Racisme  et déni républicaniste-2

Deuxième partie: suite de Racisme  et déni républicaniste-1.

— Par Jacky Dahomay —

Nous avons voulu, dans la partie précédente, montrer le lien qu’il pouvait y avoir entre certaines pratiques policières et le racisme. Insistons d’abord sur un fait : la pratique quasi constante de contrôles d’identité par la police française est une atteinte à la liberté de circuler. Si on peut les justifier dans des cas précis et isolés, suite à de graves incidents, il n’est pas normal que des citoyens soient régulièrement contrôlés, à la sortie de du métro par exemple. Cette pratique a d’ailleurs été jugée inadmissible par les Anglais et par les Allemands.

Ensuite, ces contrôles sont nécessairement ciblés et vise une population bien particulière. Ainsi a-t-il pu exister une « police des Noirs » après l’abolition de l’esclavage dans les colonies, la police des Juifs sous Vichy et une « police des Arabes » sous la 4° république et sous les débuts de la cinquième. Dans son livre, Les origines républicaines de Vichy, l’historien Gérard Noiriel nous dit que c’est une pratique qui s’est développée sous la III° République. C’est qu’il y a eu précise-t-il, une véritable « révolution identitaire » qui se produisit dans les dernières décennies du XIX° siècle. C’est à cette époque qu’apparaît selon lui « comme un moment de fondation dans l’histoire des pratiques administratives d’identification des citoyens ». C’est parce que s’est popularisée toute une série de théories racistes dans la diffusion du néonationalisme. Citons Georges Vacher de Latour, Théobule Ribot (pourtant le grand philosophe de la théorie républicaine), Gustave Le Bon et bien d’autres. Tous mettent l’accent sur l’hérédité dans la formation de l’identité collective, soit en la fondant sur la race, ou sur la culture et la géographie. Un seul fait exception, Emile Durkheim, mais il est isolé et ses théories ne circulent pas dans l’opinion. Enfin, c’est sous la troisième république qu’apparaît pour la première fois une loi de « déchéance de la nationalité » qui sera renforcée par Vichy et réapparaîtra bien plus tard, avec François Hollande, approuvé par la quasi-totalité des députés et sénateurs présents lors du fameux congrès. Tout se passe donc comme s’il y avait dans l’histoire du républicanisme français quelque chose qui na pas été pensé, qui a été éliminé ou refoulé, mais qui toujours fait un retour inattendu. Mais poursuivons notre analyse des déclarations du président Macron, car c’est comme si à travers lui, c’était l’ancien monde qui essayait de ressurgir.

La république peut-elle déboulonner des statues ?

Comment donc notre président de la république, comment peut-il dire que la république n’effacera aucun nom ? Qui a dit le contraire ? Les mouvements anti-racistes disent qu’il vaut mieux nommer les choses et les personnes afin de ne pas occulter la vérité historique. Quant au déboulonnement des statues, il n’appartient pas au président de décider de ces choses. Ce sont les mairies qui baptisent les rues ou les débaptisent. Plus fondamentalement, Emmanuel Macron a une étrange conception de l’histoire. C’est comme s’il confondait histoire et mémoire à l’opposé de son supposé maître Paul Ricoeur. Il oublie, pour parler en termes phénoménologiques, que toute mémoire est celle d’une conscience mémorisante qui vise le passé pour donner sens au présent avec le risque bien sûr d’une mythologisation de l’histoire. Il a une conception de l’histoire, toute linéaire, comme si c’était elle qui progressivement déposait des statues sur son passage, comme le fait le Petit Poucet sur sa route en disséminant des cailloux pour retrouver son chemin. Macron a donc une conception qu’on pourrait qualifier de petitpoucettiste de l’histoire. La république dit-il ne déboulonnera pas des statues. Oublie-t-il que le 14 août 1792, l’Assemblée avait exigé que soit déboulonnées les statues symbolisant l’Ancien régime sur les places publiques ? La révolution française qui instaura la république avait déclenché une grande passion iconoclaste, si on peut ici utiliser ce terme. Pas de révolution démocratique sans émotions démocratiques. Mais il est vrai que de telles passions peuvent comporter des excès. Il appartient aux élus, tant au plan local qu’au plan national, de se prononcer à ce sujet suite à des délibérations. En ce sens, le déboulonnent de la statue de Schoelcher par un groupe de jeunes en Martinique est une grave erreur, dénoncée d’ailleurs par des historiens, des écrivains martiniquais et le Maire de Fort de France. On ne sait si cette erreur relève d’une sorte de « maladie infantile » de nouveaux mouvement identitaires. Si les statues sont un bien public, de quel droit un groupe minoritaire, se prenant pour tout le peuple, peut-il s’autoriser à les détruire ? S’il y a bien un républicain français à avoir milité pour l’abolition immédiate de l’esclavage en1848, contrairement à ce que préconisait Lamartine, c’est bien Victor Schoelcher, d’où l’immense sympathie que lui témoignaient Guadeloupéens et Martiniquais. Il fut d’ailleurs élu député de la Guadeloupe avec pour assesseur un ancien esclave, Louisy Mathieu. Ce n’est pas lui qui avait établi le système de réparations aux colons mais Louis Bonaparte qui avait renversé la II° république. Notons que Schoelcher, comme son ami Victor Hugo, ont refusé de vivre sous le second empire et ont choisi l’exil. C’est ensuite que le pouvoir colonial a utilisé le nom de cet éminent républicain pour faire croire que les Antillais ne s’étaient pas battus contre l’esclavage.

Lorsque que le président parle de statues à ne pas déboulonner on devine qu’il a en tête la statue de Colbert qui trône devant l’Assemblée nationale. Je dois avouer, non sans une certaine honte, que j’ignorais totalement qu’il y avait cette statue de Colbert devant l’Assemblée nationale. Je l’ai appris lors de ces derniers événements et la chose m’a en vérité choqué. J’ai été surpris par la prise de position de certains historiens défendant la présence de cette statue. Ainsi, dans un tribune publiée dans le Monde, l’historien Jacob Soll affirme tranquillement : « Il (Colbert) représente souvent l’antithèse du néolibéralisme (…) mettre Colbert dans le palais des représentants du peuple, c’est signifier que ce sont eux et non plus le roi ou l’empereur qui ont la main sur le gouvernement (…) retirer Colbert de l’Assemblée nationale, ce serait donner satisfaction à Bonaparte qui avait avec tant de force avait repris le gouvernement des mains du peuple et de la république »

Effarant ! comment un historien connu, dans un quotidien de renom, peut-il commettre un tel contresens historique ? A l’évidence, la rationalité exigée de la science historique s’est effacée devant ce qui semble être une sorte de pulsion inconsciente. Venons-en aux faits : les républicains de 1792 avaient effacé les symboles et statues de l’Ancien régime. Or, Colbert, n’est-il pas le signe même de la monarchie absolue de Louis XIV ? Comment se fait-il que sa statue pose devant l’Assemblée nationale, qui l’y a placée ? Les républicains comme le laisse entendre Jacob Soll ? Pas du tout ! C’est l’empire sous Napoléon Bonaparte qui en 1808, après avoir rétabli l’esclavage et le Code Noir dans les colonies d’Outre- Mer, prit la décision de placer la statue de Colbert devant l’Assemblée nationale. Comment Soll peut-il donc déclarer que ce serait faire plaisir à Bonaparte que d’enlever une telle statue si c’est lui qui l’y a placée ? Ensuite, peut- on affirmer que Colbert est l’antithèse du néolibéralisme qui n’existe pas encore à cette époque ? L’historien confond libéralisme et néolibéralisme. Si le premier exige moins d’Etat le second au contraire requiert l’intervention de l’Etat, mais un Etat réduit à sa plus simple expression, ce qui renforce les tendances autoritaires et les répressions policières. Beaucoup de démocraties gouvernées par la logique néolibérale aujourd’hui tendent vers l’Illibéralisme. On pourrait se demander si le néolibéralisme n’est pas une nouvelle forme, inédite, de mercantilisme. Mais ce ne sont là que des hypothèses sans qu’on puisse être sûr de leur valeur heuristique.

Cela dit, Jacob Soll énonce indirectement une vérité. Quand il dit que Bonaparte « avec tant de force avait repris le gouvernement des mains du peuple et de la république » cela signifie, après la restitution faite de la vérité historique, que la statue de Colbert, placée devant l’Assemblée nationale sous l’empire, symbolise la volonté de l’empereur de soustraire le gouvernement aux mains du peuple et de la république. Par un tel détour, nous comprenons le sens de la présence de la statue de Colbert : elle est une insulte faite au peuple et à ses représentants. On saisit mieux pourquoi l’empereur a voulu valoriser Colbert. Car Colbert n’est pas que le Code Noir -ce qui est déjà beaucoup- ou plutôt cet édit sous Louis XIV renvoie de façon plus générale à la gouvernementalité du Roi Soleil. Il s’agit d’affirmer un pouvoir d’Etat qui, avec sa dimension policière et administrative, domine totalement l’ensemble de la société et étouffe toute forme de contestation politique. Gérard Noiriel affirme que « c’est le règne de Louis XIV qui a joué, en effet, un rôle essentiel dans la formation de l’habitus national français ». En ce sens, si l’esclavage en soi est un crime contre l’humanité, l’interprétation du texte juridique qui le codifie ne doit pas se perdre dans l’anachronisme de sentiments moraux à ce sujet. On ne peut ni traiter le Code noir de « monstruosité juridique » comme je l’avais déjà reproché à Sala Molins, ni affirmer qu’il avait pour fonction d’«humaniser » la condition des esclaves ni non plus de déclarer, comme le font un collectif d’historiens dont Mona Ozouf, Michel Winock et d’autres, dans une tribune du Monde,  qu’il s’agissait « d’une tentative afin  d’adoucir (oh certes très peu) le sort terrible de de ceux qui en étaient victimes (les esclaves) ».

Presque que tous les systèmes esclavagistes dans le monde ont connu des codifications. Il s’agissait pour le pouvoir des Etats de s’affirmer sur l’ensemble de la société esclavagiste, d’avoir seuls le droit de vie et de mort sur les esclaves. Dans un tel cadre, le Code noir a pour fonction de passer d’une pratique esclavagiste à son institutionnalisation. Il s’agit donc d’assurer une unification de la gouvernance sur l’ensemble des territoires français, fussent-ils coloniaux. En ce sens, il faut comprendre pourquoi l’article 1 commande de chasser tous les Juifs de la colonie et que l’article 3 affirme que la seule religion qui doit être appliquée dans les colonies est la religion catholique, apostolique et romaine. C’est une forme d’essentialisation de l’identité collective donc toujours potentiellement mortifère. La même année 1685 d’ailleurs, l’Edit de Nantes est révoqué et la chasse aux protestants peut commencer. C’est un tournant opéré par rapport à Henry IV et qui est une régression quant aux droits de l’homme. Comment l’expliquer ?

Dans son livre, Philosophie de la république (Ed. Plon) Blandine Kriegel, s’opposant à Marcel Gauchet, affirme que c’est une illusion de croire que la France est le pays des droits de l’homme. C’est que les droits de l’homme ont une histoire. Elle cite : La Magma Carta de 1215, le Bill of right de 1689, la déclaration d’indépendance américaine de 1776, la Hollande de Jean de Witt et de Spinoza, le Florence de Savonarole, la relecture de la Bible à la Renaissance. Et elle précise que « c’est sous la série Henri IV, Richelieu, Mazarin que se constitue en quelque sorte, avant la dérive impériale de Louis XIV, une proto histoire du régime républicain ». Alors que s’effectue une nouvelle pensée du politique à partir des textes d’Aristote sur la république, une pensée de la république qui tourne le dos au droit romain et à la théorie qui fonde le pouvoir sur la lance (la citoyenneté quiritte), la pensée républicaine qui progressivement se met en place, pense le pouvoir par la loi. Certaines royautés européennes évoluent vers une sorte de reconnaissance du parlement. En France par exemple, dans la période citée, le chancelier est le second personnage de l’Etat. Avec Louis XIV il y a rupture. Le chancelier est remplacé par le superintendant des Finances, Colbert. On passe d’un Etat de justice à un Etat administratif qui plus tard donnera beaucoup de pouvoir aux Préfets. Le rôle économique de Colbert par ailleurs est de fonder une nouvelle fiscalité et de développer des industries pour financer les guerres de Louis XIV, les couches populaires ne voulant plus assumer les dépenses qu’occasionnaient les guerres du roi. Il développe des académies diverses, de science et de culture, mais pour les soumettre à l’autorité du roi. Bref, le cas de Colbert est lourd, très lourd, comme symbole anti-républicain. Les républicains authentiques doivent exiger que sa statue soit, non pas détruite (car Colbert demeure une figure importante de l’histoire de France) mais déplacée dans un autre lieu que l’Assemblée nationale. Car la laisser là, alors qu’elle y a été posée par l’empire, ce serait donner raison à Bonaparte lequel « avec tant de force, avait soustrait le gouvernement des mains du peuple et de la république », pour reprendre l’expression de Jacob Soll.

La république en France, a toujours été vacillante dans l’histoire effective du pays. Loin de tout déni, il faut le reconnaître. La première république est instaurée en France en 1792 et la III° est constitutionnalisée en 1875. Si ont fait le décompte, les deux premières républiques ont été éphémères, 11 ans au total pour les deux sur près d’un siècle. Quant à la III°, la plus longue, son premier président, Mac Mahon, est un royaliste. Elle est née après le massacre de la commune de Paris. Elle est secouée par l’affaire Dreyfus, par des scandales, par une montée sans précédent du nationalisme, surtout par une politique impériale colonialiste agressive et finira par donner les pleins pouvoirs à Pétain, le Front populaire -donc les socialistes- vote avec 569 voix pour contre 80 voix, ce que dénoncera Léon Blum. La déclaration des droits de l’homme, qui était le préambule de la Constitution de la I° république a disparu. Elle réapparaîtra un siècle et demi après, dans la Constitution de la IV° République en 1946. La même année, commence le massacre de Sétif et les guerres contre les mouvements de décolonisation. La V° commencera à partir de ce que Mitterrand a appelé le « coup d’Etat » du Général de Gaulle qui se légitime tout de suite par un référendum. Le régime établi est résolument ce qu’on a appelé une « monarchie présidentielle ». C’est sous le régime gaullien que se sont commis les massacres perpétrés par les forces de l’ordre dans les rues de Pointe-à-Pitre en 1967. De nos jours, cette république semble entrer dans une grave crise avec la montée de l’extrême droite, qui a été à deux reprises au second tour des élections présidentielles et dont la candidate Marine Le Pen est donnée comme certaine d’être présente au second tour des prochaines élections présidentielles.

On me reprochera sans doute de simplifier plus d’un siècle d’histoire. C’est possible, je ne suis pas historien. Mais j’essaie de jeter un regard philosophique sur le sens de cette histoire. Ce qui pose problème, c’est que la France est le pays des philosophes des Lumières et de la grande Révolution française, considérée comme la première de l’histoire de l’humanité. Ses luttes sociales intenses, avec leurs réclamations constantes d’égalité et de justice ont beaucoup donné à penser aux philosophes allemands, Kant, Fichte, Hegel, Marx et bien d’autres. J’ai connu des Algériens qui avaient rejoint le FLN et qui m’avouaient que l’histoire de la révolution française qui leur était enseignée à l’école les avaient aidés dans leur engagement anticolonialiste. Mandela je crois avait reconnu (il me semble que c’est à Mitterrand) l’influence que cette partie de l’histoire de France avait eue sur lui. Les Français sont fiers de cette histoire et ils ont raison. Or, dans le même temps, comme l’a montré Olivier Grenouilleau dans Qu’est-ce que l’esclavage ?, c’est en plein siècle des Lumières et dans la modernité triomphante que le commerce des esclaves atteint son apogée et que se développe dans les colonies le racisme qui s’introduit aussi dans la métropole. C’est la même France qui maintient l’esclavage et le Code Noir jusqu’au milieu du XIX° siècle et qui l’abolit donc après l’Angleterre, la même qui a massacré les hommes et leurs droits fondamentaux sur trois continents et qui a connu des luttes de décolonisation les plus sanglantes. On me dira que ce n’est pas la même France, qu’il y a une bonne et une mauvaise et que c’est la première qu’il faut valoriser. C’est ce qui a été fait dans les colonies d’Amérique ce qui expliquerait le fort attachement des Antillais à l’idéal républicain. La chose est bien analysée par la Martiniquaise Silyane Larcher dans son livre L’Autre citoyen, préfacé par Etienne Balibar (Ed. Armand Collin). Mais le problème est que dans la construction de l’identité collective, cette mauvaise France a été refoulée, déniée, surtout à partir de la III° République. Blandine Kriegel n’a-t-elle par raison d’affirmer que : « La philosophie républicaine, avouons-le franchement, n’a nullement dominé les XIX° et XX° siècles » ?

Pour en revenir à notre petit roi Macron, nous avons dit que trois choses avaient persisté en France après la révolution française : une conception du pouvoir hérité de Louis XIV et de Colbert, une remontée constante de l’impérialisme et un nationalisme refoulé. Concernant le premier point, c’est clair : le président Macron a déclaré : « La démocratie comporte toujours une forme d’incomplétude, car elle ne suffit pas à elle-même. Dans la politique française, cet absent est la figure du roi ». On ne peut pas être plus clair ! Il revendique sa conception jupitérienne, c’est-à-dire impériale du pouvoir, héritée de Louis XIV. On comprend qu’il ait voulu renforcer le pouvoir policier. C’est lui qui avait fait venir Lallemant de Bordeaux, connu pour ses tendances ultra répressives, pour le nommer Préfet de Paris. Plus grave : nul président de la V° république n’aura tant écarté les corps intermédiaires et affaiblit l’Assemblée nationale. Concernant le nouveau gouvernement, notons au passage, alors que le ministre de la justice était, dans l’ordre protocolaire, un personnage important de l’Etat, le protocole d’aujourd’hui donne au garde des sceaux actuel une place très secondaire. N’est-ce pas une manière de s’écarter encore plus d’un Etat de justice ?

Patriotisme républicain ou nationalisme déguisé ?

Quant à la problématique impériale, sa persistance est claire dans l’histoire de la France comme nous l’avons montré dans notre développement. Ajoutons que sous la V° république s’est poursuivie en Afrique une politique néocoloniale et nombreux sont les Maliens qui aujourd’hui accusent la France, sous couvert de lutte contre les terroristes islamistes, de chercher à avoir un contrôle sur les richesses minières du Sahel.

A propos du nationalisme, les choses sont plus compliquées et mériteraient de longs développements. Nous y reviendrons dans une prochaine intervention. Lorsque Macron nous invite à nous unir autour d’un « patriotisme républicain » on pense en premier temps qu’il veut faire la distinction philosophique entre la théorie nationaliste et la théorie républicaine de la nation. Or, cette notion a été utilisée surtout par Jules Ferry. Clémenceau a dénoncé vivement cette expression de Ferry. Je parlerai de patriotisme républicain disait-il si le pays était menacé par une invasion venue de l’extérieur. Clémenceau dénonce, tout comme Schoelcher, les ambitions impériales et colonialistes de Jules Ferry. Pour certains analystes, la notion de « patriotisme républicain » a pour fonction de préparer une guerre à venir et ce sera bien sûr la première guerre mondiale à laquelle Jaurès, animé de positions internationalistes, s’était opposé. Il fut assassiné.

On peut dire que c’est en France que s’est développée la théorie nationaliste alors qu’on veut nous faire croire qu’elle est venue essentiellement d’Allemagne. Elle se radicalise surtout à la fin du XIX° siècle et s’épanouit au début du XX° siècle. On pense surtout à Barrès, Louis de Bonald, Joseph de Maistre, Maurras et bien d’autres, mais elle est diverse et fait une large place à l’antisémitisme. Maurras a exercé une forte influence sur les intellectuels français de l’époque. Le théoricien nazi Carl Schmitt lui-même, dans Théologie politique, revendique sa dette vis-à-vis de ces penseurs français que lui avait fait découvrir l’ambassadeur espagnol en France, Donoto Cortes. La troisième république est donc traversée par une forte tension entre républicanisme et nationalisme et opère une synthèse entre les deux et cela a donné le « patriotisme républicain » d’un Jules Ferry que reprend Macron. Or, dans cette lutte, c’est une authentique pensée républicaine qui s’en est allée au gouffre, ce pourquoi Clémenceau pouvait déclarer que la république reste encore à faire. Quant à la philosophie des Lumières, elle n’est nullement dominante. Comme l’affirmait l’historien israélien Sternell (qui vient de nous quitter) à RT France en 2019 : « Le nationalisme dur et violent fait partie intégrale de l’histoire et de la culture française » et « La France a deux traditions : Lumières et anti-Lumières. Lorsque que la tradition anti-lumières descend dans la rue, la France n’est pas immunisée contre cela ». En ce sens, pour Sternell, « les origines du fascisme sont françaises » et Vichy, que Maurras nommait « une divine surprise » n’est pas vraiment un accident de l’histoire de France et ce n’est pas la défaite qui a créé Vichy avec ses lois raciales de 1940. On comprend que de telles thèses aient été vivement critiquées en France.

Tout cela nous montre cependant, comme l’écrivent les historiens Jacques de Saint Victor et Thomas Branthôme dans leur Histoire de la république en France, que l’on a de plus en plus de mal à cerner ce qu’est la république en France. « La République suscite des conceptions et des approches très contradictoires au point qu’elle est devenue aujourd’hui un mystère ». Nous ne prétendons pas pour notre part élucider tout ce mystère, toute cette mystique républicaine dont parlait Charles Péguy. Ce dont nous sommes sûrs, c’est que le républicanisme en France aujourd’hui repose sur un déni constant de sa propre histoire, comme si, non pas tout, mais quelque chose du colonialisme et de l’esclavage avait été profondément refoulé. Il me semble que c’est le racisme.

Mais cela ne signifie pas que celui qui dénie le racisme soit lui-même raciste. On ne peut accuser Macron de racisme. On ne peut non plus affirmer que la grande majorité des Français soit raciste,.On ne peut définir la France comme un pays raciste mais plutôt comme un pays dans lequel le racisme est le plus refoulé. Quand je dénonce le racisme de gens comme Renan ou Jules Ferry, beaucoup me font la même réponse : « Ce sont les préjugés d’une époque ». Il est vrai que tout homme a ses faiblesses et qu’il ne faut pas regarder les grands hommes essentiellement côté cour mais surtout côté jardin. Hegel disait qu’il n’y a pas de héros pour son valet de chambre, lequel perçoit le héros dans sa vie privée avec toutes ses faiblesses. Mais ajoutait le philosophe, ce n’est pas que le héros ne soit pas un héros mais parce que le valet de chambre n’est qu’un valet de chambre. Je souhaite donc que les mouvements anti-racistes et féministes, dans leur passion déboulonnatrice, ne sombrent dans le valet de chambrisme. Si tel était le cas, on n’en finirait pas de déboulonner. Si le mouvement féministe est légitime, l’expression « balance ton porc » ne l’est pas. Comparer un homme, même coupable, à un porc, relève du racisme le plus potentiellement mortifère car c’est une animalisation de l’autre qu’on retrouve souvent dans les théories racistes. Comparer la garde des sceaux de l’époque, Christiane Taubira, lors de manifestations publiques, à un singe est du racisme qui n’a pas été condamné avec force et publiquement par les socialistes au pouvoir ni publiquement par le premier ministre Manuel Valls lequel d’ailleurs déclarait que les Roms n’avait pas vocation à être intégré. Ce sont là des formes de déni du racisme.

Mais pour en revenir à Renan et à Jules Ferry, il y a là un vrai problème et on ne peut parler de simples préjugés comme le laisse entendre Mona Ozouf dans son livre sur Jules Ferry. Il faut, du -moins me semble-t-il- aller plus loin. Selon Hannah Arendt, Renan est le premier à avoir théorisé la supériorité d’une race sur une autre. Dans une conférence donnée le 29 mai 1883, l’auteur de Qu’est-ce une nation ? parle de « la nullité intellectuelle de certaines races ». Il oppose les races supérieures, composées essentiellement des Aryens avec les races inférieures notamment celle des musulmans qui incarnent donc selon lui l’essence du sémitisme. Peut-on encore parler de simples préjugés car une telle conférence publique est adressée en principe à des savants ? Quant à Jules Ferry, que penser de sa célèbre déclaration à l’Assemblée : « Messieurs, il faut parler plus haut et plus vrai. Il faut dire ouvertement qu’en effet, les races supérieures ont un droit vis-à-vis des races inférieures parce qu’il y a un devoir pour elles. Elles ont le devoir de civiliser les races inférieures ». Peut-on affirmer à partir de là comme l’écrit Mona Ozouf que « la colonisation devait cependant faire surgir des nations sœurs et des hommes libres » ? J’avoue à avoir du mal à saisir de la fraternité et de la liberté ou même de la sororité dans la colonisation. Disons-le tout net : la colonisation fut une immense saloperie, tout à fait déshumanisante, avec ses massacres, son racisme, où l’homme et ses droits fondamentaux furent broyés sur plusieurs continents. Une négation radicale du droit des peuples. Ces derniers payèrent chèrement leur liberté dans des luttes extrêmement sanglantes de décolonisation.

De tel propos de Jules Ferry, d’un racisme indéniable, ne pas sont de simples préjugés énoncés dans l’espace privé. Ils sont prononcés dans une Assemblée et engagent une politique publique. Il s’agit donc de saisir le lien structurel entre un tel racisme et le républicanisme de l’époque lequel détermine pour une large part le républicanisme français d’aujourd’hui. Pourtant Mona Ozouf nous donne une piste lorsqu’elle écrit : « La révolution française s’est inscrite en faux contre l’idée de tradition et tout l’effort de Ferry, assurément acrobatique, est de faire percevoir cette rupture comme une tradition ». Notons que c’est ce même « effort acrobatique » qu’opère Renan, ami de Ferry, lorsqu’il déclare d’un côté que la nation est contrat, un « plébiscite de tous les jours » et en même temps le résultat d’une longue tradition.

La confrontation avec le nationalisme qui fonde le lien civil sur la tradition est redoutable. En effet, peut-on nier que toute nation a une histoire donc des traditions culturelles spécifiques dont elle hérite ? Il faut tout de même être un Miche Onfray pour affirmer, comme il l’a fait le 15 juillet sur Cnews, que la nation française remonte jusqu’aux temps des hommes préhistoriques ! Comme si à cette époque quelque chose comme un « nation » pouvait exister. Bientôt on va nous faire croire que les Lumières en France ont pour origine la guerre du feu ! Pour les républicains, la nation est volonté, la nation est contrat. « L’histoire n’est pas notre code » disaient des révolutionnaires de 1789. La nation comme héritage, c’est ce que Jean-Jacques Rousseau dans le Contrat social nommait la société générale. Mais celle-ci, quoiqu’issue d’une longue tradition, est le lieu d’injustices, d’inégalités ou l’homme est souvent un loup pour l’homme. C’est par le contrat que la société se fait politique et se pose comme communauté de citoyens, se fondant sur culture politique (et non nationaliste) commune. Mais cette liberté en acte des citoyens sur quel fondement transcendant peut-elle reposer si ce n’est sur la tradition ? Dieu ? Mais comme l’a dit Claude Lefort, la démocratie est le régime qui laisse indéterminé le fondement ultime de la loi, du pouvoir et du savoir. Vouloir y remplacer Dieu par un athéisme comme le pensent certains laïcards républicanistes, c’est faire, en une sorte de néo théologie-politique, de l’athéisme une religion. Cette indétermination du fondement est ce que Jacques Richir nomme Le sublime en politique, titre de son livre. C’est parce que Robespierre avait fait l’expérience de ce sublime qu’il avait eu la tentation de la Terreur. Qu’en est-il pour Jules Ferry ?

Là encore, Mona Ozouf nous met sur la voie d’une réponse possible : « La fidélité à l’héritage est ce qui vient, chez cet athée déterminé, combler le vide spirituel des temps démocratiques ». Autrement dit, Ferry aurait lui aussi fait l’expérience du sublime. Mais sa réponse n’est-elle pas une problématique de terreur possible ? Ce que Mona Ozouf malheureusement ne dit pas, c’est que la solution de Ferry est une trahison des principes républicains qui ouvrira un nouveau cycle pour le républicanisme français. Car pour un républicain authentique, même si la politique se déroule dans des conditions déterminées par l’histoire, le fondement du politique en république ne peut être la tradition car il est celui d’une volonté toujours libre. Chercher donc le fondement ultime dans la tradition relève d’une théologie politique inconsciente du peuple-un. Hannah Arendt a eu raison de voir que l’insistance sur la tradition peut-être une justification possible de l’impérialisme. A partir de là, avec Ferry, les guerres colonialistes trouvent une justification. C’est à cette période, qu’on fait du 14juillet une fête essentiellement militaire, à faire pâlir d’envie Poutine et Kim Joung Un. Est-ce un retour à la citoyenneté quiritte des romains que Louis XVI avait commandé à Louis David de symboliser dans le fameux tableau Le serment des Horaces, où la femme est ravalée au second plan et où surgissent les guerriers en armes ? Je n’ai pas la réponse à une telle question. Mais ce qui est sûr, c’est que la tradition dite républicaine comporte aussi ses errements et les historiens ont insisté sur la persistance de l’Ancien régime dans cette tradition jusqu’à… notre président obsédé par la figure des rois (on ne sait pas pour celle des reines). Mona Ozouf nous dit que c’est la puissance argumentative de Clemenceau qui a précipité la chute de Jules Ferry, celui que l’on surnommait le « Tonkinois ». Mais pour les historiens De Saint-Victor et Branthôme, c’est parce qu’on a découvert qu’il était lié avec son frère, Charles Ferry, grand homme d’affaires qui disposait de fonds importants dans la banque d’Indochine et qui l’encourageait à la conquête du Tonkin. Signe donc incontestable de corruption. Certains de mes amis ne comprennent pas que le défenseur de l’école républicaine que je suis puisse être aussi critique vis-à-vis de Jules Ferry. Précisons que bien avant le décret de Jules Ferry, ce sont les républicains antillais, le Conseil général de la Martinique et celui de la Guadeloupe, qui avaient pour la première fois proclamé l’école laïque et obligatoire pour tous pour afin de lutter contre les congrégations religieuses qui avaient la main sur l’enseignement dans la colonie. Enfin, l’école de Jules Ferry s’oppose à l’instruction publique de Condorcet pour devenir éducation nationale. Il s’agissait comme l’a montré Suzanne Citron dans Le mythe national, de construire une légende, une transformation de l’histoire en mythe, au détriment de l’étude de l’histoire réelle. Le développement des études historiques ces dernières années ont déconstruit le mythe et on comprend que Macron parte en guerre contre les sciences sociales. Il pourrait se demander pourquoi les régimes autoritaires aujourd’hui emprisonnent des chercheurs en sciences sociales. Toutefois, il ne s’agit pas d’aller déboulonner des statues de Ferry car il a toute sa place dans l’histoire de France comme fondateur de l’école laïque et républicaine.

Certes Ferry n’est pas seul, la III° République est traversée de courants divers, opposant souvent royalistes, conservateurs libéraux et socialistes, mais c’est la synthèse acrobatique de Ferry (pour reprendre l’heureuse expression de Mona Ozouf) qui triomphe avec la politique coloniale et les socialistes pour la plupart soutiendront l’aventure coloniale jusque sous la IV° République. Comment l’expliquer ? C’est que Ferry fonde le droit du peuple sur la tradition donc renforce le nationalisme. Il parle bien du « droit des peuples supérieurs ». D’une part, c’est une façon d’essentialiser l’identité collective en produisant un autre : les peuples inférieurs. D’autre part c’est envoyer promener les droits de l’homme. Il est intéressant de noter qu’en cette période c’est un positivisme juridique qui triomphe. Comme l’ont montré De Saint-Victor et Branthôme , « La loi positive fait advenir le citoyen-individu et ne peut admettre d’hypothétiques droits naturels » d’où selon eux le rejet de la constitutionalisation des droits de l’homme. C’est le grand constitutionaliste français de cette époque, Carre de Malberg, qui va opérer cette conversion positiviste, ce qui poussera les républicains de la III° République à poser les droits de l’homme comme droits des citoyens français, c’est-à-dire de particulariser les droits de l’homme, comme s’ils perdaient leur dimension universelle pour devenir le droit des citoyens français. Désormais la France estime que la France est le pays de droits de l’homme, comme elle s’était déclarée « fille aînée de l’église » ce qui engendre une arrogance bien française, l’universalité étant confondue avec une particularité nationale et relevant d’une mission civilisatrice. On comprend mieux pourquoi une telle conception de l’identité collective ait perçu l’identité juive comme une menace et pourquoi aujourd’hui ce sont les citoyens issus de la diversité qui sont posés comme danger, comme comportant une part de sauvagerie irréductible. C’est contre cette « sauvagerie » que le ministre de l’intérieur, Darmanin, déclare partir en guerre. Un ministre de l’intérieur antérieur, Jean-Pierre Chevènement, parlait lui de « sauvageons ». Mais plus fondamentalement, s’il n’y a plus Dieu ni un fondement transcendant, de deux choses l’une, ou on va chercher le fondement dans la tradition nationale ou au contraire on accepte la limitation par les droits de l’homme. Kant énonçait la traversée du sublime en ces termes « le ciel étoilé au-dessus de ma tête, la loi morale en moi ». Certes on pourrait dire qu’il n’y a pas de lois morales universelles mais plutôt qu’existe « la guerre des dieux ». Les droits de l’homme ne relèvent pas d’une morale universelle donnée à priori mais d’une exigence d’humanité qui doit toujours s’universaliser. Si les socialistes ont soutenu les aventures coloniales où partout l’homme et ses droits furent bafoués, c’est que la tradition du droit du peuple connaît deux versants, l’un celui du populisme nationaliste et conservateur, l’autre celui du peuple dans sa version socialiste, sans doute héritée de Marx, mais ces deux traditions envoient promener les droits de l’homme et c’est sur ce point qu’elles convergent. Ce fut la grande faiblesse des socialismes ayant existé et existant jusqu’à nos jours. Certes le racisme n’est pas forcément de nature biologique mais il se transforme en opposant une culture proclamée supérieure à d’autres jugées inférieures. Ainsi, la formule « la république une et indivisible » très à la mode en France aujourd’hui exprime peut-être comme le dit Blandine kriegel un refus de la séparation des pouvoirs mais j’y vois plutôt un refus de la différence. L’égalité est pensée comme une mêmeté. Notons que la Constitution déclare que la France est une république indivisible et non pas « une et indivisible ». Alors que la France se créolise de plus en plus, les républicanistes français y voient une menace pour l’identité et l’ordre républicains. Même la recherche en sciences sociales en ce domaine est suspectée par le chef de l’Etat alors qu’il s’agit de mieux comprendre et d’expliquer.

En conclusion, ces propositions d’analyse méritent discussion. Je le reconnais. Mais je parle d’Outre-Mer et les colonies ont toujours été le miroir du républicanisme français car leur réalité exigeait l’application véritable des principes universels affichés. Comme l’écrit Silyane Larcher, « La représentation politique des colonies empoisonnait les parlementaires parce qu’elle leur imposait de clarifier leurs propres manières de concevoir l’appartenance commune et finalement leur propre conception de l’identité de la communauté ». Le nationalisme a toujours été faible dans les colonies d’Amérique car, contrairement à celles d’Asie et d’Afrique où existaient des cultures ancestrales avec leurs religions et leurs codes et avec lesquels les colonialistes ont dû composer, les cultures créoles émergent dans une nouvelle situation créée par la traite esclavagiste. S’il y a déracinement il y a aussi tentative d’enracinement dans la danse et la musique. Mais si toutes les danses d’origine africaines ont un fort rapport au sol, il se pourrait comme me le dit mon ami anthropologue haïtien Laennec Hurbon, que c’est pour aller retrouver les dieux dans le sol. J’y vois plutôt, comme l’arbre qui veut s’élever en lançant ensuite ses racines dans le sol, dans la danse, la volonté de récupérer un corps meurtri et possédé par l’esclavage et trouver force dans le sol pour mieux tourner fièrement le regard vers « nos palmiers et nos montagnes » comme le dit si bien le poète haïtien Antony Phelps. Les cultures créoles ne peuvent donc se fonder sur une identité racine unique comme l’a bien vu Glissant et elles demeurent ouvertes. Ce pourquoi les républicains antillais ont considéré Schoelcher, non comme un étranger, mais comme l’un des leurs.

Silyane Larcher a bien montré dans son livre la lutte constante des antillais exigeant l’application des principes républicains authentiques même après l’abolition de l’esclavage, notamment concernant l’accès à la Citoyenneté. Il y avait, dit-elle, une discours « anthropo-historique » justifiant que le nègre n’était pas prêt à devenir citoyen. Ce que disait Tocqueville : « Vous pouvez rendre le nègre libre mais vous ne saurez faire en sorte qu’il ne soit pas vis-à-vis de l’empereur dans la position d’un étranger ». Bien sûr, de tels propos seraient inacceptables aujourd’hui mais nous pouvons craindre qu’avec la crise actuelle qui risque de se creuser davantage, avec la poussée de l’extrême droite et des activistes qui lui sont liés, avec la radicalisation de jeunes noirs ou arabes se sentant rejetés, un républicanisme mal épuré de ses tares ne donne une situation en France propice à on ne sait quel fascisme inédit. La crise sanitaire due à la pandémie, est comme le retour du réel qui fait basculer les certitudes néolibérales dominantes. La république doit donc se refaire en commençant à élaborer une « politique de la juste mémoire » comme disait Ricoeur, et la gauche pour l’instant me semble mal préparée. Macron est comme un capitaine bouleversé par la tempête et tire des bords tantôt à gauche, tantôt à droite, pour maintenir son cap jupitérien et néolibéral mais il semble tout autant emporté par des vents ténébreux de ces temps de crise. De ce fait, il parait perdu et propose un nouveau chemin cherchant comme le Petit Poucet, des éléments (quelque peu pétrifiés, il faut le dire) lui permettant de s’orienter. Or, la mondialisation dans ces nouveaux temps obscurs où le monde semble se démondéaniser, c’est aussi, surtout chez les jeunes la rencontre et le dialogue entre les cultures, dans la musique et dans la danse. Mais il faut penser cela au plan politique, créer un espace républicain permettant à la lutte des classes, aux luttes féministes, aux luttes anti-racistes, aux écologistes et aux Gilets jaunes, de converger positivement. Ce qui reste donc à penser, surtout à gauche, c’est la refondation d’une authentique pensée républicaine, laïque, écologique et véritablement sociale, permettant la cohabitation des différences culturelles dans l’unité politique de la citoyenneté, à la différence de ce « républicanisme laïcard » qui domine la politique en France. La république reste à faire disait Clémenceau. Peut-être faudrait-il que nous tournions résolument notre regard vers de nouvelles montagnes.

Jacky Dahomay