« Salvo » : une beauté plastique à couper le souffle

Une renaissance du cinéma italien

— Par Roland Sabra —
salvo

Elle aura la vie sauve et lui pourra espérer être sauvé de l’enfer. Il aura tout au moins fait un premier pas sur le très, très long chemin de la rédemption. Salvo, c’est son nom, est un tueur à gages de la Maffia. Froid, imperturbable, impitoyable, c’est un samouraï,  un homme de marbre, de ce marbre dont on fait les pierres tombales.. Il entre dans une maison sombre qui se protège de la chaleur, rideaux et volets fermés. Il tient son pistolet à deux mains. Il est venu buter un mafieux du camp adverse, le commanditaire du contrat dont il était l’objet. Il fouine dans la maison. Il tombe sur la sœur, Rita, une demi-folle constamment sur le fil du rasoir, prête à basculer du côté des Maniae, tout près de Lyssa. Semi-aveugle, elle compte à tâtons de l’argent sale. Elle chantonne un air de variété. Elle devine la présence menaçante de Salvo. Le jeu du chat et de la souris commence. Il rôde autour d’elle. Elle le cherche. Il exécute le frère. Il épargne Rita. Allez savoir pourquoi ? Il la saisit. Il lui plaque les mains sur le visage, les doigts s’enfoncent dans les orbites de la fille. Cette aveugle en fait un clairvoyant. Il se découvre, dans ce regard mort, pour ce qu’il est. Il la fourgue dans le coffre d’une bagnole, pour la planquer dans une mine désaffectée. Ses commanditaires ne lui pardonneront pas. Elle retrouvera la vue. Il y laissera sa peau.
La grande beauté plastique du film de Fabio Grassadonia et Antonio Piazza réside dans un subtile jeu d’ombres et de lumières. Dans la maison c’est, si l’on peut dire, le point de vue de Rita qui l’emporte. Elle ne devine que très vaguement les formes qui la cernent. La pénombre envahit l’écran et c’est la bande son qui prévaut. Les bruits de pas, de meubles renversés, d’objets brisés, se focalisent sur une des pistes de la bande son  pour n’être redistribués dans la salle  que par l’intermédiaire d’un seul ampli sur les huit ou dix habituellement en service dans une salle en stéréo. Le spectateur, face à un écran  flou, très sombre,  seulement zébré  par endroits de quelques traces blanches, est invité a entrer dans la peau de Rita qui se dirige dans le noir à l’oreille. Si l’expérience n’est pas continûment crédible, la source sonore n’est pas toujours en adéquation avec l’origine du son suggérée à l’image, elle est néanmoins déroutante et crée une atmosphère d’autant plus étouffante qu’il n’y a pas d’autres bruits. Peu de paroles. Pas de dialogues. Salvo est un film taiseux, presque sans paroles.
C’est aussi un film qui déroge aux lois du genre auquel il se rattache tout en respectant un certain nombre d’opposition binaires. Saleh Bakri, l’acteur palestinien est grand, sec, animé par sa seule raison, étranger à tout sentiment, il incarne un personnage que rien n’est sensé pouvoir déranger dans l’accomplissement de sa tâche d’assassin. Sara Serraiocco, dans le rôle de Rita est faible, fragile, affolée, handicapée, pulpeuse. Les réalisateurs nous refont le coup de l’individu révélé à lui-même par un étranger à son monde, on pense bien sûr au  fabuleux « Théorème » de Pasolini. Ils nous refont la grande scène du western spaghetti «  Il était une fois dans l’Ouest » de Sergio Léone dans l’usine désaffectée quand le Parrain local entouré de sa troupe vient sommer Salvo de finir le boulot. Ne manquait que la célèbre musique d’Ennio Morricone.  C’est leur premier film et ils nous font savoir qu’ils connaissent leurs classiques!
Peut-être n’y a-t-il que des italiens pour faire un polar sicilien autour de la rédemption d’un  tueur inexorable de la maffia. En tout cas un film d’une grande originalité dont nous ne soulignerons pas assez l’époustouflante beauté plastique.
Bon choix de programmation à mettre au crédit de Steeve Zébina.

R.S. Fort-de-France le 21/03/2014

« Salvo », de Fabio Grassadonia et Antonio Piazza, avec Saleh Bakri, Sara Serraiocco…