Recherches en Esthétique n° 21 : « La réception de l’art »

Mardi 15 mars, à 18h, ESPE de Martinique (route du phare, Fort-de-France)

recherche_esthetique_n°21Lancement du 21° numéro de la revue Recherches en Esthétique,

sur le thème « La réception de l’art »

Intervenants : Cécile Bertin-Elisabeth, Olivia Berthon et Dominique Berthet.

Vente de la revue / dédicaces ce soir là

La réception de l’art

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DIRE LA RÉCEPTION
Culture de masse , expérience esthétique et communication
— Par Laurence Allard —

La question de la réception semble devenue centrale depuis quelques années dans de nombreuses études sur les productions de la culture des médias de masse (cinéma, télévision…). En effet, à la croisée des approches critique (« cultural studies ») et empirique (« recherche sur les effets », « uses and gratifications »…), un courant d’études de réception (1) des textes des médias de masse a maintenant sa place, aux côtés des théories de la réception en littérature. Ces études nous semblent contribuer à affirmer la valeur des textes de la culture de masse, principales sources d’expérience esthétique pour la plupart d’entre nous.
Néanmoins, la notion de réception que ces études déploient paraît, au regard de celle forgée par certaines théories littéraires, quelque peu appauvrie. En effet, si l’on veut définir le cadre conceptuel d’une esthétique de la culture de masse, il ne fit pas de considérer le rôle actif du public dans le mécanisme de la signification ; il faut aussi montrer la place que les productions de la culture de masse occupent dans la vie de chacun d’entre nous. Ne doit-on pas alors faire retour sur ce qui nous semble l’enjeu principal d’un questionnement en termes de réception : la dimension herméneutique de l’appropriation ? Il s’agit de ce moment où, par-delà la concrétisation du sens par un sujet, le monde du texte rencontre celui du lecteur, pour reprendre des expressions de Paul Ricoeur (2), où les potentiels sémantiques des oeuvres viennent nourrir nos interprétations du monde. Or cette interrogation sur la portée des oeuvres pour le monde de la vie du public est au coeur des travaux de Hans Robert Jauss, auteur souvent mentionné par les promoteurs des études de réception des médias.
C’est pourquoi nous nous proposons ici d’enrichir conceptuellement l’analyse de la réception dans le champ des médias de masse, en même temps que d’élargir le domaine d’investigation de l’esthétique de la réception jaussienne hors de la sphère des beaux-arts canoniques. Cet article voudrait tenter une « fusion des horizons » de deux traditions : les études culturelles anglo-saxonnes et l’esthétique herméneutique germanique. Nous commencerons par clarifier et enrichir conceptuellement la notion de réception, qui est souvent réifiée dans les études de réception des médias de masse. En réintroduisant la dimension de l’appropriation dans les études de réception des textes de la culture de masse, nous rappellerons aussi comment Jauss, à travers son esthétique de la réception, réhabilite la fonction pratique de l’expérience esthétique. Ses propositions sont indissociables d’une exigence normative de rétablissement d’une continuité entre sphère esthétique et sphère pratique : c’est en envisageant l’expérience esthétique comme expérience de communication que cet auteur spécifie la dimension pratique de l’art.
Le déplacement conceptuel de la réception à la communication, initié par Jauss dans l’esthétique de la réception, sera systématisé, dans une perspective proche de la Théorie de l’agir communicationnel d’Habermas. On pourra ainsi intégrer les objets de la culture de masse au projet de Jauss de rétablir un lien entre sphère pratique et sphère esthétique. Nous montrerons en particulier comment les textes de la culture de masse, en répondant à des questions liées à notre existence quotidienne, nous font communiquer avec autrui ; comment nos expériences esthétiques, indissociablement liées à la compréhension et au jugement de goût, sont concrètement engagées dans le flux de nos conversations ordinaires.
La réception : de la littérature à la télévision
L’intérêt porté au phénomène de la réception des productions des médias de masse a supposé un changement de paradigme dans les champs respectifs des « cultural studies » anglo-saxonnes et des études empiriques des médias. Il s’agissait de prendre en compte le rôle déterminant du lecteur ou du spectateur dans la construction sociale des significations des textes et de leurs signifiés idéologiques. S’ouvrait ainsi dans les études culturelles l’ère de la « démocratie sémiotique », selon l’expression de John Fiske, après des décennies decritique idéologique d’une culture de massealiénant les pauvres victimes qui constituent son public. On allait désormais considérer les textes des médias comme polysémiques, comme ouverts à des interprétations multiples de la part de téléspectateurs actifs et créatifs.
Les études de réception des médias : du public à la réception
Ce changement de paradigme peut aussi être interprété comme une convergence entre l’approche critique des études culturelles et l’approche empirique des recherches sur les médias, autour de la question du public (3). En effet, le public n’a longtemps été qu’une figure fantôme, tant dans les études culturelles, longtemps dominées par l’analyse textuelle d’inspiration structuraliste, pour laquelle il n’était que
signes à cerner au creux du texte, que dans les recherches sur les médias, où il se trouvait réduit à un taux d’audience ou à un effet quantitativement mesurable des messages médiatiques. Ce n’est que lorsque les chercheurs se sont interrogés sur le rôle du spectateur ou du lecteur dans la production du sens d’un texte audiovisuel qu’ils ont rencontré le phénomène de la réception.
Qu’est-ce que la réception pour les études des médias ?
Ce fantôme qu’était le public a pris corps ces dernières années, dans de multiples études sur la façon dont tel ou tel public produisait activement le sens d’un texte de la culture de masse et y trouvait un plaisir spécifique. Ces études ont développé des méthodologies propres, visant à saisir la réception in situ, c’est-à-dire dans ses conditions concrètes habituelles. Elles ont utilisé des techniques d’enquête variées, allant de l’observation participante à l’enregistrement de séances de visionnement, en passant par l’étude de documents internes, type agendas, ou par des interviews approfondies. Elles ont donné lieu à un courant de recherche composé, en grande partie, d’études ethnographiques de la réception des médias dans ses divers contextes culturels et sociaux. Celles-ci ont privilégié la méthode des entretiens, qui consiste à recueillir, par le biais d’interviews individuelles ou collectives, des « comptes rendus de réception » (4) pendant ou après la diffusion d’un programme télévisé, d’un film, etc.
Cette méthodologie n’est pas sans soulever quelques problèmes, mais le plus problématique est la conception de la réception sous-jacente. En sollicitant des commentaires sur un texte ou sur un programme pour étudier leur réception par un public, ces études privilégient les « verbalisations », traitées comme des prolongements discursifs externes de la réception. Elles considèrent donc celle-ci comme une expérience en soi, ineffable, que seuls des commentaires rendraient acessible au chercheur. Comme l’indiquent Kay Richardson et John Corner, de tels comptes rendus verbaux permettent de « lire la réception » (5).
Bref, ces études de la réception des productions de la culture de masse semblent fondées sur une conception peu approfondie du phénomène même de la réception. Or l’étude de ce phénomène a fait l’objet, il y a plus de vingt ans, d’un changement de paradigme dont Hans Robert Jauss a été le principal initiateur.
Un retour sur ses travaux peut donc apporter quelques lumières sur la nature de la réception d’un texte ou d’une oeuvre…;

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