« Samson », texte et m.e.s. de Brett Bailey

En 2013 il présentait au public d’ Avignon Exhibit B avant d’investir le Théâtre Gérard-Philippe de Saint-Denis en novembre 2014. Depuis quatre ans déjà cette installation, instruisait, dans la quinzaine de pays européens où elle avait été invitée le procès de la colonisation de l’Afrique, à travers douze tableaux scéniques construits à partir de faits réels, des « pièces à conviction » ( Exhibit). La pièce qui mettait le spectateur en position de voyeur à l’instar de celui qui visitait les zoos humains du débit du Xxè sicècle, s’est très vite trouvée au centre d’une vive polémique. Des pétitionnaires ont réclamé son interdiction, des représentations ont été annulées, d’autres se sont déroulées sous la protection de la police !

En 2021, Brett Bailey, un sud-africain blanc de peau, puisque c’est de lui dont il s’agit présente dans le In sa dernière création «  Samson ». La légende est bien connue : le héros biblique dont la force surhumaine provient de la chevelure et qui lui est interdit de couper, doit conduire son peuple, esclave des Philistins, à la révolte. Il est un cadeau de Dieu fait à mère stérile jusqu’alors. Mais voilà Samson est un héros paradoxal, doué d’une force physique redoutable, il semble étonnamment vulnérable face aux femmes. Le pouvoir des femmes sur lui anéantit la force que lui a donnée Yahvé. Trois liaisons lui sont connues, et toutes les trois sont catastrophiques. Son mariage finit en bain de sang. Une nuit avec une prostituée de Gaza l’amène à devoir fuir la ville. Quant à Dalila, elle provoque sa perte et sa mort. Celui qui devait être le libérateur de son peuple n’a pas été à la hauteur de sa mission. Brett Bailey le formule ainsi : «« Son peuple a dit qu’il était un sauveur. Plutôt un pistolet chargé… »

Éternel débat entre émotion et raison!

Le « Samson » qu’il présente est un archétype de colère, de rage face à l’oppression, à l’humiliation coloniale ancienne et nouvelle. C’est une révolte première et impensée. Un cri impulsif et spontané. Une dénonciation de la dépossession coloniale, du pillage néocolonial des ressources, de la migration de masse, du racisme et de la xénophobie, de la radicalisation et du terrorisme.

Coté cour, trois musiciens autour d’une batterie et d’une console de son, coté jardin un chœur derrière son micro, en fond de scène un mur d’images et dans le clair-obscur du plateau la cérémonie d’intronisation de Samson, voilà le décor est planté.

Et c’est du coté de la transe que balance Elvis Sibeko, le comédien danseur, dans le rôle principal. Héritier de cinq générations de « Sangoma » guérisseur dans la tradition du nord du Mozambique il semble animé sur le plateau par une force surnaturelle, possédé par une transcendance par lui-même ignorée, bercé, enveloppé dans la ligne de rythmes percussifs qui le mènent. Il est dansé plus qu’il ne danse. La bande son envahissante et envoûtante qui emprunte autant au profane qu’au sacré conduit à la communion avec les comédiens. Le rôle de Dalila est tenu par une chanteuse lyrique qui excelle dans l’aria Mon cœur s’ouvre à ta voix, de l’opéra Samson et Dalila de Camille Saint-Saëns. Et c’est cette voix qui finalement mettra Samson à genoux.

La scénographie est l’objet d’une attention particulière de Brett Bailey. En fond de scène un mur d’images n’a pas fonction d’épauler, ou d’illustrer le texte. Les miniatures persanes, enluminures chrétiennes, les dessins de forteresse, inspirés de villages siciliens disent les réactions européennes face aux tentatives de migrations venues d’Afrique.

Le travail de Brett Bailey est une bouffée d’air frais, une bouteille d’oxygène dans l’atmosphère surannée, défraîchie, convenue d’un théâtre contemporain qui se cherche. La longue ovation du public était comme un remerciement, un signe de reconnaissance pour l’ouverture d’une porte.

R.S.

 

Distribution
Avec Shane Cooper, Mikhaela Kruger, Mvakalisi Madotyeni, Zimbini Makwethu, Marlo Minnaar, Hlengiwe Mkhwanazi, Apollo Ntshoko, Elvis Sibeko, Jonno Sweetman, Abey Xakwe

Texte et mise en scène Brett Bailey
Chorégraphie Elvis Sibeko
Musique Shane Cooper
Scénographie Brett Bailey, Tanya P. Johnson
Lumière Kobus Rossouw
Vidéo Kirsti Cumming
Son Marcel Bezuidenhout
Traduction en français pour le surtitrage Hélène Muron

Administration de production Barbara Mathers (Third World Bunfight), Sarah Ford (Quaternaire)