Pourquoi en « outremer » a-t-on tant voté pour Le Pen?

— Par Valentine Pasquesoone —
Pour la première fois, huit territoires ultramarins sur onze ont placé le parti de Marine Le Pen en tête dimanche, lors des élections européennes.

C’est une première dans l’histoire politique des territoires d’outre-mer. Le Rassemblement national (RN) de Marine Le Pen est arrivé en tête dans huit des territoires ultramarins, dimanche 26 mai, à l’occasion des élections européennes. La liste RN, emmenée par Jordan Bardella, obtient ainsi son meilleur score à l’échelle nationale à Mayotte, où elle recueille 45,56% des suffrages exprimés.

« Alors qu’ils ont longtemps été une digue infranchissable, les outre-mer sont aujourd’hui touchés comme le reste du territoire national par cette montée du parti d’extrême droite », a regretté Patrick Karam (LR), ancien délégué ministériel à l’égalité des chances des Français d’outre-mer, à l’AFP. Comment comprendre cette récente poussée du Rassemblement national dans ces territoires ? Eléments de réponse avec Christiane Rafidinarivo, politologue et chercheuse invitée au centre de recherches Cevipof de Sciences Po.

Une abstention massive qui profite au RN
Ces bons résultats du Rassemblement national en outre-mer s’accompagnent de taux d’abstention très élevés dans ces territoires. Même s’ils sont plus faibles que lors des précédentes élections européennes, en 2014, les départements ultramarins concentrent les taux d’abstention les plus élevés du pays lors du scrutin de dimanche. Ainsi, l’abstention est la plus élevée en Guyane (86,59%), puis en Guadeloupe (85,63%), suivies de Saint-Barthélemy et Saint-Martin (85,36%), et de la Martinique (84,78%). Là où l’abstention est la moins élevée dans ces territoires – à Wallis et Futuna –, elle atteint tout de même 65,37%.

Cette abstention a-t-elle joué un rôle dans ces bons scores obtenus par le RN en outre-mer ? « Oui, car dans ce cas-là, ce sont les plus motivés, les plus mobilisés qui gagnent. Et le RN est le parti qui parvient à mobiliser le plus ses électeurs », répond Christiane Rafidinarivo. « Les militants et sympathisants RN sont très actifs », poursuit la chercheuse. « Ils vont voter, beaucoup plus que dans d’autres partis. »

La politologue invitée au Cevipof explique aussi que, depuis plusieurs années, le Rassemblement national parvient à « s’implanter solidement » dans les territoires d’outre-mer au travers de « réseaux sectoriels, tels que les Chambres d’agriculture ». « Des agriculteurs ont des problèmes avec la Politique agricole commune (PAC), et le RN a travaillé ce réseau », précise Christiane Rafidinarivo. La chercheuse ajoute qu’outre-mer, le parti se rapproche également de certains syndicats dans l’Education nationale, ce qui lui permet de gagner de nouvelles voix dans ce secteur plus acquis à la gauche. Par le biais de ces « réseaux sectoriels », la formation politique parvient ainsi à acquérir, et à mobiliser, davantage d’électeurs.

Des discours porteurs sur l’immigration et l’insécurité
Cette poussée du Rassemblement national dans les territoires ultramarins n’est pas tout à fait nouvelle. Lors du premier tour de l’élection présidentielle de 2017, Marine Le Pen y est arrivée en tête, avec 21,90% des voix, devant Jean-Luc Mélenchon et François Fillon. Son score a même atteint 29% en Nouvelle-Calédonie, et 32% en Polynésie française.

De tels résultats étaient loin d’être acquis pour l’extrême droite. « Pendant très longtemps, ils étaient persona non grata en outre-mer », rappelle Christiane Rafidinarivo. Comment ont-ils réussi une telle percée en quelques années ? « A Mayotte par exemple, où le RN n’était pas du tout implanté, le parti est parvenu à trouver de nombreux électeurs avec la crise migratoire et l’insécurité », développe la politologue. Le département – le plus jeune et le plus pauvre de France – a connu ces dernières années d’importantes arrivées de migrants venus de l’archipel proche des Comores. Chaque année, entre 2012 et 2017, la population a ainsi augmenté en moyenne de 3,8%, relève la 1ère. Les natifs des Comores représentent désormais 42% de la population mahoraise, et 45% des habitants sont « des personnes étrangères en situation irrégulière », selon le ministère des Outre-mer.

Les ressorts sont similaires en Guyane, un autre territoire d’outre-mer touché par l’insécurité. La liste de Jordan Bardella y a recueilli 27,4% des suffrages dimanche. « Le RN y a axé son discours sur l’insécurité, le trafic de drogue et les prisons – sur tout ce qui tourne autour de l’échec de l’Etat », souligne Christiane Rafidinarivo. « Dans ces départements touchés par les crises sociales, le RN parle d’insécurité, de migrations et de chômage, en disant aux électeurs : ‘Voilà les causes de votre pauvreté’. »

Jouer sur « l’échec » de l’Etat et « l’abandon » des outre-mer
Ce discours sur les migrations et les questions de sécurité n’est pas le seul à avoir porté le RN en tête des suffrages, dimanche soir. « Il y a aussi un discours social, celui de dire aux populations d’outre-mer : ‘Vous êtes ceux qui souffrez le plus et vous êtes abandonnés par l’Etat », développe Christiane Rafidinarivo. La politologue relève ainsi les bons résultats de la liste de Jordan Bardella dans les Antilles, notamment à Saint-Martin et Saint-Barthélemy, où le RN dépasse les 28%.

A travers les territoires d’outre-mer, des électeurs votent ainsi pour le RN non par idéologie, mais par volonté de protestation contre les forces politiques en place, note la politologue. Ils adhèrent, peu à peu, à l’idée d’abandon des pouvoirs publics véhiculée par l’extrême droite. C’est dans ce contexte que le parti de Marine Le Pen a pu obtenir 31,24% des voix à La Réunion, arrivant en tête dans l’ensemble de ses communes.

Le mouvement des « gilets jaunes », très suivi sur l’île fin 2018, a montré ce sentiment partagé par les Réunionnais d’être délaissés par l’Etat. « Et cette crise a joué en partie sur le vote RN de dimanche à La Réunion », analyse Christiane Rafidinarivo. « Il y a une déception : 40% des Réunionnais vivent sous le seuil de pauvreté, 25% sont au chômage, et ce taux s’élève à 60% chez les moins de 25 ans », rappelle la politologue. « Vous pouvez désormais avoir trois générations de chômeurs vivant ensemble », alerte-t-elle.

Un tel contexte social s’est, une nouvelle fois, montré porteur pour le Rassemblement national. Sans compter, selon la chercheuse, « le refus des autres partis » à La Réunion. Christiane Rafidinarivo cite notamment La France insoumise, arrivée en tête sur l’île lors du premier tour de l’élection présidentielle de 2017, avec 24% des voix, et qui cette fois a obtenu 19,03% des voix, loin derrière le Rassemblement national. « Le RN était très actif et a réussi à mieux mobiliser. »

Source : FranceInfo


Des réactions

Combat Ouvrier
Communiqué de Ghislaine Joachim- Arnaud et Jean Marie Nomertin après les résultats des élections européennes de 2019

Nous remercions les 4328 électeurs, (2614 voix en Martinique et 1714 en Guadeloupe), qui ont voté pour la liste « Lutte Ouvrière contre le Grand capital, le camp des travailleurs ». Nous y étions en 3ème position pour Ghislaine Joachim-Arnaud en Martinique et en 18 ème position pour Jean-Marie Nomertin en Guadeloupe. Cette liste était conduite par nos camarades Nathalie Arthaud et Jean Pierre Mercier.
Nous obtenons respectivement 6,64% des suffrages exprimés en Martinique et 4,48% en Guadeloupe. Au total, dans l’hexagone et l’outre mer, notre score est de 0,78% (176 434 voix).
Le rassemblement national de Marine Lepen est arrivé en tête. Il fait une nouvelle percée aux Antilles où il est en tête en Guadeloupe et second à la Martinique. Derrière sa prétendue défense des « petits», il s’agit en réalité d’un des partis de la bourgeoisie qui écrase les « petits » et combat le mouvement ouvrier, à visage masqué  aujourd’hui et ouvertement demain s’il continuer à progresser.
Cependant, avec prés de 50% d’abstentions globales et plus de 85% aux Antilles, l’électorat populaire, avec les salariés, les chômeurs, les retraités, les jeunes, est massivement resté à l’écart des européennes. Aux abstentionnistes, il faut ajouter tous ceux qui sont tellement dégoûtés des élections qui ne changent rien à leur sort qu’ils ne sont même plus inscrits sur les listes électorales.
Dans nos deux îles, ex colonies françaises et toujours sous contrôle de l’impérialisme français, ce dégoût est d’autant plus important que tout se décide à 7000 kms et que les séquelles coloniales demeurent vives.
Nos scores demeurent faibles. Mais les 4328 votants qui ont mis un bulletin Lutte Ouvrière aux Antilles continuent d’assurer la permanence d’un courant politique qui maintient la tradition révolutionnaire du mouvement ouvrier.
C’était aussi une des raisons de notre candidature. Car c’est bien la présence de cette minorité d’aujourd’hui parmi les travailleurs qui assurera demain la remontée politique du mouvement ouvrier.
Le 27 mai 2019
Pour Combat Ouvrier
Ghislaine Joachim-Arnaud, Jean Marie Nomertin

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Johnny Hajjar, secrétaire général du Parti Progressiste Martiniquais

« Le PPM remercie les citoyens qui ont porté leurs suffrages sur la liste  » Envie d’Europe Écologique et Sociale  » ou sur les différents partis de gauche. Le PPM remercie également les Martiniquaises et Martiniquais dont la mobilisation a permis d’éviter que le parti de Marine Le Pen n’arrive en tête sur notre territoire, confirmant ainsi que la Martinique est le seul territoire de résistance au niveau des DOM capable de faire face à la montée de la xénophobie et du racisme. Le PPM s’inquiète ainsi de la force politique globale que représente aujourd’hui en France et en Europe cette extrême droite. Le PPM s’emploiera à continuer à résister, à éveiller les consciences, à convaincre d’agir, par une politique humaniste, solidaire, responsable et protectrice du respect et de la dignité humaine. Le PPM appelle enfin toutes les bonnes volontés à la co-construction d’une  » digue « , afin de barrer définitivement la route à la montée de l’extrémisme indigne. »

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Philippe Petit, président de la Fédération UDI Martinique

« L’UDI Martinique et la liste  » Les Européens  » conduite par JeanChristophe Lagarde remercient les 1 270 électrices et électeurs qui leur ont apporté leurs suffrages ; ceci, dans un scrutin avec une participation de 15% en augmentation de 5 points malgré le retour aux listes nationales. Avec 3,23% sur le plan local, et 2,5% sur le plan national, l’UDI fait mieux que ne le prédisait le sondage — influençant les électeurs –, mais n’aura pas de députés européens. L’UDI regrette la revanche présidentielle organisée par le couple Macron/Le Pen faisant de cette élection un piédestal pour le Rassemblement National et par ricochet détruisant l’essence du projet européen. Toutefois, l’UDI Martinique se félicite du score de 48,5% de l’ensemble des listes pour l’Europe (socialistes, écologistes, centristes) face au score de 41% des listes souhaitant la disparition de l’Union européenne (RN, LFI et les listes de droites souverainistes). »