Ray Lema, acrobate de l’équation, citoyen concerné

ray_lemaHeadbug, son nouveau album, est sorti vendredi. À la tête d’un groupe arc-en-ciel, le maestro franco-congolais envoie valser les étiquettes.

« Le Jazz n’est pas une musique, c’est une attitude », c’est une phrase de Miles Davis que Ray Lema a fait sienne, car elle correspond à la manière dont il envisage la pratique du jazz. Ray Lema ne se considère pas comme un jazzman, mais préfère mettre en avant son travail de compositeur à l’écriture singulière, à travers la pratique d’un jazz décomplexé et personnel, qui ne cherche pas imiter les américains. Une musique portée par l’esprit de groupe, où la fraternité et l’entente sont au service d’un discours créatif et imaginatif. Un groupe cohérent, où chaque musicien est à l’écoute de l’autre, et joue avec l’autre, dans tous les sens du terme. Une tribu soudée, où la basse et la batterie construisent les fondations, le piano, les indispensables ornements, et où le saxophone et la trompette partent dans des envolées lyriques dans d’entêtants contre-chants simultanés. Une formation, où la musique circule librement, mais dans une direction précise, guidée par l’énergie du groove, le sens de la mélodie, et une subtile recherche harmonique. Des compositions originales écrites pour un quintette exceptionnel et multiculturel qui, quatre ans après un premier essai concluant (« VSNP »), revient avec force et fracas dans la cour des grands du jazz.

Si « Headbug » signifie « Prise de tête », ce n’est pas pour qualifier l’ensemble de cet album fluide, limpide, et remarquablement bien construit, mais uniquement le titre éponyme qui ouvre le disque, où Ray Lema s’est effectivement « pris la tête » pour trouver une structure harmonique cohérente et efficace pour magnifier ce morceau au groove particulièrement dynamique et foisonnant. Une entrée en matière exemplaire qui va se prolonger tout au long de cet album riche et varié, où l’afro-beat irrésistiblement dansant, peut céder la place à de belles mélodies sous forme de langoureuses ballades sensibles (Nâab, Ulagaresh). Un jazz africain porté par des rythmes acrobatiques, qui s’amuse à faire des clins d’œil au Brésil, à travers une relecture très originale de « Samba De Uma Nota So » de Jobim et une composition insolite où se marie funk et samba : « Mira ». Un jazz dense et multiple qui arrive à marier rythme afro-cubain et chanson française (Mon Bel Amour) et à rendre un très bel hommage à l’ainé, au grand frère, le marabout de la musique africaine : Mr Manu Dibango, impressionnant (et inattendu) au Marimba dans « No Hiding ».

« Headbug » propulse le jazz hexagonal hors des sentiers battus, vers des rivages aux formes et aux couleurs musicales rarement explorées, pour un voyage aux paysages luxuriants et touffus, où l’énergie côtoie la poésie dans le meilleur des mondes.

Lionel Eskenazi

Jazz Musiques Productions

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