— Par Selim Lander —
Deux commandes du New York City Ballet (datant respectivement de 2013 et 1997) au maître aixois, remontées pour notre plus grand plaisir avec des danseurs de sa compagnie. La première pièce est inspirée de l’histoire des sorcières de Salem, condamnées sur la foi d’une « preuve spectrale ». Les robes blanches des quatre danseuses sont marquées dans le dos d’une tache de sang en témoignage de leur supplice, tandis que les quatre danseurs sont revêtus du costume noir à col ecclésiastique des inquisiteurs. Le dispositif scénique est aussi simple qu’efficace : une longue table qui se divise en quatre plans inclinés, lesquels à la fin, retournés et redressés, deviendront les brasiers où brûlent les sorcières. Il faut tout de suite souligner la qualité particulièrement remarquable de l’éclairage constamment centré sur les seuls danseurs, qui laisse tout le reste du plateau dans la pénombre. Et même si la musique de John Cage n’est pas une surprise dans la danse contemporaine, elle apparaît ici en parfaite adéquation avec le propos, en particulier le morceau où elle se résume à une série de souffles.





Assistant, à Aix-en-Provence, à la représentation des deux superbes pièces de Preljocaj créées pour le New York City Ballet, Spectral Evidence, en 2013, sur une musique de John Cage et La Stravaganza, en 1993, sur des airs religieux de Vivaldi (plus quelques morceaux contemporains), on réfléchissait au contraste surprenant entre le spectacle donné sur la scène, empreint de la gracieuse élégance des danseurs, et celui qu’offrait la salle remplie de spectateurs ordinaires, lesquels, pour n’être pas vraiment des « gens ordinaires », se présentaient dans des atours dépourvus pour le moins d’élégance (à de rares exceptions près). Ce laisser-aller qu’on remarque désormais presque partout en France – y compris, dans les prétoires, à l’accoutrement des juges et des avocats – est-il le signe d’un égalitarisme démocratique de bon aloi ou, à l’inverse, celui d’une décadence profonde ? La question reste ouverte. Il n’en demeure pas moins que le contraste entre la salle et la scène apparaît aujourd’hui bien plus marqué qu’aux temps où l’on « s’habillait pour sortir », tout au moins les membres de la classe supérieure qui occupaient les loges, le parterre et le premier balcon.
