Sotigui Kouyaté, comédien malien

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Dans le Mahabharata, créé par Peter Brook à Avignon en 1985, il jouait Bhishma, celui qui possède et transmet la sagesse. Vêtue d’un boubou blanc, son immense silhouette se découpait sur les pierres, dans la nuit magique de la carrière de Boulbon, où le spectacle se donnait. C’était la première fois que l’on voyait en France Sotigui Kouyaté. Ce grand comédien africain est mort samedi 17 avril, à Paris, à l’âge de 73 ans, d’une maladie pulmonaire.

Sotigui Kouyaté se définissait comme un homme de la culture mandingue, d’où viennent les griots. De parents guinéens, il est né le 19 juillet 1936 à Bamako, au Mali, puis il a vécu au Burkina Faso. « La première famille de griots, ce sont les Kouyaté, je suis un de leurs descendants, disait-il au Monde, en 2001. En Europe, on ignore ce que veut dire griot : pas seulement un conteur, mais tout à la fois le dépositaire de la mémoire de son peuple, mémoire uniquement orale, un maître de la parole, un généalogiste qui connaît toutes les ascendances de chacun, le maître des cérémonies, gardien des traditions et des coutumes, et, surtout, un médiateur. Le griot est celui qu’on épargne durant les batailles parce qu’on aura besoin de lui ensuite pour faire la paix, celui aussi qui tente de résoudre les conflits au sein des familles, là où le chef n’a pas à intervenir. »

Cette ascendance aurait pu déterminer la carrière d’acteur de Sotigui Kouyaté. Ce ne fut pas le cas, en tout cas au début. Le jeune homme a exercé divers métiers, dont l’enseignement, la menuiserie, le secrétariat à la Banque d’Afrique occidentale, la radio, le football. Il était très fier d’avoir été joueur professionnel et capitaine de l’équipe du Burkina Faso. En 1966, il se lance dans le théâtre, à la demande de son ami Boubacar Dicko, qui lui donne un rôle dans une pièce historique. Dans la foulée, Sotigui Kouyaté crée une compagnie, écrit, met en scène et joue, dans un élan volontairement populaire.

Bientôt, le cinéma l’appelle. En 1982, il tourne Le Médecin de Gafiré, sous la direction du Béninois Mustapha Diop. Cette même année, le Français Christian Richard l’engage pour Le Courage des autres, une histoire d’esclavagistes, en Afrique de l’Ouest, au XIXe siècle.

C’est ce film que visionne Peter Brook, au montage, alors qu’il cherche des comédiens pour son Mahabharata. « J’ai vu juste un plan de cet homme qui était comme un arbre, à côté d’un arbre. Tout de suite, j’ai su que c’était lui qu’il fallait pour Bhishma. » Ainsi commence une histoire qui fera de Sotigui Kouyaté un des acteurs fétiches de Peter Brook. Après le Mahabharata et sa longue tournée mondiale, vient La Tempête, de Shakespeare en 1990. Dans Le Monde, Michel Cournot écrit que Sotigui Kouyaté « joue un Prospero africain de toute beauté, au regard habité, au physique d’une noblesse et d’une charge poétique flagrantes. »

« UNE PROFONDEUR UNIQUE »

Trois ans plus tard, en 1993, Peter Brook et ses comédiens plongent dans l’histoire extraordinaire de L’Homme qui, d’après L’Homme qui prenait sa femme pour un chapeau, le livre du neuropsychiatre britannique Oliver Sachs.

Puis vient, à partir de 1995, le travail autour d’Hamlet, de Shakespeare, qui prend soit la forme d’une recherche, sous le titre de Qui est là ?, dans laquelle Sotigui Kouyaté joue le spectre, soit celle de la représentation de la pièce, dans laquelle l’acteur interprète Polonius, et un fossoyeur.

A partir de 1999, Peter Brook ramène Sotigui Kouyaté vers l’Afrique, en le mettant en scène dans Le Costume, du Sud-Africain Can Themba (1924-1968), puis en lui confiant, en 2004, le rôle-titre de Tierno Bokar, du Malien Amadou Hampaté Bâ (1901-1991).

Pour Peter Brook, Sotigui Kouyaté était « un homme qu’on ne peut comparer à personne. Il avait cette qualité extraordinaire d’avoir les pieds sur terre, et une profondeur unique. Pour moi, ses doigts étaient aussi inoubliables que sa silhouette. Très longs, très fins, ils étaient de ceux qui savent désigner le cœur, dans ce geste que fait l’homme quand il ne peut plus parler ». Ces doigts et cette silhouette, joints à une voix douce et à une grâce mystérieuse, traversent de nombreux films, dont Black mic mac, de Thomas Gilou, qui a révélé l’acteur en France en 1986.

Dans cette filmographie, on retiendra Le Maître des éléphants, de Patrick Grandperret (1995), La Genèse, de Sissoko Oumar (1999), Keita, l’héritage du griot, sous la direction de son fils Dani Kouyaté (1997) et les deux films tournés avec Rachid Bouchared : Little Senegal (2001), dans lequel Sotigui Kouyaté campe un splendide vieil homme sénégalais en quête de sa famille vendue en esclavage au Nouveau Monde, et London River. Dans ce dernier film, il interprète un père musulman à la recherche de son enfant disparu au moment des attentats meurtriers de Londres, en juillet 2005.

Ce rôle a valu à Sotigui Kouyaté le prix d’interprétation masculine au Festival international du film de Berlin, en février 2009. Lors de la remise du prix, l’acteur avait déclaré : « Toute organisation qui permet aux peuples de se rencontrer fait du bien au monde d’aujourd’hui. »

Ce désir de rencontres aura été au cœur de la vie de Sotigui Kouyaté, qui vivait en France, depuis 1987, tout en maintenant des liens indéfectibles avec l’Afrique. En 1998, il avait fondé à Bamako le Mandéka Théâtre International, avec Habib Dembélé et Jean-Louis Sagot-Duvauroux « pour permettre aux Maliens d’exporter leur art tout en restant dans leur pays ».

En 1999, l’adaptation par cette troupe d’Antigone, de Sophocle, a été jouée avec succès plus de cinquante fois en France. Sotigui Kouyaté en avait assuré la mise en scène et jouait le rôle de Créon.

19 juillet 1936 : Naissance à Bamako (Mali).

1985 : Théâtre, « Le Mahabharata », mis en scène par Peter Brook, à Avignon.

1986 : Cinéma, « Black mic mac », de Thomas Gilou.

1990 : Théâtre, « La Tempête », de Shakespeare, mise en scène par Peter Brook, aux Bouffes du Nord, à Paris.

2004 : Théâtre, « Tierno Bokar », mis en scène par Peter Brook, aux Bouffes du Nord.

2009 : Prix d’interprétation masculine au Festival international du film de Berlin pour London River, de Rachid Bouchared.

17 avril 2010 : Mort à Paris.

Brigitte Salino
Article paru dans l’édition du 24.04.10 Le Monde