Réviser le cadre institutionnel : une urgence pour le développement de la Martinique

— Par Georges Zaméo —

D’emblée, je fais remarquer que le fond de cette demande adressée à l’État interroge à plus d’un titre. Sans vouloir jouer sur les mots, nous distinguons trois termes clefs dans l’intitulé à savoir : révision, urgence et développement.

Faut-il procéder à une révision de la Constitution pour trouver solution au problème du développement de la Martinique qui se démène depuis longtemps avec les stigmates du mal développement qui demandent traitement en amont pour s’ouvrir sur un réel développement.

La situation qui sévit en Martinique ne saurait se satisfaire pour la traiter, de nouveaux agencements institutionnels même portant sur la Constitution de 1958. D’ailleurs, je doute fort que la France prenne l’initiative de réviser sa Constitution au motif de répondre à l’urgence du développement de la Martinique. N’est-ce pas faire preuve de prétention, enfin je laisse à appréciation. Pour bien se situer, reconnaissons que la Constitution de 1958 est bâtie sur une donnée fondamentale qui est la centralisation du pouvoir politique avec son pendant la haute administration, c’est sa pierre de touche. En outre, ne perdons pas de vue que les constituants avaient présent à l’esprit de combattre la politique des partis sous les IIIet la IVRépubliques qui faisait de la France un pays pratiquement ingouvernable avec cette valse de ministères que rapportent les textes. Il fallait donc restaurer l’autorité de l’État. Cela vérifié, ne perdons pas de vue que les temps ont changé et que ladite Constitution mériterait un toilettage pour la France elle-même en tant que communauté et puissance coloniale, besoin se fait sentir, l’actualité en témoigne.

Montaigne disait déjà que « Les institutions et les lois ne sauraient avoir l’immobilité de la borne », cela tombe sous le sens, je crois. Monsieur Larcher, président du Sénat lui rétorquera : « D’accord Monsieur Montaigne, mais il convient de toucher à la Constitution avec une main tremblante et puis ce n’est pas en fonction du vent ». Je reprends ici ses propos lors de son tout récent passage en Martinique. Pawol ka tonbé.

Pour ma part, je dirai qu’aucune Constitution ne saurait avoir le caractère de Table Sainte vu qu’aucun État n’est en odeur de sainteté au regard de l’Histoire.

En conséquence, si les circonstances l’exigent, ces constructions humaines doivent faire l’objet de retouches et même de changement. Toujours dans ce courant de réflexion, mais spécifiquement au cas martiniquais, je me demande si nous n’avons pas tendance à accorder un peu trop d’importance à ce qui touche à la dimension institutionnelle de notre vie publique pour ce qui a trait au changement dans notre pays.

Ledit changement ne doit-il pas porter aussi sur cet élément avec lequel il faut compter qu’est le problème des mentalités chez nous ? Qui n’est pas témoin du fait que la Martinique est confrontée à des défis majeurs, que notre pays est en état de malaise avec tout ce que cela comporte en terme de négativités, je ne crois pas exagérer. L’on comprend donc la préoccupation des responsables locaux à vouloir trouver solution à une situation qui ne saurait durer.

Arrêtons-nous au mot situation : je suis disposé à admettre que ladite situation qui sévit dans le pays n’est pas produite par un ailleurs même si la Martinique subit les influences extérieures.

Cette situation est provoquée par quoi ? Découle de quoi ? Qu’est-ce qui l’entretient ? Autant de questions qui demandent explication mais ce sera trop long. Pour ne pas faire trop long justement, arrêtons-nous à l’essentiel et ayons déjà l’honnêteté de reconnaitre que la situation en question, après état des lieux, est le produit des rapports que nous entretenons entre nous, et là, je n’écarte aucune catégorie de personnes quels que soient son origine, son rang social et surtout, sa fonction et son rôle dans la cité, puisqu’il s’agit du commerce, de la relation que nous observons et cultivons tous avec le pays. Est-il besoin de préciser qu’il y va de l’attitude et de la réaction de tous à l’égard des problèmes auxquels se trouve confrontée la Martinique. Je vous prie lecteurs de ne point me savoir mauvais gré en ajoutant ceci : Martinique love it or leave it, car le destin de ce milieu de vie est en jeu, autrement dit c’est du sérieux.

Donc, ne cherchons pas de bouc émissaire et acceptons ce truisme qui se vérifie dans le fait que la Martinique c’est d’abord l’affaire des Martiniquais et qu’elle sera ce que nous voudrions qu’elle soit. Il va sans dire et je tiens à le souligner, que je n’exclus pas la France et ne la dispense pas de ses responsabilités (sans tomber dans l’émotionnel, mais pour donner à la chose sa dimension existentielle, pourquoi ne pas citer le « to be or not to be that is the question » de Shakespeare, qui a sa raison d’être surtout par le temps qui court, quoique le to have or not to have s’impose de plus en plus).

Comment se déterminer

À ce point du raisonnement, eu égard au tracé de notre histoire et vue la façon dont se déroulent et sont traités des faits sociaux majeurs dans ce pays, n’est-il pas indiqué de mettre le génie martiniquais à l’épreuve des faits, de donner à l’expression faire peuple sa pleine traduction et efficacité sociale plutôt que de miser sur une improbable révision de la Constitution taillée à la mesure des mœurs politiques de la France « Pour survivre, a dit Césaire, il faut faire preuve de génie », à bon entendeur salut. D’autre part, l’urgence pour le développement de la Martinique doit, selon moi, se traduire en priorité chez nous, ce qui signifie que les Martiniquais qui ont du pouvoir et les moyens et qui sont donc en capacité de faire décoller ce pays mal fichu sur bien des plans, prennent leurs responsabilités et les dispositions qui s’imposent pour en faire non pas un pays de cocagne, mais une cité où la vie peut-être supportable. De ce point de vue, il serait grand temps que se joue une vrai co-construction entre le secteur public et le secteur privé en Martinique en termes de financements croisés et de politiques transversales co-gérées. Nous nous approchons là des éléments de réflexion à préconiser pour l’action et qui apparaitront dans le cadre d’un livret sous le titre : Comment comprendre le malaise martiniquais et le traiter. Avant de nous quitter, je mets l’accent sur un fait patent du système social martiniquais, à savoir que la Martinique est par excellence une société de gestion, il est temps que nous nous appliquions, en termes de prospective, à en faire aussi un pays de mission pour ce qui touche à son mode d’administration en général, ce qui signifie que sont concernés tous les paramètres qui conditionnent le destin de notre pays.

J’ajoute à cela, puisque déterminant, que nous devons mettre en application une nouvelle approche de notre développement et de nos politiques publiques.

Pour ce faire, il s’agira, dans ce petit coin de terre plein de promesses qu’est la Martinique, de cultiver une mentalité offensive au lieu de la défensive et d’avoir une démarche certes militante, mais moins empreinte d’idéologie, l’on voit ce que je veux signifier. Il nous appartient, par-dessus tout, de produire un référentiel local donc spécifique pour contrebalancer le référentiel dominant. Ou ja sav, comme on le dit si bien en se quittant.