L’Affaire Pavel Stein, Gérald Tenenbaum, éditions Cohen&Cohen

— Par Michèle Bigot —

« En matière de révolte, aucun de nous ne doit avoir besoin d’ancêtres », cette épigraphe d’André Breton ouvre le roman sur une énigme. Quelle révolte, qui est révolté et contre quoi? Mais il se pourrait que la révolte n’ait pas nécessairement besoin d’un objet, qu’elle soit un état de l’esprit. Voyons donc…

La matière du roman est matière fluide. Une femme écrit. Une femme parle. Choc de la première phrase: « Je déteste porter des collants lorsque j’ai mes règles ». D’emblée, le narrateur-auteur est invité à disparaître, au moins en tant qu’homme. Et Paula, puisque c’est elle qui agit, se lance dans un récit. Rétrospectif et personnel. La scène de l’écriture (qui ouvre et clôt le récit) intervient quelque vingt ans après la scène de l’histoire. Fluidité dans la temporalité (allers-retours de la mémoire) et fluidité dans l’identité. Est-ce la même Paula, la jeune journaliste un peu candide qui fait la rencontre de Pavel Stein pour l’interviewer, et la femme mûre qui mène son deuil par l’écriture?

C’est donc l’histoire d’une rencontre amoureuse. On se demande si Breton aurait apprécié! Attendez la suite….. Sous les traits de la convention (une jeune femme rencontre un homme d’âge mûr à la célébrité bien établie) se cache une étrange relation. Car Pavel Stein est une sorte de phénomène, un paradoxe fait homme: mi-cinéaste mi-écrivain, dramaturge et communicant, il est une figure du démiurge en négatif. Son identité est complexe, il fait son aliyah à l’envers. Ses productions dérangent, il n’a de cesse de provoquer, « bonne mauvaise conscience du monde occidental tout entier ». Tout son travail porte sur le vide, l’absence. Il crée des pièges pour la pensée. Sa vie est une énigme, non moins que sa disparition annoncée-niée.

Qu’est-ce donc que la rencontre de ces deux là? Ils se découvrent, se joignent, se fondent et se séparent. Comme s’ils formaient non un couple mais un être unique et équivoque, un homme-femme: du reste leurs prénoms invitent à cet amalgame: Pavel et Paula, masculin-féminin, deux prénoms à même étymon « Paulus » « petit » en latin. Et ce Pavel Stein, n’est-il pas une figure de cette petite pierre dont on honore la tombe des absents?

Suivons les donc sur le chemin de leur fuite: Pavel se retire dans un monastère tibétain, auprès de ces lamas, fidèles de Marpa, maître bouddhiste dont les enseignements rejoignent ceux de la Kabbale. Pavel s’y retrouve et s’y perd. Paula l’accompagne et le quitte. Elle est l’initiée, il est le maître, lui-même disciple d’autres maîtres.

Que restera-t-il de cet amour? Une célébration du corps-esprit, une heureuse fusion éphémère et un hymne à la vie : « la vie est l’impératif absolu », comme le montre le Khaï que porte Paula et comme le souligne également le nombre des chapitres, nombre symbolique de la vie elle-même ? Douce-amère est leur rencontre, fructueuse autant que douloureuse. La fin vous surprendra, à moins que finalement vous la considériez comme spéculaire du début, attendue sans être prévisible.

Le plus touchant dans cette aventure narrative reste à mes yeux ce qu’on devine de leur auteur, éclaté qu’il est entre les deux personnages, tantôt proche de Paula : ainsi elle avoue « je n’ai jamais eu de passion pour les mathématiques, les nombres m’ont toujours fascinée. surtout pour la symbolique, pour la philosophie », tantôt proche de Pavel qui confesse en parlant du héros de Un nommé Cable Hogue « Je suis un peu comme lui, j’ai construit mon oeuvre sur du vide et j’ai trouvé du sens là où il n’y en avait pas. C’est en tout cas ce que l’on dit de moi ». Confession en demi-teinte, cachée sous une histoire d’amour car « Gare à qui se dénude sans émouvoir »!

On pourrait croire cette histoire d’amour intemporelle, et ce récit fort éloigné de nos préoccupations et des publications contemporaines. C’est à la fois vrai, car il confine à l’histoire éternelle, et faux, comme en témoigne cette diatribe contre la représentation de la culture qu’on nous sert dans les medias  » Quant à considérer la mémoire comme l’objet de ce siècle alors que ce siècle agonisant n’avait précisément fait que réduire tous les sujets, y compris les sujets pensants, à l’état d’objets, voilà le genre d’idée qui, déjà à l’époque, me rendait folle de rage. Une rage de l’impuissance face à l’irresistible dissolution du sens dans le bouillon qu’on nous sert à l’envi en le nommant culture ».

Qu’on se le tienne pour dit!

Michèle Bigot

CARACTÉRISTIQUES DÉTAILLÉES
Auteur: Gérald Tenenbaum
Editeur: Cohen&cohen
Date de parution : 26/08/2021
Format: 12cm x 22cm
Poids: 0,1760kg
EAN :978-2367490861
ISBN: 2367490864
Nombre de pages : 144
Format: 12,20 x 22,10 x 1,40 cm
Poids du produit : 0.17kg