Quelle est la politique culturelle de l’actuelle CTM ?

L’état de dégradation de l’ancien palais de justice de For-de-France nous amène à poser la question

— Tribune de Marie-Hélène Léotin (Ancienne Conseillère Exécutive en charge de la Culture et du Patrimoine) —

Un reportage a été fait, par plusieurs médias, sur l’état du bâtiment de l’ancien Palais de Justice de Fort-de-France, bâtiment qui a subi une forte dégradation depuis le départ de l’administration judiciaire au début des années 2000. Ce bâtiment abrite pourtant des ateliers artistiques qui accueillent de jeunes enfants. Mais les différents reportages ne disent à aucun moment qui est le propriétaire du bâtiment et qui est donc responsable des travaux. Ils ne parlent que de l’occupant, ce qui peut laisser perplexe le téléspectateur.

La CTM, sous la présidence d’Alfred Marie-Jeanne, projetait d’installer le MACMA (Musée d’Art Contemporain de la Martinique) sur le site de l’ancien Palais de Justice. L’actuelle CTM, en partenariat avec la ville de Fort-de-France, a aussi le projet d’installer sur ces lieux un centre des arts et des littératures afro-caribéennes dédié à Aimé Césaire, ainsi qu’un musée des arts contemporains. Au moins, les deux Présidents, Alfred Marie-Jeanne et Serge Letchimy, sont d’accord pour faire de ce lieu un site culturel. Nous savons que l’identité d’un peuple se construit aussi par la mise en valeur de ses œuvres et de ses artistes.

Mais avant de réaliser ces projets, il convient de réhabiliter le bâtiment, de procéder à une recherche d’amiante, car ce lieu souffre d’une dégradation rapide et accélérée, avec l’effet du temps, depuis 2004, voilà bientôt 20 ans. Le rapport de l’ABF ( Architecte des Bâtiments de France), en date de septembre 2015, parle d’un état sanitaire défectueux, d’un état de péril pour certaines zones (couverture, charpente, menuiserie, vitraux). L’ABF signale en conclusion : « Le Palais de Justice accueille actuellement le Centre Camille Darsières dévolu aux arts et aux cultures. Ces différentes activités doivent prochainement intégrer le bâtiment de l’ancien hôpital militaire situé dans le parc floral, actuellement en travaux ». C’est ce que l’on croyait depuis 20 ans.

Les ateliers du SERMAC, installés dans l’ancien Palais de Justice, désormais dénommé « Espace Camille Darsières », ont vocation à réintégrer leur lieu d’origine, l’ancien Parc floral appelé aujourd’hui Parc culturel Aimé Césaire. Non seulement la municipalité de Fort-de-France ne procède pas à l’achèvement des travaux du parc culturel, mais elle laisse se dégrader l’ancien Palais de Justice. 20 ans de gâchis !

Aujourd’hui, il faut travailler à rendre les choses possibles car la demande est là, au niveau du FRAC (Fonds Régional d’Art Contemporain, plus de 600 œuvres stockées dans la réserve), au niveau des artistes plasticiens. Il faut montrer une volonté forte de réhabiliter ce bâtiment car la demande est forte.

C’est la raison pour laquelle l’Assemblée de la CTM a voté deux délibérations au mois de mai 2019 : la délibération du 16 mai 2019 adopte le projet de création du MACMA et elle stipule que ce musée sera implanté sur le site de l’ancien Palais de Justice. La délibération du 21 mai 2019 adopte l’abandon du principe de cession du site à la Ville de Fort-de-France ; cette même délibération met un terme à la mise à disposition gratuite du site en faveur de la Ville de Fort-de-France.

Car l’ancien Palais de Justice faisait partie du patrimoine de l’ex-Conseil Général et appartient aujourd’hui à la CTM. Aucune vente n’a été réalisée en faveur de la Ville de Fort-de-France.

Le bâtiment de l’ancien Palais de Justice a été inscrit en totalité au titre de Monument Historique par arrêté du 31 décembre 1991, voilà plus de 30 ans.

Un programme prévisionnel de travaux a été présenté, avec un coût estimatif de 23 millions d’euro. En 2019, c’était la réalisation des études pré-opérationnelles (techniques et muséales). En 2020, étaient prévues la désignation du maître d’œuvre et l’élaboration des avant-projets et du Dossier de Consultation des Entreprises. 2021 et 2022 étaient destinés au gros œuvre et au second œuvre. L’année 2024 devait voir la Préfiguration du Musée. Malheureusement, tout ce programme a été bloqué par l’obstination de la Ville de Fort-de-France à ne pas vouloir quitter les lieux (nous avons même été menacés par le Député de Fort-de-France si d’aventure nous osions mettre les pieds dans l’ancien Palais de Justice), alors qu’on pouvait trouver un compromis en finançant l’achèvement des travaux de réhabilitation du Parc Culturel, avec des fonds FEDER, Etat, CTM, la Ville intervenant pour moins de 20 %.

Maintenant qu’ils sont au pouvoir à la CTM, pourquoi laissent-ils se dégrader l’Espace Camille Darsières ? Est-ce une situation pour l’homme politique et le grand avocat qu’était Camille Darsières ? Ils mettent en péril à la fois le SERMAC, le projet de musée, le projet de centre des arts et des littératures dédié à Aimé Césaire.

Lors de l’Exposition inaugurale du MACMA, le 15 janvier 2021, à l’Agora Frantz Fanon de l’Hôtel de la CTM, je déclarais en conclusion : « Nous restons fidèles aux axes fondamentaux de notre politique culturelle, soutenir nos artistes, valoriser notre patrimoine, développer l’accès à la connaissance et à l’appréciation des arts en direction du grand public. L’homme et la femme ont besoin de s’alimenter, se loger, se protéger contre les intempéries. Il et Elle ont aussi besoin de spiritualité, non pas de métaphysique ou de religiosité, mais d’une façon de rêver et de s’ancrer dans des espérances nouvelles pour rendre nos sociétés meilleures ».

Le Musée est un lieu de vie et de création. Ce n’est plus un lieu figé, poussiéreux, immobile. Même si le travail de l’artiste a un caractère intime et individuel, la culture est une affaire collective ; c’est la marque identitaire d’un peuple. L’art et la culture sont des moyens à mettre en œuvre pour améliorer les relations au sein d’une société. Regarder une œuvre d’art nous élève vers une forme de spiritualité, vers un mieux-vivre social, nous apporte également des éléments pour comprendre scientifiquement le monde et nous élever au-dessus des superstitions générées par l’ignorance.

Le Musée d’Art contemporain est une urgence. Ce n’est pas l’art pour l’art. Au-delà de l’émotion provoquée par une œuvre d’art, il y a toujours un message, une réflexion qui nous amène à penser le monde d’aujourd’hui.

Marie-Hélène LEOTIN

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