’intrigues qui déterminent son épaisseur. Le spectre harmonique de ce roman, son timbre, c’est la recherche des disparus. L’accord entre les hommes (et les femmes) naît de cet ajustement entre leurs recherches. Et pour mener à bien cette quête, on se déguise, on échange les rôles. On se ressemble, on s’assemble, on se conjugue : Keïla est la jumelle de Nayla. L’amitié est une forme de gémellité : Belen et Keïla, Samuel et Pierre, où est l’autre, où est le même ??
L’économie du roman est un chassé-croisé d’intrigues et de personnages. C’est aussi une enquête sur un événement oublié, un traumatisme enfoui : l’attentat du 18 juillet 1994 à Buenos Aires, contre l’AMIA (association mutuelle israélite argentine), jamais revendiqué. Le roman part sur les traces de l’enquête en cours qui met en cause le gouvernement iranien et le Hesbollah.

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Les fils de l’indicible

— Par Michèle Bigot —

tenenbaum_peau_viveOn évoque ici ceux qui ont en héritage dans les fibres de leur chair les marques de l’histoire.
Gérald Tenenbaum est de ceux-là et son œuvre témoigne de ce tissage patient des liens qui nous constituent. L’un après l’autre, ses romans composent le palimpseste d’une mémoire incarnée. Son dernier titre Peau vive, paru en août 2014 à « La grande Ourse » est un nouvel élément de ce vaste patchwork qui tente de dire l’indicible, tel qu’il se loge dans la mémoire inconsciente, celle des enfants et des petits enfants de la génération sacrifiée.
Chacun de ses romans est l’histoire d’une perte, perte de virilité pour Simon dans L’ordre des jours (Héloïse d’Ormessson, 2008), perte de la mémoire pour Souffles couplés, (Héloïse d’Ormessson, 2010), perte d’identité pour L’Affinité des traces (Héloïse d’Ormessson, 2012), perte du sens du toucher pour Peau vive. Plutôt que de pures pertes, il faudrait d’ailleurs parler de dérèglement des sens, dans tous les sens du terme.

Car Ève, la fille aînée de Yankel Reizer, souffre d’un sens du toucher si aigu qu’il est douleur de tout instant et qu’il lui interdit tout contact humain.

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