Safed, Tsafat, Zefad

Carnets de route. Jour 10

Cimetière de Safed

Me voilà en route, via Capharnaüm et le Mont des Béatitudes, pour la capitale des kabbalistes entre le XVIè et XVIII è siècle. Dans toutes les religions, il y a toujours quelqu’un, plus rarement quelqu’une qui se pose comme intercesseur entre le monde sacré et le monde profane. L’étymologie le rappelle : pro = devant, fanun = temple. Le profane est celui qui n’est pas encore entré dans le temple et qui aura besoin d’un guide pour y pénétrer, des fois qu’il se perde. Ces intercesseurs auto-recrutés, auto-proclamés, rabbins, immans, prêtres, en instaurant cette séparation justifient l’existence de leurs jobs. Faut bien manger ! A coté de ce fonctionnariat auto-institué se développe en parallèle une approche directe aux dieux, sans église constituée. La kabbale est un exemple de cette démarche. Entre ésotérisme et mysticisme, elle choisit plutôt le second, moyen d’accès à la connaissance de soi et de l’univers en général. Issue du judaïsme, elle s’en écarte en espérant hâter la venue de l’apocalypse, ce que condamne l’orthodoxie talmudique. A chacun ses déviants !

Les juifs d’Espagne, chassés par l’Inquisition s’installent à Safed au début du 16ème siècle. Ils développent une vie intellectuelle suffisamment riche et intense pour nécessiter la création en 1563 de la première imprimerie du pays. La ville, à flan de montagne domine, à ses pieds étalé, un des plus beau cimetière juif qui soit. Les tombes de calcaire blondi par le soleil se mêlent au paysage dans un enchevêtrement indistinct du paysage qui les enserre. Certaines peintes en bleu, pour faciliter l’accès au ciel de leurs habitants, d’autres dans la partie la plus ancienne, en morceaux fendus et émiettés en voie d’absorption par le chaos de roches qui les entourent. Sur la gauche, un dôme sous lequel reposerait le prophète Osée, dont la vie conjugale compliquée, sa femme était infidèle, considérée comme une prostituée, va servir de métaphore de la relation du peuple d’Israël avec D… Le peuple dans le rôle de l’épouse infidèle, qui s’adonne au culte des idoles et D… dans celui de l’époux fidèle, généreux, toujours prêt à pardonner.

Avant de me diriger vers le cœur de la ville, j’ai tout juste le temps de décliner l’invitation qui m’est faite d’un bain de purification dans une baignoire antédiluvienne creusée dans la roche, par un rabbin en quête d’obole. J’arrive à la synagogue Abouhav, la plus grande et la plus kabbalistique de Safed. Miracle là aussi. Elle aurait été construite à Tolède, en Espagne donc, et transportée entièrement achevée, par les airs à Safed au moment de l’Inquisition. Bon ça vaut bien celui qui marche sur l’eau, qui multiplie les pains ou celui qui fait direct La Mecque-Jérusalem sur un cheval ailé en une nuit!

Toute son architecture est construite à partir des douze principaux chiffres de la mystique juive :

La synagogue Abouhav,

1 ALEPH – Dieu est UN : irreprésentable. La synagogue en elle-même ?
2 Deux comme Berechit le Premier mot de la Torah « Au Début ». Les deux rouleaux de la Torah ?
3 Les trois armoires des trois Patriarches : Abraham, Isaac et Jacob.
4 Les Matriarches : Sarah, Rebecca, Rachel et Léa qui sont les ‘mères d’Israël’. La synagogue est soutenue par quatre colonnes.
5 Les Cinq Livres de Moïse : Cinq bancs reliés les uns aux autres au centre de l’espace.
6 Les 0rdres de la Mishna, les six « compilations écrites des lois orales » : Le nombre de marches de l’escalier.
7 Les Jours de la Création. Là je flanche.
8 Isaac a été circoncis le 8e jour comme l’alliance l’est dans le peuple juif. Idem.
9 Le nombre de mois pour concevoir un enfant. Il y a neuf alcôves de style gothique.
10 Les DIX Commandements. Dix petites fenêtres dans le dôme.
11 « Et voici, le soleil, la lune et onze étoiles se prosternaient devant moi. » Joseph- Genèse. Je n’ai pas trouvé.
12 Les Douze Tribus. Les douze fenêtres assez grandes qui laissent entrer la lumière.

A mon arrivée, la synagogue est pleine. Une Bar Mitsvah d’un gamin qui a donc treize ans, se déroule. L’atmosphère est bon enfant, hommes et femmes mêlés sur les bancs. Des portables sont allumés. Ça papote, ça parle, les chants accompagnés à la guitare résonnent sur la voûte. Le rabbin officie dans un léger désordre. Je réalise que c’est la première fois que je ne me sens pas oppressé dans une synagogue. Il y a là quelque chose de vivant! Certes je ne ressens rien de semblable à ce qu’à pu ressentir face au troisième pilier de la cathédrale Notre-Dame de Paris un certain Paul Claudel, mais règne à ce moment là une certaine douceur. Je supporte mal l’intérieur des édifices religieux. La cathédrale de Chartres, par exemple, j’habitais dans les environs, me provoquait à chaque fois que j’y pénétrais un sentiment d’étouffement. L’intolérance, le fanatisme religieux suinte des murs de l’édifice, objet , par ailleurs d’une vénération marquée de pèlerinage. Les synagogues, de New York à Jérusalem, de Tolède à Prague n’ont jamais suscité, chez moi beaucoup d’intérêt. Par contre j’aime beaucoup les mosquées. Par exemple celle en construction, Route de Balata à Fort-de-France, me semble porteuse de promesses esthétiques autrement plus riches que la synagogue de Schoelcher qui fait plutôt dans le style baraquement préfabriqué. Je me souviens, au milieu des années 70 du siècle dernier, d’un après-midi surchargé de soleil, dans l’enfer urbain que peut être Istanbul, à certains moments du jour, d’un havre de paix trouvé un peu par hasard et que l’architecture extérieure visiblement restaurée ne signalait pas spécialement à mon attention. Je veux parler de la Mosquée de Mihrimah, fille de Soliman le Magnifique. Ce n’est sans doute pas la plus belle mosquée d’Istanbul qui regorge de splendeurs architecturales mais l’impression de calme, de sérénité, de lumière, de paix en un mot, que j’ai ressenti cet après-midi là dans la salle de prière sous la coupole plus haute que large et sous laquelle je suis resté quelques petites heures m’a marqué. J’y pense assez souvent. Plus jamais je n’ai éprouvé une telle plénitude dans un édifice religieux. Peu d’années auparavant la Grande Mosquée des Omeyyades de Damas avait elle aussi retenu  fortement mon intérêt.

La lumière de Safed est particulière, recherchée par les plasticiens, sculpteurs, céramistes, peintres etc. Pas très loin de la synagogue Ha’ Ari, de rite ashkénaze vers la sortie de la vieille ville, ces artistes occupent un quartier avec des ateliers que l’on peut visiter et des boutiques où l’on peut acheter évidemment.

Demain je pars vers le nord, vers, Qiryat Shemona et Métulla en haute Galilée et je redescendrai par le plateau du Golan.

Israël-Palestine, juin 2016

R.S.

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