« Pupo di zucchero, la festa dei morti » texte et m.e.s. d’Emma Dante

Magicienne, sorcière, prêtresse, comment faudra-t-il appeler une metteuse en scène qui nous convie à une cérémonie théâtrale, avec tout ce qu’elle implique de magie, de sacré, voire de funèbre et de joyeux? Car la festa dei morti, ce n’est pas la lugubre Toussaint. Sur scène, cette fête n’a rien d’une danse macabre, c’est une célébration remplie d’allégresse. Tout un rituel s’accomplit sur le plateau, à la faveur d’une performance qui convoque texte, danse, lumière, tableaux et sculpture. Une sorte de spectacle total, n’était la quasi absence de musique. Emma Dante aime faire évoluer ses acteurs sur un fond de silence et d’obscurité. Du noir jaillit la lumière et le jeu éblouissant des acteurs. Qui évoluent en groupe, selon une tradition que la metteuse a bien établie de spectacle en spectacle. La troupe, le groupe, la collectivité humaine sont des éléments fondamentaux de son théâtre, à l’image de la vie sociale en Italie, spécialement dans le Sud.

Alors qu’est ce que cette histoire? Un vieil homme, tout accablé de solitude et de douleur s’apprête à organiser sa fête des morts en confectionnant une pâtisserie : ce sera le « pupo di zucchero », la figurine sucrée, offrande aux défunts de la famille. Dans cette tradition du sud de l’Italie, les morts reviennent le 2 novembre partager la fête de famille et offrir des cadeaux aux enfants. A l’inverse de Noel, fête de la natalité, celle-ci est la fête des défunts, mais les deux célèbrent la vie. Car les morts ne reviennent pas participer à la fête comme des fantômes ou des puissances menaçantes; ils reviennent tels qu’ils étaient dans leur pleine jeunesse, dansant, jouant, se livrant à mille agaceries.

Pour donner vie à ce rituel, la metteuse en scène a convoqué un texte de Giambattista Basile, auteur napolitain du XVIème siècle, Le Conte des contes qu’elle adapte librement, tout en restant fidèle au dialecte napolitain (mâtiné de quelques répliques en français), ainsi que le sculpteur Cesare Inzerillo, dont le tableau final présente un groupe de dix poupées à taille humaine, sorte de pupazzi, assez ressemblantes aux corps embaumés que l’on peut voir aux catacombes des Capucins à Palerme. Chaque pupazzo est pourvu d’un élément de costume symbolisant sa personnalité, de façon à rendre leur âme aux défunts. Le funèbre se mêle étroitement à la vie et la mort est célébrée à l’instar de la vie et investie de beauté. Les défunts ne sont pas des cadavres. A chacun d’eux correspond un acteur qui figure l’être qu’ils étaient de leur vivant. Ainsi, l’évocation des morts dans le songe du viellard est une convocation sur scène des chers défunts, se rassemblant autour de lui pour redonner vie à la famille, avec tout ce que celle-là comporte de joie, de disputes, de cris et de danse. Chacun est évoqué dans l’histoire et le caractère qui lui sont propres. Tout en rappelant La Classe morte de Tadeusz Kantor, le spectacle n’en a pas la morbidité foncière. Il est au contraire plein d’énergie. L’allegresse s’entremêle avec la mélancolie du vieillard, au gré de sa rêverie et de son réveil. L’explosion de vie l’emporte finalement sur la tristesse, dans un tourbillon d’évolutions chorégraphiques et de superpositions de voix. C’est la fête des couleurs, de la lumière, de la danse, sans qu’on oublie pour autant la présence de la mort. Vie et mort coexistent dans le même espace, celui de la mémoire familiale.

Dialogue entre les cultures, entre le monde des vivants et le monde des morts, entre passé et présent, entre tradition et modernité, le spectacle est passage; il articule le privé (l’histoire familiale) et le public (partage d’une expérience commune). Il est tout à la fois exercice de mémoire et conjuration d’un tabou.

Michèle Bigot

festival d’Avignon 2021

Gymnase du lycée Mistral, 16>23 juillet