S’il te plaît, raconte-moi des histoires : Le bruit de la neige – Max et Louise.

— par Janine Bailly —

Bienheureux les enfants de Martinique en ce mois de décembre, à qui l’on offre contes et spectacles, dans des lieux aussi divers que médiathèques, écoles et théâtres !

Le bruit de la neige, tel est le titre, intrigant et poétique, choisi par la conteuse Virginie Komaniecki, pour l’Heure du Conte qu’elle offrait aux « petites et grandes oreilles », ce mercredi, à la médiathèque de Rivière-Salée, dans le cadre des animations proposées avec une belle régularité par l’association Virgul’. Apporter sur notre île « de sables et de palmiers », en cet Avent de Noël, la blancheur exotique de la neige et, pour nous réchauffer le cœur, nous venir parler du froid qui là-bas, de l’autre côté de l’eau, glace jusqu’aux os, voilà une idée peu banale, et propre à ravir un public curieux, enfants et parents venus ensemble prendre là, en ces temps de fête, leur part légitime de rêve.

Et c’est par le chant que nous sommes conviés à entrer dans le monde blanc de la neige, à suivre la voix, d’une douceur affirmée, aux notes parfois graves et parfois cristallines, qui nous guidera dans le labyrinthe des contes, que nous sommes conviés à ouïr cette averse de grains de riz, devenus flocons, qui nous fera entrer dans la grotte aux histoires, lieu que tout un chacun, petit ou grand, a imaginé un jour habiter ! Le conte est d’abord celui du « petit machin » qui glisse sur la glace, se casse sa patte longue, l’autre restant courte, et cherche le responsable de ce malheur, du soleil à la montagne, en passant par les nuages, le vent puis la terre, pour enfin retrouver… la neige qui le fit tomber ! Plus tard le jeune homme qui marchait dans l’hiver viendra nous apprendre comment, avec un brin de malice et beaucoup d’esprit, mitonner une bonne « soupe au caillou », et par ce breuvage redonner à celle qui sans vraiment le vouloir l’a aidé, la vieille femme toute percluse, un peu de sa jeunesse, avec le goût de la vie et le désir d’ouvrir à nouveau sa porte aux gens du village. Il y aura encore une autre vieille, toute courbée au coin de l’âtre, à décorer les coquilles des noix qu’elle ne saurait plus croquer, coquilles peintes que, dans sa longue errance, cherchant « le petit prince » entendu pleurer au loin, elle déposera en offrandes auprès de berceaux en vain visités.

Mais pourquoi rassembler ces trois fables, sans tenir compte de l’ordre dans lequel elles nous furent dites, mimées, dansées et chantées, accompagnées aussi d’onomatopées suggestives —ah ! le « screutch-screutch-cratch-cratch » des pas qui font crisser sous les semelles la neige fraîche, et les pas irréguliers du « petit machin » syncopés par les doigts agiles sur le bras de la conteuse, ou le « clic-clac » des os d’une Babouchka toute rouillée qui se déplie ! C’est que ces histoires-là plus précisément me montrent avec quel talent Virginie Komaniecki s’approprie, actualise, redessine les contes traditionnels, venus de tous les horizons, et que je reconnais : thème récurrent de la littérature européenne populaire, La soupe au caillou aux multiples versions, dont une très vivace au Portugal, et qui nous réapprend la solidarité, la générosité et le partage ; odyssée de la Babouchka, familière des contes russes, grand-mère qui, visitée par trois grands hommes auréolés de neige, — ne serait-ce pas les Rois Mages ? — va de maison en maison les nuits de Noël pour trouver l’enfant Jésus nouveau-né, et dépose de petits jouets sur les oreillers des enfants de son pays ; mésaventure du « petit machin » à la recherche d’un coupable, ailleurs fourmi désireuse de se rendre à Jérusalem et se laissant surprendre par les intempéries et la glace.

En revanche, toute neuve fut pour moi l’histoire de cette ville qui, au jour de Hanouka, Fête des Lumières, voit ses caisses vides et entreprend pour les remplir de recueillir le trésor qu’est la neige brillante, conte dit « de mensonges », bâti sur une logique indiscutable mais absurde, et qui fait appel, pour trouver des solutions, à l’inventivité des enfants présents, prompts à répondre, et parfois même à lever le doigt pour attirer le regard de la conteuse. Ou encore la fable de l’homme qui, au cœur de la neige, n’ayant plus en sa maison qu’un seul petit grain de riz, cuisine en suscitant la participation des voisins, une succulente poule au pot, et nous prouve de la sorte que l’on peut se tirer d’une situation critique par la ruse, sans violence aucune, en bonne entente avec ses semblables. Ainsi, contes, histoires ou fables à la magie entremêlent, mine de rien, les leçons de vie et de sagesse qui, subrepticement, se glissent au sein de l’imaginaire, et que Virginie Komaniecki sut fort bien nous faire entendre !

Virginie Komaniecki sera présente mercredi 21 décembre à 10 heures à la Bibliothèque Schœlcher pour L’Heure du Conte 

Max et Louise, un autre chemin à parcourir, offert par la compagnie Car’Avan. Fil conducteur à la médiathèque, la neige est encore, sur la scène du théâtre Aimé Césaire, au rendez-vous du spectacle proposé cette semaine aux élèves des écoles primaires par Laurence Couzinet-Letchimy, La neige comme terminus d’une aventure qui mène un couple de chaussures vers ce bonhomme blanc d’hiver, au nez de carotte, celui qui, dans un intermède de Virginie Komaniecki, fond et disparaît pour avoir eu l’idée saugrenue de se réchauffer auprès du poêle. De cette matinée en compagnie de Max et Louise, je ne veux pas reprendre le périple, fort bien décrit sur ce site Madinin’art par Roland Sabra, son propre créateur. Je dirai en revanche combien les enfants se sont montrés attentifs, réceptifs et réactifs, applaudissant spontanément quand le prologue prit fin et qu’allait lui succéder l’histoire, saluant de même les performances, dansées jusqu’à l’acrobatie, de la comédienne. Ne se faisant pas prier pour répondre aux questions judicieusement posées afin de maintenir les sens et l’attention en éveil. Répétant avec une franche spontanéité, en un chœur parfait, quelque litanie impulsée par la conteuse, et finissant par savoir dire « se casser la margoulette », expression qui d’abord semblait les dérouter. La magie de ces sortes d’instants privilégiés fait que les enfants croient dur comme fer à ce qui leur est dit : Chaussure droite et Chaussure gauche vivent et « vont faire un bébé », avance vite ma petite voisine, préfigurant ce que la comédienne fera voir en fin de spectacle. Des « oh ! » effrayés saluent l’annonce du médecin, qui veut couper les pieds de la petite dame, trébuchante dans ses chaussures, comme le cri de la jeune fille boîteuse menaçant de brûler Max et Louise  parce que maintenant vieillis. Des « oh ! » indignés ponctuent la découverte de la cupidité du médecin et de ses ordonnances démesurées. Et comment ne pas parler des rires juvéniles, ou plutôt de ce qui les a suscités, puisqu’aussi bien contes et fables sont  faits en partie pour exorciser les tabous ? Rires qui cascadent sur les mots « mariés, couleur caca d’oie… », sur des prénoms qui semblent étranges parce qu’inhabituels, sur le baiser que se donnent Max et Louise, sur certains mouvements du corps aussi.

Voici une histoire qui, servie par une comédienne convaincue et convaincante parle, intelligemment et sans en avoir l’air, de la différence, de la vie-l’amour-la mort, de sacrifice consenti, de la fidélité due à l’être aimé, belle allégorie en cette veille de Noël !

Janine Bailly

Fort-de-France, le 15 décembre 2016