Rhoda Scott, éloge de la lenteur et du questionnement

— Par Fara C. —
La pasionaria de l’orgue Hammond, 81 ans, dispense sa grâce gorgée de groove, dans son CD « Movin’ Blues ». Et, en ce temps de confinement, nous conseille des disques et livres.

Débarquée en France en mai 1968, en vue de compléter ses études musicales auprès de la fameuse pédagogue Nadia Boulanger, Rhoda Scott a choisi rapidement de s’établir à Paris. Comptant aujourd’hui une cinquantaine d’albums à son actif, la légendaire organiste et compositrice américaine présente le galvanisant cocktail jazz-blues de son nouveau CD « Movin’ Blues », paru sur le label indépendant Sunset Records (https://www.sunset-sunside.com/boutique/cd/), fondé par Stéphane Portet.

Vidéo. Rhoda Scott, teaser de « Movin’ Blues »

Chapeau bas au responsable du Sunset (qui reste un des derniers vrais clubs de jazz à Paris), pour son soutien à cette artiste d’exception – une des plus grandes musiciennes au monde. Rhoda Scott a joué avec les historiques jazzmen Count Basie, Johnny Griffin, Dizzy Gillespie, Eric Dolphy… En outre, Sunset Records vient de publier « Something », album délectable que la chanteuse Anne Ducros a enregistré avec le raffiné binôme que constituent le guitariste Adrien Moignard et le contrebassiste Diego Imbert. A noter que, si la pandémie du Coronavirus se calme, le trio revisitera « Something », le 21 mai au Bal Blomet.

Vidéo. Anne Ducros, chanson « Something », du disque « Something » (2020)

« Movin’ Blues » a été enregistré par la mythique organiste aux pieds nus en simple duo, avec le batteur Thomas Derouineau. « Après un premier concert avec lui, j’ai été impressionnée par sa soif d’apprendre et par son humilité qui l’amènent à quitter sa zone de confort, à se risquer », souligne Rhoda Scott.

Déjà aux Etats-Unis, elle s’adonnait à l’art sans filet du duo orgue-batterie. Au fil des décennies, elle a dispensé sa grâce gorgée de groove auprès de batteurs légendaires, comme Philly Joe Jones, Mel Lewis, Kenny Clarke (enterré à Montreuil-sous-Bois) et, du côté des figures de la batterie en France, avec Daniel Humair, Julie Saury… Dans « Movin’ Blues », la formule du duo, qui n’autorise ni faiblesse, ni tricherie, met en lumière la maestria de la sémillante octogénaire, qui se conjugue à merveille avec le minimalisme fécond de Thomas Derouineau. Le défi ? « C’est de continuer, à 81 ans, de jouer de l’orgue, c’est très physique, mais j’aime ça », lance-t-elle, avec naturel.

Vidéo. Rhoda Scott, « Blue Law », du CD « Movin’ Blues »

« Durant le confinement, profitons-en pour prendre notre temps »

A la pasionaria de l’orgue Hammond, nous avons demandé ce qu’elle conseillerait, en cette période de confinement. « Je préconiserais quelque chose qui me semble essentiel et avec lequel le confinement nous permet de renouer : profitons-en pour prendre notre temps, pour le reprendre, dirais-je même ! Je fouine avec plaisir dans ma collection de disques, pour savourer des albums que je n’ai pas écoutés depuis des lustres. Sur Internet, j’ai découvert Sona Jobarteh, formidable joueuse de kora – la seule au monde ! J’aime laisser voguer mon oreille, au gré des enchaînements que propose YouTube. C’est comme ça que je suis tombée par hasard sur une vidéo du pianiste Andy Emler avec son MegaOctet, absolument captivant. Je vous recommanderais volontiers d’écouter les œuvres des musiciennes de mon Ladies All Star ou de mon Lady Quartet, formé des saxophonistes Sophie Alour et Lisa Cat-Berro et de la batteuse Julie Saury. Depuis l’irruption du mouvement #MeToo, la parole des femmes est davantage prise en considération. Néanmoins, il reste beaucoup de travail à faire. Dans le jazz, la proportion d’instrumentistes féminines reste encore basse ».

Vidéo. Rhoda Scott Lady Quartet, « I Wanna Move », au New Morning

Depuis la disparition de son mari en 2008, Rhoda vit seule, mais ne craint pas la solitude. « Je n’ai même pas le temps de faire tout ce que je voudrais. D’ailleurs, je suggérerais de lire « Eloge de la lenteur », de Carl Honoré. Dans un système qui incite à consommer, à aller toujours plus vite, à en faire toujours davantage, bref, à nous perdre dans une sorte de fuite en avant, la lenteur est précieuse. Elle permet de porter attention sur nos vrais besoins, de prendre du recul, de développer un regard critique. Le bouleversement mondial que la pandémie du Coronavirus a provoqué un révélateur, un énorme signal d’alerte que les dirigeants devraient entendre. On se doit d’interroger l’organisation de la société et la course à la productivité, de combattre véritablement les inégalités qui, partout, se creusent et, en temps de crise, s’aggravent dramatiquement. »

Rhoda Scott, CD « Movin’ Blues » (Sunset Records/L’autre distribution) ; informations sur les concerts à venir et autres, sur :

http://rhoda-scott.com/