« Quatre siècles de chansons grivoises et paillardes aux  Antilles-Guyane » par Esther Eloidin

Publication aux Caraïbéditions de l’essai de Esther Eloidin, universitaire et musicologue, intitulé Quatre siècles de chansons grivoises et paillardes aux Antilles-Guyane qui sort le le 19 février 2021.

I. DÈS LE BERCEAU…

Chers parents, vous avez tous chanté des comptines à vos enfants. Nous vous faisons grâce des berceuses françaises telles « Au clair de la lune« , « Ne pleure pas Jeannette« , « A la claire fontaine » et bien d’autres chansons obscènes soufflées à l’oreille de vos tout-petits. Arrêtons-nous juste un instant sur notre répertoire antillo-guyanais.

Il n’est pas sûr qu’après avoir découvert le sens caché de ces textes, vous continuerez à les entendre de la même façon.

Cela est aussi vrai pour les chansonnettes des cours de récréation. Certaines, apparues à partir des années 60, relevaient carrément de l’obscénité pure et dure. Pas sûr que ces jeunes d’alors osaient les chanter à tue-tête devant leurs parents ou leurs enseignants.

Au-delà de leur fonction divertissante, que nous révèlent ces chansons ?

 

Contexte historique

Aux Antilles, le prêtre du XVIIIe siècle était un modèle de vertu et de chasteté pour les paroissiens.

Bien que la religion ait permis la mise en esclavage du peuple noir et qu’elle soit la cause de nombreuses atrocités à son encontre, les esclaves, abusés, cèdent à l’esprit de peur ou de compromis de sorte qu’ils osent à peine toucher au fait religieux.

Le Code Noir de Louis XVI est très clair au sujet du baptême des esclaves. Il stipulait dès l’article 2 que : « Tous les esclaves qui seront dans nos îles seront baptisés et instruits dans la religion catholique, apostolique et romaine » et rajoute à l’article 3 : « Interdisons tout exercice public d’autre religion que la religion catholique, apostolique et romaine« .

Durant ces périodes, même si les chefs religieux affichaient un comportement illicite, ils n’étaient pas dénoncés. Cette attitude craintive perdura durant toute la période esclavagiste jusqu’au début du XX

e siècle au point que la religion catholique romaine apostolique irrigua toutes les Antilles – Guyane.

Contexte économique et social

Dans les années 1780, la traite négrière arrive à son apogée et l’Eglise continuera à maintenir ce système esclavagiste même après son abolition en 1848.

La religion a été l’un des principaux canaux par lequel l’Occident a imposé sa vision socio-politique et religieuse de l’être humain et sa vie en société aux peuples colonisés. Il en a résulté la différenciation des moeurs et coutumes, entraînant l’émergence de nouvelles langues, la perte de la mémoire collective, l’ancrage de l’esprit de division et la déliquescence sociale.

Contexte culturel

Misié Marcel en Guadeloupe ou Tonton Bouki en Haïti se chantent sur l’air de la célèbre comptine Frères Jacques composée par le célèbre compositeur Jean-Philippe Rameau vers 1772, selon la musicologue Sylvie Bouissou. Toujours fredonnée avec autant de plaisir, son sens profond échappe aux parents et aux enseignants des classes maternelles. Hormis la traditionnelle explication donnée d’un prêtre bon- vivant aimant les fêtes et les boissons, quand on sait que Frère Jacques était un sobriquet au même titre que…(Po)Paul, tout comme Jack ou John chez les anglais, donné au sexe masculin, le texte prend une toute autre tournure. De même, les matines ou cloches dont la forme creuse et arrondie l’assimile au corps féminin, tandis que le battant et le manche évoquent un phallus.

Approche socio – psychologique

Aujourd’hui, nombre de descendants d’esclaves ou de colonisés ne se reconnaissent plus qu’à travers cette religion importée ou assimilée. La cohabitation entre religions africaines et cette religion coloniale est inimaginable et le poids de la religion occidentale dans l’esprit d’un descendant d’esclave ou de colonisé est très fort. Les religions d’Afrique sont perçues, a priori, désormais, la plupart du temps, comme étant sataniques. Ces descendants d’esclaves en viennent à dénoncer les pactes et contrats qui les lient aux croyances de leurs ancêtres.

En définitive, même s’il n’est pas dupe des exactions du prêtre, il préférera les taire et donner une interprétation plus naïve de la chanson. Ainsi, au lieu de dire « 

Sonnez les matines » comme dans la version originale, en Guadeloupe on préférera : « Il est déjà l’heure de se lever. »

En revanche, en Haïti où le vaudou et l’esprit d’indépendance prévalent, « 

sonnez les matines » deviendra : « Lève-toi pour battre le tambour ! « 

La version de la Réunion nous apparaît comme plus grivoise, tout dépend de l’interprétation que l’on donnera au mot  « coq ».

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Appeler un chat…un chat ou une chatte…une chatte… semble beaucoup plus facile pour certains que pour d’autres. Toutefois, au-delà des termes anatomiques pour nommer les organes génitaux, il est d’usage assez courant de surnommer son sexe d’un petit nom familier. C’est aussi une occasion de donner une certaine personnalité à son phallus ou à son vagin.

Beaucoup de gens sont mal à l’aise lorsqu’ils doivent parler de sexe. Parler de sexe dans son couple reste souvent tabou. Et si on vous donnait une petite leçon d’anatomie, ou, pour certains, un simple rappel, pour mieux connaître ce symbole de virilité ou de féminité ?

Au XXèe siècle, le pénis triomphant, où l’on pense que c’est la verge qui fait l’homme mâle, fait clairement son apparition dans les chansons antillaises.

Pendant des siècles, le pénis triomphait de la vulve, qui était reléguée au second plan. La récente évolution de la condition féminine vers plus d’égalité remet le pénis à sa juste place. Il est désormais un des éléments, et non plus le seul, du plaisir sexuel et de la conception.

Comment aborder ce sujet et avoir une vie sexuelle épanouie ? Comment parlait-on de sexe au fil des années ?

Les textes des chansons qui suivent vous éclaireront sur le sujet et vous aideront sans doute à comprendre d’où viennent ces complexes qui vous inhibent.

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Contexte historique

De la fin du XIXe siècle jusqu’à la Seconde Guerre mondiale, la chanson coloniale a connu un vif succès. Elle était surtout un moyen de louer les Antilles – Guyane, d’encenser les mérites des conquérants, de se moquer des us et coutumes des colonisés, de mettre en avant la docilité et la simplicité du bon nègre.

Tous les clichés étaient bons dès lors qu’ils validaient la représentation d’un monde doudouiste et exotique (

A la Martinique, Martinique, Martinique / C’est ça qu’est chic, c’est ça qu’est chic / Pas d’ veston, de col, ni d’ pantalon / Simplement un tout petit cal’çon / Y en a du plaisir, du plaisir, du plaisir).

Ces chansons ont marqué les esprits en véhiculant un imaginaire qui continue de se perpétuer : le sexe surdimensionné de l’homme noir, la femme noire pur objet sexuel, le soleil, les femmes faciles, les hommes blancs virils et dominateurs… et le racisme.

Certains de ces préjugés sont encore présents dans le vocabulaire.

Contexte économique et social

En lisant attentivement les paroles de la chanson

Avec mon Zizi, on constate que des années après la fin des colonies, l’imaginaire colonial pouvait encore faire des ravages.

Cette chanson présente la Martinique caricaturale des cartes postales telle qu’elle est vue par un Européen.

Cette chanson s’inscrivait, sans doute bien inconsciemment, dans une tradition plus ancienne et tout à fait assumée de faire aimer la politique coloniale et impériale de la France.

Contexte culturel

Avec mon zizi eut beaucoup de succès. Le parlé que l’on retrouve à la fin de la chanson Avec mon zizi fait référence à l’époque des publicités qui étaient essentiellement diffusées dans les salles de cinéma pendant les entractes. La publicité pour les glaces se terminait alors par la petite phrase : « En vente dans cette salle« .

Dans les années 1950, l’air, servit de support à une publicité pour l’apéritif Martini. La publicité chantait :

Avec Martini, Martini, Martini,Le monde entier chante et souritOn en boit de New York à ParisY a rien d’ meilleur qu’un vrai MartiniEt si vous voulez régaler vos amisOffrez un Martini. 

Approche socio – psychologique

Avec mon zizi a véhiculé une image très dégradée des Noirs et particulièrement de la femme noire (Les p’tites femm’s se mettent simplement / Une feuill’ de bananier par d’vant / Y en a du plaisir, du plaisir, du plaisir).

Cette chanson diffuse l’idée non seulement d’une forme de soumission propre aux femmes antillaises, mais aussi celle de colonies qui sont le terrain de chasse naturel de l’homme blanc viril auquel les belles indigènes ne sauraient refuser leurs faveurs (

Avec mon zizi, mon zizi, mon zizi / Le monde entier bande et jouit / On le suce de New York à Paris / Il n’y a rien d’ meilleur que l’ jus d’ mon zizi).

Les allusions sexuelles grossières, le vocabulaire exotique, la figure de la femme soumise et âpre au gain s’insinuent dans le quotidien et véhiculent des pensées, des préjugés nuisibles (

J’ vois déjà que tu feras sûr’ment un planteur épatant).

Avec mon zizi montre qu’en donnant un petit nom à leur pénis les hommes éprouvent le besoin de se recentrer sur eux-mêmes. Chez les Européens, on retrouvera assez couramment des termes tels que queue, graine, bite, pine, quéquette, zigougoui, zizi ou zigounette. Certains préfèrent, toutefois, attribuer à leur sexe une identité plus personnelle en l’affublant souvent d’un prénom comme Jules, Julius, Junior, Bob, Gérard, Roger, Paul ou Franck.

Ceux qui ne souffrent d’aucun complexe préféreront des surnoms évocateurs comme le monstre, la bête, l’anaconda, le titan ou le dragon alors que les plus modestes opteront pour ma baguette, mon dard, mon joujou, ma saucisse, ma nouille ou ma banane. Les amateurs de sport n’hésiteront pas à utiliser les termes de bat ou bâton ; les bricoleurs choisiront mon manche, mon outil, mon tuyau, ma poutre, mon 2 x 4 ; les militaires craqueront pour mon gourdin, mon soldat, mon fusil, mon bazooka ou mon canon.

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Avec mon zizi, mon zizi, mon zizi,

Le monde entier bande et jouit

On le suce de New York à Paris

Il n’y a rien d’ meilleur que l’ jus d’ mon zizi

Et si vous voulez régaler vos amies

Offrez leur mon zizi.

Parlé:

En vente dans cette salle

A la Martinique, Martinique, Martinique,

C’est ça qu’est chic, c’est ça qu’est chic,

Pas d’ veston, de col, ni d’ pantalon,

Simplement un tout petit cal’çon;

Y en a du plaisir, du plaisir, du plaisir,

Jamais malad’, jamais mourir,

On ôt’ le cal’çon pour dîner l’ soir,

Et tout le monde est en noir.

A la Martinique, Martinique, Martinique

C’est ça qu’est chic, c’est ça qu’est chic

Les p’tites femm’s se mettent simplement

Une feuill’ de bananier par d’vant

Y en a du plaisir, du plaisir, du plaisir

Jamais malade, jamais mourir

Et la feuille, ça sert à rien du tout

On sait bien c’ qu’y a en d’ssous

A la Martinique, Martinique, Martinique

C’est ça qu’est chic, c’est ça qu’est chic

Moi ach’ter, car je suis connaisseur

Du terrain pour devenir planteur

Y en a du plaisir, du plaisir, du plaisir

Elle répondit dans un soupir :

J’ vois déjà que tu feras sûr’ment

Un planteur épatant.

 

SOMMAIRE
REMERCIEMENTS p 9
INTRODUCTION p 11
APPROCHE HISTORIQUE ET PSYCHOLOGIQUE p 13
I. DES LE BERCEAU p 23
II. TENUE SUGGESTIVE p 39
III. HYGIENE INTIME ET EDUCATION A LA SEXUALITE p 57
IV. LA DRAGUE p 77
V. PRAN PREKOSION p 103
VI. AU SEPTIEME CIEL . p 117
VII. INFIDELITE p 139
VIII. JALOUSIE p 159
IX. ARRIVISME / VICES p 177
X. MENOPAUSE / ANDROPAUSE p 201
XI. SEXE . p 221
XII. MAGIE / SORCELLERIE ET RELIGION p 245
XIII. PROSTITUTION p 273
XIV. VIOLENCES SEXUELLES ET CONJUGALES /
PERVERSION SEXUELLE p 291
CONCLUSION p 323