Scène de racisme à l’envers – Décryptage (1)

photo_campusUn « blanc-métro » victime d’une agression raciste en Martinique. Certains trouveront peut-être des excuses : qu’il « l’avait bien cherché » (voir plus loin le récit de l’action) ou que, en tout état de cause, ce qui lui est arrivé n’est rien à côté de tous les actes racistes dons sont victimes les Antillais en France. Le premier argument (« il l’avait bien cherché ») revient à entériner la force sur le droit. Le second est plus pernicieux car si les Antillais revendiquaient le droit de se montrer racistes chez eux, ils n’auraient plus d’argument véritable à opposer à ceux qui se montreraient raciste à leur encontre ailleurs. Mais examinons le cas d’espèce.

À l’entrée du campus de Schoelcher, Université des Antilles, le 26 mai 2015, vers 15h.

Le contexte : ce jour-là prenait fin la sanction pesant sur deux professeurs de sciences économiques de l’université. Ces deux professeurs étaient donc légalement autorisés, pour la première fois ce jour-là après douze mois de « suspension administrative », à réintégrer leur poste, et donc, concrètement, à pénétrer à nouveau sur le campus, à retrouver leur bureau et à reprendre leurs fonctions d’enseignants-chercheurs. Tel était le point de droit. Mais la France est un état de droit davantage en théorie qu’en pratique. Et la Martinique, étant française, se trouve dans la même situation. Donc, en Martinique comme en France, on s’est habitué aux situations dans lesquelles la force l’emporte sur le droit. Non que la force ait besoin d’être bien forte. Il suffit d’une minorité organisée pour mettre en échec une majorité inorganisée et dont les membres n’ont aucune envie de se mettre en avant. Ainsi, ce jour-là, un quarteron d’enseignants suivi de quelques étudiants avait décidé que les deux professeurs réintégrés de jure ne rentreraient pas de facto dans l’université. Coup de force banal, sous nos cieux, on l’a dit. Mais, comprenne qui pourra, les instigateurs du coup de force n’entendaient pas seulement interdire aux deux enseignants « malpropres » (suivant le terme dont ils les qualifient – on appréciera la distinction du discours académique) de pénétrer dans l’université mais encore interdire à tout un chacun d’entrer avec son véhicule sur le campus de Schoelcher.

Peu enclin, en ce qui nous concerne, à plier sous la dictature d’une minorité qui impose ses oukases par la force, nous résolûmes de nous débrouiller pour entrer sur le campus en voiture, au nez et à la barbe des factieux. C’était notre droit le plus strict en tant que professeur émérite de cette université. Un peu d’astuce et un peu de chance : nous réussîmes à passer le barrage (sans écraser ni même frôler personne, ni heurter quoi que ce soi, précisons-le). Mais alors, le meneur du quarteron de hors-la-loi (professeur sur le campus), furieux de voir ainsi son diktat bafoué (pas vraiment ce que l’on appelle un bon joueur, l’éminent collègue !), s’est cru obligé de montrer ses crocs. Il a couru derrière notre voiture et, comme la vitre de la portière, côté conducteur, était ouverte (d’autant plus naturellement que nous roulons dans un véhicule fort modeste, hors d’âge et dépourvu de climatisation), il n’a rien trouvé de mieux à faire que de nous donner un coup de poing sur l’épaule gauche en vociférant je ne sais plus quelle insulte – banale, sans doute – suivi de ceci que j’ai trouvé bien moins banal : « tu te crois encore en Algérie ! ». J’avoue que le coup – quoique évidemment inadmissible – m’a moins touché que l’insulte, qui m’a indigné.

Précisons : je suis blanc et vieux (deux faits incontestables). Donc, selon le professeur factieux, je dois être un affreux colonialiste, prêt à « casser du fell(agha) ». Vous suivez ? Non ? En effet, il n’y a aucune logique dans un tel discours. D’abord au premier degré, parce que j’avais dix-sept ans quand la guerre d’Algérie a pris fin et n’ai mis les pieds dans ce pays que bien après son indépendance. Ensuite et surtout parce qu’il faudrait vraiment mal me connaître pour me supposer un tant soit peu colonialiste, ma position, que j’ai publiée ici ou là, étant au contraire que ni les « Français de France » ni ses derniers « colonisés » (on comprendra les guillemets) n’ont vraiment intérêt (en dépit des apparences immédiates) à laisser perdurer la situation asymétrique actuelle. Sans doute le professeur n’a-t-il pas le temps de lire ses collègues mais, de toute façon, la question n’est pas là. Sa réaction traduit d’abord le fait qu’il est lui un raciste. Le même a d’ailleurs défrayé la chronique, il n’y a pas si longtemps, pour des propos considérés par beaucoup comme antisémites. À ses yeux je suis blanc, donc je suis un « salaud » (au sens sartrien), précisément un « colonialiste », comme au « bon vieux temps » où l’Algérie était encore française, donc je suis haïssable (c’est ce qui s’appelle essentialiser).

On trouve souvent ce genre de réactions « primaires » chez des gens peu habitués à réfléchir, à distinguer, à nuancer. C’est plus rare mais pas exceptionnel chez les membres de l’élite intellectuelle au tempérament sanguin qui se laissent trop facilement emporter par leurs démons. Dans le cas du professeur en question, la haine du blanc peut s’expliquer par le fait qu’il a peut-être davantage conscience de son aliénation que d’autres individus se trouvant objectivement dans la même situation que lui. Il se méprise lui-même quelque part, car il n’ignore pas que toutes ses rodomontades anti-blancs ne sont rendues possibles que parce que l’Université des Antilles, donc le ministère de l’Education nationale, donc in fine les contribuables français (ceux-là mêmes qu’il range si légèrement dans la catégorie des « colons »), lui offrent les conditions de vie confortables qui incluent la possibilité d’idéologiser en toute liberté.

D’autres intellectuels martiniquais se sont montrés plus conséquents. Certains indépendantistes sincères l’ont payé d’un séjour en prison. D’autres ont préféré l’exil plutôt que de continuer à vivre aux dépens d’un pays honni. Mais taper sur un vieillard sans défense et lui cracher sa haine au visage, c’est évidemment bien plus facile ! Ceci dit, que notre agresseur sache que nous le comprenons et, sans attendre de lui des excuses qui probablement ne viendront jamais, que nous lui pardonnons. Amen !

Michel Herland

Postscriptum (1er mai 2015) : Quand la force devient le droit – Décryptage (2)

Le blocus du campus est désormais levé, les séditieux ayant obtenu ce qu’ils voulaient. On ne prendra pas parti ici sur la question de savoir si les deux professeurs ostracisés sont ou non coupables de ce qu’on leur reproche. Nous n’avons pas les éléments pour répondre, et, comme on dit, la justice tranchera. Mais il demeure intéressant d’analyser le plus récent épisode de la guerre qui s’est ouverte entre eux et la présidente de l’université. En envoyant ses troupes au feu (le professeur factieux et ses amis sont ses soutiens les plus ardents), la présidente a « démontré » que les deux professeurs incriminés ne pouvaient revenir à l’université. Quoi de plus logique, en effet ? Si la question de leur retour ne s’était pas posée, il n’y aurait pas eu de barricade, la paix de l’université n’aurait pas été troublée. En raisonnant de la sorte, n’est-il pas évident que les perturbateurs ne sont pas ceux qui barrent l’accès au campus mais ceux qui attendent tranquillement qu’on veuille bien les laisser reprendre leurs fonctions, leur suspension étant arrivée à son terme ? C’est pourquoi il convenait de produire un nouvel arrêté de suspension empêchant ces trublions (les deux professeurs qui se tiennent cois) de perturber davantage l’université. Ce qui fut fait. Alors, faut-il dire « Bien joué Mrs President ! » ?