« Salade, tomate, oignons – Portrait d’Amakoé de Souza » m.e.s. par Jean-Christophe Folly

Mardi 21 mars à 19h – Salle Mobile(Saint-Esprit)

Le Portrait d’Amakoé de Souza est la représentation kaléidoscopique d’une identité en quête d’elle-même. Celle peut-être de son auteur Jean- Christophe Folly qui à l’instar de Fernando Pessoa aime jongler avec des pseudonymes et brouiller sans cesse les pistes entre fiction, auto fiction, réalité, récit, chanson… Le sous-titre de son/ce portrait Salade, tomate, oignons, résonne comme un nom de code. Et c’en est un ! Un signe de reconnaissance entre gens de kebabs. Qui dans sa vie n’est pas passé par un kebab ? À la manière des inconnus qui se rencontrent sur un pont à Paris dans La nuit juste avant les forêts de Bernard-Marie Koltès, les personnages de Jean-Christophe Folly se rencontrent au Kebab et se fondent en une seule entité, tour à tour homme, femme et Jean Montrouge…

DISTRIBUTION
Avec Jean-Christophe Folly

Production : Comédie de Caen-CDN de Normandie
Coproduction : Compagnie Chajar & Cham’s, Théâtre Dijon Bourgogne
Avec le soutien de la Maison Jacques Copeau, Pernand-Vergelesses, Les Plateaux Sauvages – Paris
Avec l’aide de la Fondation Beaumarchais-SACD.

L’ extrait

Guy

Avant avant, il y a eu beaucoup de nuits ; avant ce soir-ci, j’ai passé beaucoup, beaucoup de nuits seul ; au bout de je sais pas combien de nuits seul, éduqué au parfum de l’horreur, sorti apatride de tous les terroirs, sans illusion, sans regret et sans remords, le désir en roue libre et la peur calée dans mes deux angles morts ; avant ce soir-ci, il y a eu beaucoup de nuits, au bout de je sais plus combien de nuits donc, seul donc, le parfum de l’horreur donc, que je respirais à pleins poumons ; au bout de toutes ces nuits incomptables seul, les naseaux au bord de la rupture, le plafond photographié dans toute ma tête, le silence, à la veine digéré, sans illusion et sans remords donc, n’attendant plus rien ;

il me restait pourtant les sardines, de ces petites sardines grandes comme une phalange et l’on sent, quand on les croque avec les molaires, l’on sent leur petit corps, leur petit squelette, céder sous l’ivoire, j’aurais pu les faire frire, ces satanées sardines, j’aurais pu, avec de la farine blanche et du citron jaune, les faire revenir dans une poêle d’huile d’olive, les rendre rousses et puis les rendre brunes, du sel, du poivre et le tour eût été joué, mais on ne sait pas pourquoi, on ne sait jamais ; si on le savait, ça équivaudrait à inspirer consciemment, à expirer consciemment, alors autant ne rien savoir, je ne savais pas pourquoi et je ne sais toujours pas, parce qu’au jour d’aujourd’hui, des sardines frites, j’en salive, mais hier, hier c’est hier, dans le passé, il y a des choses dont on se lasse parce qu’on les a trop eues et l’on en veut d’autres alors on s’aventure et c’est ce que j’ai fait, pourtant il faisait froid mais rien à faire il a fallu que je mette le nez dehors ce soir-ci ; parce que c’est ça qui est fou, que ç’ait pu être un autre jour, dans une autre tournure, celle d’un vieux lundi soir par exemple, au bout de je sais pas combien de nuits, j’aurais pu, seul, éduqué au parfum de l’horreur, j’aurais pu bifurquer, oui c’est ça, bifurquer, faire de ma droite ma gauche, de ma gauche ma droite, aux intersections prendre un peu d’allure pour laisser tout ça dans mon dos, ces ennuis, ce tracassier, parce qu’arrivé là-bas, jeté sous les néons, sur le carrelage qui refroidit, arrivé là-bas, que je commandais affamé ma boîte de nuggets en fouillant dans mes poches pour de la monnaie, j’ai tourné la tête, comme cent fois j’ai tourné la tête, comme mille, comme tous les hommes la tournent, pour ne chercher rien, juste se rassurer les cervicales, si ça huile, juste ça ; comprendre, si le destin pouvait comprendre que c’est pas parce qu’on tourne la tête à gauche à droite qu’on demande à ce que notre vie soit dissoute, juste ça, si le destin voulait bien comprendre, le reste je m’en charge ; au bout de je sais pas combien de nuits, tout ce que j’attendais, c’est les nuggets, c’était un aller-retour, chez moi j’avais tout laissé allumé, une histoire de dix minutes, hop je descends, la boîte de nuggets, hop je remonte, pas plus, dans ma tête c’était ça l’histoire, je me demande même si j’avais pas laissé un peu d’eau chauffer pour qu’à mon retour elle se soit tout juste mise à frémir et que j’y trempe un sachet de verveine, parce qu’à l’époque il faisait frisquet  (…)

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