Roger Jean-Claude Mbédé, mort d’avoir été homosexuel et pauvre

—Par Quentin Girard —

r-j-c-_mbedeCe Camerounais avait été emprisonné pour ses orientations sexuelles. Libéré, il a été rejeté par son entourage.

Une vidéo, postée sur Youtube, un peu floue. «Je ne sais pas pourquoi ils veulent me prendre pour une cible», se demande Roger Jean-Claude Mbédé. «Je sais que je dois me battre pour m’en sortir. Je sais que je n’ai rien fait», continue-t-il. En février 2013, au moment de la diffusion de ces images, le jeune homme venait de sortir de prison, après un an de détention. Il avait été condamné par la justice de Yaoundé à 36 mois d’enfermement pour avoir envoyé un SMS à un autre garçon. Un simple «Je suis très amoureux de toi». Au Cameroun, les relations homosexuelles sont interdites, passibles de prison, comme dans de nombreux pays africains. Un petit message, cela suffit. Grâce à la mobilisation de ses avocats et de plusieurs organisations internationales, Roger Mbédé avait pu sortir de prison. Il était désormais en liberté provisoire.

Le 10 janvier 2014, Roger Mbédé est mort. Il avait 34 ans. «S’il n’avait pas été en prison, cela ne se serait pas terminé comme ça», estime Guillaume Bonnet, porte-parole France de All-Out, un mouvement LGBT qui a lancé sur Internet une «veillée funèbre» pour lui rendre hommage. En prison, il avait été battu et était tombé malade, sans recevoir évidemment les soins nécessaires. A Human Right Watch, il avait raconté les persécutions : «Celui qui m’interrogeait […] a appelé son collègue pour me passer à tabac. Il m’a donné un premier coup dans la bouche. Puis un autre, et encore un autre, et il a déchiré ma chemise. Ils ont jeté mes chaussures. Lorsque j’ai été emmené [au bureau du procureur], j’étais pieds nus, comme un bandit.»

Les circonstances du décès de Roger Mbédé ne sont pas très claires. Après sa libération, il termine un master de philosophie théologique à l’université catholique d’Afrique centrale, à Yaoundé. Mais cela ne se passe pas bien. Avec cette affaire d’homosexualité, ses envies de devenir prêtre ne sont plus réalisables. «Il était partout rejeté, nous explique au téléphone Michel Togué, l’un de ses avocats. Il avait été victime une ou deux fois d’agressions de personnes qui l’avaient reconnu.» Même pour ses proches, cela devient dangereux. A l’université, alors que le jeune homme est parti chez des amis, dans le centre-ville, son voisin de chambre, pris pour lui, est sévèrement bastonné. Pendant trois mois, il séjourne chez un assistant de Michel Togué, Marc Lambert. «C’était quelqu’un de très posé, mais la prison l’avait beaucoup marqué psychologiquement», décrit ce dernier.

«Comme il se sentait persécuté à Yaoundé, il décide alors de partir se reposer chez sa famille», détaille-t-il. A Ngoumou, petite ville à une trentaine de kilomètres de la capitale. «Mais cela ne se passe pas très bien non plus. Sa sœur, dont il était proche, l’insulte, il n’y a que son petit frère Noël et sa mère qui le soutiennent un peu», regrette Marc Lambert. Roger Mbédé disparaît un peu de la circulation, les contacts deviennent sporadiques. Lors d’une visite de François Hollande, Paul Biya a affirmé fin janvier 2013 que sur ce sujet, «les gens discutent». Pour le président camerounais, «les esprits peuvent évoluer dans un sens ou dans un autre». La loi ne change pas, mais pour ne pas déplaire à l’Occident, la pression policière est un peu moins forte.

Roger, très malade

«Au mois de décembre, je reçois la visite d’un reporter de France 24 qui voulait le contacter, se souvient Michel Togué. J’essaye de le joindre : sans succès.» Ses soutiens s’inquiètent. Marc Lambert arrive à l’avoir au téléphone. «Il était hospitalisé, raconte-t-il. Il m’a appelé plusieurs fois car il devait 27 000 francs CFA aux services hospitaliers. Puis, c’était 40 000 francs.» Le 6 janvier, l’assistant se rend à Ngoumou, à sa recherche. On lui dit que le père, un paysan, vient de mourir, que la famille porte le deuil, mais que Roger est parti s’installer en Belgique, que tout va bien. Il n’y croit pas vraiment, insiste. La famille s’énerve. «Une quarantaine de personnes viennent me parler et m’entourent, ils ameutent les vieux du village, se souvient-il. Toute l’après-midi, ils me retiennent, me menacent, certains ont des haches et des fourches. Je n’ai pas compris, il n’y avait jamais eu de problèmes avant.»

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