Quand l’art pariétal rencontre l’art contemporain : Les Ames gravées de Jérôme SAINTE-LUCE.

par Scarlett JESUS, critique d’art. 

« Ceux qui sont morts
ne sont jamais partis :
Ils sont dans l’Ombre qui s’éclaire
Et dans l’ombre qui s’épaissit. »
Birago DIOP, Les Souffles des Ancêtres, Présence Africaine, 1960.

Faut-il croire à une quelconque prédestination qu’imposerait l’onomastique ? Le cas de Jérôme SAINTE-LUCE est troublant. Déjà doté d’un patronyme, Luce, renvoyant à la lumière, le prénom qui lui fut donné, Jérôme, renforce les connotations sacrées initiales (Jérôme étant formé de hieros, qui signifie sacré, et de onoma, le nom). S’est-il senti investi d’une mission particulière, celle de redonner à l’art une dimension spirituelle ?

Jérôme SAINTE-LUCE est un jeune artiste originaire de la commune de Trois-Rivières, haut lieu archéologique. Il a donc baigné, dès son plus jeune âge, dans un environnement culturel où les Arawaks et leur façon de percevoir le monde étaient très présents. Les nombreux pétroglyphes laissés sur des roches gravées témoignent du sens artistique de ces premiers habitants. Jérôme SAINTE-LUCE, s’il emprunte leur thématique fait plus que se positionner comme leur digne héritier. Et s’il s’intéresse à l’art pariétal n’est-ce pas pour tenter de percevoir quelle pourrait être la fonction de l’art aujourd’hui ?

A la différence des Arawaks, Jérôme SAINTE-LUCE ne grave pas à même la pierre. Les « Ames » que l’artiste prétend vouloir néanmoins graver, désignent des esprits, par essence immatériels et invisibles. Ces âmes ne peuvent être « gravées » que métaphoriquement, poétiquement sur des morceaux d’étoffe, appelés à être vénérés comme de saints suaires parce qu’ils en garderont la trace. En révélant des esprits qu’il fait passer de l’obscurité du Royaume des Ombres à la lumière aveuglante –traduite de façon omniprésente par de magnifiques jaunes-, l’artiste s’aventure dans un domaine qui est celui du mystère sacré. Un univers de signes qu’il convient de tenter de déchiffrer.

 

Aux motifs déjà présents sur les roches de Trois-Rivières, formes anthropologiques et personnages emmaillotés, Jérôme SAINTE-LUCE ajoute des motifs que l’on peut tout aussi bien retrouver dans l’art vodou (stylisation des formes : traits, ronds, croix, tiges à trois branches) que dans le street art (crânes), ou dans l’art contemporain, avec les traces laissées des étapes de la réalisation (gribouillages, surimpressions, présence de strates, utilisation de matériaux de récupération) ; le refus du cadre (débordement de la toile) ; des expérimentations diverses et la place laissée à l’intervention du hasard (tâches, coulures). De fait, imitation de l’art pariétal et création se conjuguent. D’un côté, on semble deviner la volonté de donner l’illusion de dessins anciens, à demi effacés par endroits et comme tracés à la pierre noire. De l’autre, on observe des compositions originales qui procèdent par raccords -et parfois mêmes coutures- de différents éléments au départ distincts.
Jérôme SAINTE-LUCE rend compte d’une perception du monde qui fait le lien entre les croyances animistes amérindiennes, celles des esclaves arrachés à l’Afrique et un questionnement très contemporain sur un au-delà. La rencontre qu’il opère entre art pariétal et art contemporain s’accompagne d’une réflexion sur ce qui relie l’art et le sacré. Cette exposition aurait mérité un lieu plus adapté et une scénographie invitant à un parcours « initiatique ». Le centre de formation FORE Alternance lui a permis d’accrocher ses totems. Et ce faisant d’être visible. Nous permettant d’apprécier le travail de ce jeune artiste, très prometteur. L’exposition se prolonge jusqu’en décembre, il est encore temps pour ceux qui ne le connaîtraient pas encore d’aller le découvrir.
12 novembre 2012.