Présidentielles 2022 : premières observations

— Par Marie-Laurence Delor

La percée remarquable de Jean-Luc MELENCHON, leader de la France Insoumise, a été sans conteste « l’événement médiatique » de ce premier tour des présidentielles 2022. (1) Mais qu’on ne s’y trompe pas : le fait politique majeur reste la progression constante du nationalisme identitaire français depuis l’accession en 2011 de Marine Le PEN à la tête du FN ; ceci dans un contexte de désagrégation de la Gauche sociale démocrate et extrême ainsi que de la Droite républicaine. Une progression qui s’inscrit dans ce qui semble être l’émergence d’un nouvel ordre mondial aux contours encore mal définis mais dont l’attitude des russes et des chinois notamment en Afrique n’augure rien de bon. L’intention affirmée des apôtres de cette nouvelle ère, dont les motivations sont diverses et discordantes, serait le rejet des modèles occidentaux aujourd’hui dominants, et notamment du modèle démocratique ; mais peu d’analyses sérieuses et aucune alternative crédible ne vient démêler tous les tenants et aboutissants de cette « croisade ». Les récriminations, en définitive, sont du registre idéologique et des ressentiments. Ce rejet est, par ailleurs, corrélé à une exacerbation des égoïsmes nationaux et à un retour, singulièrement en Europe, des « irrédentismes » qui affaiblissent l’Union Européenne, c’est à dire de revendications territoriales sur des bases historiques, linguistiques ou ethniques.

Le Rassemblement National est aujourd’hui le premier parti de France, c’est cela qui devrait préoccuper les analystes et autres observateurs… L’augmentation de son poids électoral et le renforcement de son influence sur l’opinion (2) sont des tendances lourdes que l’argument sur « la créolisation de la France »(3) dans un contexte d’insécurité identitaire et d’intensification du flux de l’immigration n’a fait que renforcer.

Manuel MACRON et Jean-Luc MELENCHON doivent leur score, pour une bonne part, non à un vote d’adhésion mais d’utilité et de sanction. A la différence de ces deux candidats, les voix qui se sont portées sur Marine Le PEN sont dans leur très grande majorité des votes de conviction (4). Son socle électoral est par conséquent plus solide et donc moins volatil. Le ralliement, même encore modeste et discret de certaines fractions des classes supérieures, de hauts fonctionnaires, de jeunes sortis des grandes écoles et d’intellectuels est un indice, une constante historique : c’est l’adhésion de ces catégories qui précipite la bascule …

La campagne de Marine LEPEN s’est menée sur trois axes : celui de l’insécurité identitaire, fond-de-commerce du nationalisme identitaire – qu’il faut associer au souverainisme, celui de l’insécurité des biens et des personnes – qu’elle lie à l’immigration, et celui de l’insécurité social et économique qu’elle rattache aussi à l’immigration. La droite n’a cessé d’être ambiguë sur les deux premiers et son engagement déterminé pour le démantèlement de l’Etat providence atteste de son désintérêt pour la question sociale, c’est-à-dire pour une répartition plus juste des richesses. La gauche et l’extrême gauche par définition beaucoup plus sensibles sur la question sociale se sont toutefois enfermés, depuis plus de trente ans, par tiers-mondisme et paternalisme, dans un déni de réalité sur la question de l’immigration. Elles n’ont donc pas réussi, à ce jour, à opposer aux nationalismes identitaires une autre manière de poser et de régler le problème, une approche documentée et raisonnée qui parte du constat de la crise du système d’intégration français fondée principalement sur l’institution scolaire et le travail. Une approche qui re-questionne aussi le modèle de l’Etat Nation et de l’assimilation.

C’est dire, d’une part, que le jeu a rarement été aussi serré et que l’enjeu dépasse largement les intérêts partisans et la seule politique intérieure de la France. D’autre part et corrélativement, qu’aucune réflexion sur ces présidentielles 2022 ne saurait être objective et rigoureuse sans un minimum de considérations à la fois sur l’état de la France et l’état du monde aujourd’hui.

Fort de France, le 17 avril 2022

Marie-Laurence DELOR

(1)Donné autour de 15% une semaine avant le premier tour, Jean Luc MELENCHON a obtenu 21,95% des voix.

(2) Selon un sondage TNS Sofres, 34% des Français disent adhérer aux idées du parti d’extrême droite, contre 32% en 2013, 31% en 2012 et 22% en 2011. Par ailleurs, ils sont 56% à estimer que le Rassemblement national est en mesure d’accéder au pouvoir un jour en France. Ce chiffre est en hausse de 9 points en un an et de 16 points en deux ans (baromètre annuel sur l’image du parti, réalisé par Kantar-One Point pour franceinfo et Le Monde.)

(3) Dire aux français qu’ils « se créolisent » c’est de fait leur annoncer qu’ils sont en train de perdre leur identité actuelle et qu’ils sont dans un processus de construction d’une nouvelle identité française.

(4) 89% des électeurs ayant voté pour Marine Le PEN au premier tour de la présidentielle de 2017 déclarent qu’ils feront de même en 2022. Ce n’est le cas que de 71% des électeurs d’Emmanuel MACRON (Fondation Jean JAURES https://www.jean-jaures.org/publication/2022-evaluation-du-risque-le-pen/