Les Outre-mer français dans l’Atlantique : vers une diplomatie territoriale et une intégration régionale plus ambitieuse
Longtemps considérées comme des périphéries de la République, les collectivités françaises d’Amérique – la Martinique, la Guadeloupe, la Guyane, Saint-Martin, Saint-Barthélemy et Saint-Pierre-et-Miquelon – se trouvent aujourd’hui à la croisée des chemins. Entre appartenance européenne, ancrage caribéen et ambitions internationales, elles incarnent un enjeu stratégique majeur pour la France et l’Union européenne dans un bassin atlantique en pleine recomposition.
Un espace fragmenté au cœur d’enjeux géopolitiques globaux
Le bassin atlantique, et plus particulièrement la zone caraïbe, demeure une mosaïque complexe. Fragmentée par les héritages historiques, les langues et les statuts politiques, elle est aujourd’hui redevenue un théâtre de rivalités internationales. Face à l’influence grandissante de la Chine et à la réaffirmation de la présence américaine, la région se positionne comme un espace de compétition économique, diplomatique et sécuritaire.
Dans ce contexte, la présence française grâce à ses outre-mer constitue un atout stratégique majeur. Elle confère à la France une stabilité institutionnelle et une crédibilité diplomatique dans une région où la souveraineté, la sécurité et la coopération deviennent des leviers essentiels. Pourtant, malgré cet atout, l’intégration régionale des territoires français demeure insuffisante et peine à dépasser le stade des intentions.
Des progrès réels mais encore trop limités
Les dernières années ont vu émerger plusieurs avancées significatives : adhésion progressive des collectivités aux organisations régionales (AEC, OECO, Caricom), ouverture d’une ambassade française au Guyana, multiplication des partenariats sécuritaires et scientifiques. La Martinique s’apprête d’ailleurs à rejoindre la Caricom, tandis que Saint-Martin pourrait prochainement intégrer l’OECO.
Mais ces dynamiques demeurent freinées par de multiples obstacles. L’économie des outre-mer reste massivement tournée vers l’Union européenne, au détriment des échanges intrarégionaux. Les normes européennes, souvent protectrices, agissent aussi comme des barrières commerciales. La superposition d’organisations régionales aux compétences floues rend la coopération peu lisible et parfois inefficace. Enfin, la dépendance persistante envers Paris et Bruxelles empêche l’émergence d’une diplomatie territoriale réellement autonome.
Une nécessaire refondation de la diplomatie des outre-mer
Le Sénat appelle à un changement d’échelle et à l’affirmation d’une diplomatie territoriale ambitieuse, différenciée et réactive.
La création d’un Pôle stratégique de coopération régionale outre-mer, fédérant l’ensemble des acteurs institutionnels et territoriaux, constituerait la pierre angulaire de cette nouvelle architecture. Ce pôle aurait vocation à appuyer les collectivités dans la mise en œuvre de leurs programmes-cadres de coopération régionale, prévus par la loi Letchimy de 2016, et à accélérer les dossiers structurants comme l’entrée de la Martinique à la Caricom ou le retour de la France au capital de la Banque de développement des Caraïbes.
Cette diplomatie territoriale ne saurait ignorer les enjeux sécuritaires et environnementaux. Les trafics transnationaux, l’orpaillage illégal en Guyane ou la pêche illicite exigent une coopération renforcée entre les pays voisins, soutenue par des initiatives multilatérales. Le Sénat recommande ainsi la tenue d’une Conférence internationale sur la sécurité dans la Caraïbe et la création d’une Académie régionale de la sécurité, portée par la France et l’Union européenne.
Transformer les contraintes européennes en leviers régionaux
Les territoires ultramarins, qu’ils soient régions ultrapériphériques (RUP) ou pays et territoires d’outre-mer (PTOM), doivent être placés au cœur de la stratégie européenne dans la Caraïbe et en Amérique latine.
Les sénateurs préconisent la mise en place d’une Politique européenne de voisinage ultrapériphérique (PEVu), inspirée du modèle existant pour les pays du Sud et de l’Est de l’Union. Cette politique permettrait d’adapter les instruments financiers européens aux spécificités des outre-mer et d’encourager la coopération éducative, scientifique et économique régionale.
La création d’un programme Erasmus RUP, favorisant la mobilité étudiante entre les territoires ultramarins et leurs voisins caribéens, symboliserait concrètement cette volonté d’ouverture.
Miser sur les secteurs d’avenir pour renforcer l’intégration
Le développement économique régional doit reposer sur quelques secteurs clés : le transport maritime, l’agroalimentaire, la gestion des déchets et la transition écologique. La modernisation des infrastructures portuaires et la révision du cadre réglementaire du cabotage européen pourraient ouvrir la voie à une Communauté caribéenne du transport maritime régional, favorisant les échanges intra-caribéens et la souveraineté alimentaire.
La coopération environnementale représente également un axe prometteur : la mise en réseau du Parc amazonien de Guyane et du Parc national brésilien des montagnes de Tumucumaque pourrait donner naissance à la plus vaste zone protégée de forêt tropicale au monde, soutenue par les financements européens d’Interreg.
Faire des outre-mer des ponts, non des marges
Entre ambitions européennes et réalités caribéennes, les collectivités françaises d’Amérique doivent devenir des acteurs à part entière de leur environnement régional. Leur intégration ne doit plus se penser comme une extension de la métropole, mais comme une diplomatie de proximité, ancrée dans leur territoire et ouverte sur le monde.
Pour la France comme pour l’Europe, l’enjeu n’est plus seulement de « soutenir » les outre-mer, mais d’en faire des pivots d’influence, de stabilité et d’innovation dans un Atlantique en pleine mutation. Les territoires ultramarins ne doivent plus être les marges d’un continent, mais les ponts d’une nouvelle géopolitique caribéenne et atlantique.
