« Soudain l’été dernier » de Tennessee Williams, m.e.s. de Stéphane Braunschweig

— Par Roland Sabra —

Avant que la pièce ne commence l’immense rideau de l’Odéon, en plastique semi-transparent ce soir-là, laisse deviner l’exubérance subtropicale du décor. Il représente le jardin de la luxueuse résidence de la richissime Mrs Violet Venable, une veuve qui ne cesse de pleurer la mort de Sébastian son fils unique, survenue l’an dernier à Cabeza de Lobo une station balnéaire espagnole. Sa nièce Catherine Holly, qui a assisté à la mort de Sébastian, est sujette à des hallucinations hystériques, à caractère obscène lorsqu’elle évoque les circonstances de la mort de son cousin. Violet Venable ne supporte pas que la réputation de son jeune poète de fils soit écornée par de tels récits qu’elle estime être ceux d’une folle. Elle fait venir chez elle le docteur Cukrowicz ( Sugar en anglais), un jeune neuro-chirurgien désargenté, qui se spécialise dans la lobotomie, afin qu’il opère Catherine et par là même, la fasse taire. Elle lui promet de doter richement son établissement hospitalier. Le chirurgien examine Catherine, se garde d’établir un diagnostic de folie et s’arrête aux épisodes hallucinatoires et subodore l’existence d’un refoulé causal dont il va provoquer le retour à l’aide d’un sérum de « vérité ». Sebastian, poète homosexuel, s’est servi de sa mère comme appât pour ses conquêtes et l’a abandonnée au profit de sa cousine Catherine, quand devenue trop vieille elle ne faisait plus l’affaire. A Cabez de Lobo il a été poursuivi, agressé, mis à mort et dévoré par une bande de jeunes mendiants, dans les ruines d’un temple « païen ». Cette révélation, dans le même mouvement, permet à Catherine de retrouver la raison et déconnecte la mère de la réalité. Elle se met à divaguer. Encore que le metteur en scène, prenant ses distances avec la version filmée de Mankiewicz, laisse un doute sur l’issue de la pièce. Pas sûr qu’il y ait une guérison de Catherine et que la mère puisse survivre à l’effondrement du mythe qu’elle construisait comme une prison. Pa sûr non plus que Coukrowicz soit épargné par des états d’âme quant à la validité du choix qu’il a fait.

Trois figures donc dominent la représentation. Il y a d’abord Catherine Holy, personnage principal autour duquel tourne l’intrigue, interprétée par Marie Rémond, impressionnante de force et d’intensité, en un mot, magnifique. Ensuite il y a Mrs Violet Venable, mère totalitaire, pléonasme ou euphémisme en l’occasion, elle est terrifiante, hantée par la peur de vieillir, dévorée par une jalousie maladive et une possessivité destructrice elle est, caricature de la mère freudienne —- mais en est-il d’autres?—, prête à toutes les vilenies pour ne pas lâcher son fils. Luce Mouchel est une Mrs Violet Venable effrayante et pathétique avec un jeu emprunt de références à celui des stars américaines des années cinquante. Un beau travail. Et puis il y a le Docteur Coukrowicz, le personnage clé de la pièce, partagé entre la promesse d’une donation faite par la mère et son éthique médicale qui l’invite à ne pas prendre pour argent comptant les récits qu’on lui fait. Jean-Baptiste Anoumon, en chirurgien adepte de la lobotomie, confirme son passage réussi du doublage au théâtre. Un quatrième personnage, central dans la pièce puisque c’est de lui dont il est question de bout en bout, est un personnage absent : Sébastian. Tout comme dans Les Revenants d’Ibsen, que Stéphane Braunschweig a précédemment mis en scène, une figure pivot autour de laquelle s’ordonnent les autres et qui hante, tel un fantôme, le plateau.

La psychanalyse, dévoyée dans sa version étasunienne, traverse donc de part en part la pièce de Tennessee Williams. Et c’est ce qui rend aujourd’hui le propos un peu souligné, un peu daté pour ne pas dire un peu lourd. Par moment l’ennui gagne. Pour autant l’évocation de la sexualité et de l’homophobie, la convocation d’un balancement entre positivité et négativité, l’entremêlement de thèmes sociaux et de thèmes psychiques, la confrontation de deux versions antagoniques d’un personnage absent participent à la construction d’une énigme dont la solution reste incertaine jusqu’à la fin, de sorte que l’intérêt  finit par l’emporter sur la fatigue.

Paris le 08/04/2017

R.S.

Soudain l’été dernier
de Tennessee Williams
Théâtre de l’Odéon
du 10 mars au 14 avril 2017
mise en scène et scénographie Stéphane Braunschweig
création
avec Jean-Baptiste Anoumon, Océane Cairaty, Virginie Colemyn, Boutaïna El Fekkak, Glenn Marausse, Luce Mouchel, Marie Rémond