Plus de 70 ans après sa création, défendons la Sécu contre ses détracteurs !

— Par Max Dorléans —
S’il faut se féliciter de l’organisation (le 29/01/2018) par ATV d’un débat sur les 70 ans de la Sécu en Martinique, il est profondément regrettable qu’aucun des 3 invités, en plus du directeur de la CGSSM (caisse générale de Sécurité sociale de Martinique), n’ait fait part à ce dernier, de la liquidation en cours de l’institution par le patronat et les forces dominantes. Pourtant, s’il est bien de nos jours un enjeu majeur actuel, c’est clairement cette liquidation qui n’a cessé, depuis sa naissance en 1947, d’être l’objectif central –mais camouflé – du patronat, et des békés en particulier. Une liquidation mûrement programmée sous cape, mais que le patronat n’a pu ouvertement mettre en œuvre que lorsque les conditions de sa réalisation ont été réunies. Ne l’oublions pas : dès sa création, le patronat béké en Martinique – comme la bourgeoisie en France – a té hostile à la Sécu parce qu’il enrageait de voir la petite ponction opérée sur ses profits, servir les intérêts immédiats des salariés  (assurance maladie, allocations familiales, pensions de retraite). Un crime de lèse majesté, en plus du fait que celle–ci assurait, sans contrepartie de travail, des revenus monétaires et non monétaires aux salarié/es. C’est donc non seulement l’histoire de cette conquête ouvrière qu’il faut rappeler – et que les 4 participants n’ont pas omis de signaler – mais c’est surtout sa casse actuelle passée sous silence, sur laquelle il faut insister. Notamment dire que cette liquidation a fait l’objet d’une complicité, de longue date, de l’Etat tenu jusqu’aux années 80 uniquement par les forces et partis conservateurs de droite. Et à partir des années 80/90, d’une complicité également des gouvernements aux mains de partis de gauche, dont le discours en apparente défense de la Sécu, assurait sans que la population n’y prenne gare, cette même liquidation. Une liquidation passée par différentes phases, et dont le paritarisme mis en place avec de Gaulle en accord avec une fraction du mouvement syndical, a été le biais majeur pour initier cette casse actuelle. Un biais essentiel, renforcé par la suite structurellement par l’introduction, avec Rocard en 1990, de la CSG (contribution sociale généralisée) qui signait le début de la fiscalisation de la Sécu, c’est-à-dire le début de la perte par les salarié/es de leur mainmise sur la Sécu. Il faut donc reprendre aujourd’hui tout à zéro, c’est-à-dire très clairement indiquer aux salarié/es que la Sécu, c’est grâce encore aux cotisations, leur argent. Qu’ils/elles sont donc les propriétaires exclusifs de cette institution ; et qu’à ce titre, personne, ni l’Etat, ni le patronat n’ont leur nez à y mettre, ni dans les conseils d’administration ni ailleurs, en dépit des défaites bien réelles sur le terrain de leur souveraineté sur la Sécu par les salarié/es eux-mêmes. En 2018, la chose est loin d’être aisée. Non seulement en raison des diverses défaites accumulées par les travailleurs/euses (notamment avec Fillon sur les retraites en 2003), mais surtout en raison de l’abandon, par le mouvement ouvrier et syndical, du terrain de la connaissance de l’histoire de la Sécu comme instrument de solidarité collective conquis par la lutte. La privatisation de la protection sociale, avec les assurances et la prolifération des mutuelles, a pris des longueurs d’avance sur la protection sociale collective. La solidarité collective laisse de plus en plus la place à l’assistance publique et à la charité. Ce qu’atteste le développement des restos du cœur, du secours populaire, de la banque alimentaire, avec cependant à leur niveau, des difficultés de plus en plus importantes pour satisfaire une demande en croissance continue. C’est, par exemple, ce qu’il aurait fallu dire au directeur de la CGSSM lors du débat, pour ne laisser aucune illusion sur le devenir de la Sécu tant qu’elle sera entre les mains de fossoyeurs comme Macron, et Buzyn sa ministre de la Santé. Car ils ne font que poursuivre, en les amplifiant les mêmes contre-réformes que Douste-Blazy, Bachelot, Touraine avant eux. En effet pour eux, les solutions sont toujours à rechercher du côté des plus faibles. Notamment dans la chasse aux allocataires du RSA pointés du doigt comme des pilleurs de la Sécu, et non dans la poursuite des fraudeurs fiscaux qui plombent le budget de l’Etat. Des contre-réformes dont le prix est chèrement payé par l’immense majorité et les plus démunis, avec une santé dont le coût de plus en plus élevé, conduit un nombre croissant à moins consulter ; à s’acquitter de forfaits en tous genres (hospitalier, sur les médicaments, sur le transport sanitaire…) en constante augmentation ; à faire les frais d’un hôpital public – le CHUM notamment – conduit au bord de l’asphyxie, du fait de la diminution de ses ressources par une Sécu elle-même malade et d’un nouveau système de tarification mortifère (T2A)… C’est tout cet ensemble, et la cohérence entre Sécu et santé que nous devons avoir en tête, pour investir le terrain de la reconquête – et du développement – de la Sécu si nous voulons commencer à entrevoir autre chose que l’abyme où les tout-puissants veulent nous mener.
Max Dorléans