Petit manuel critique d’éducation aux médias – Pour une déconstruction des représentations médiatiques

— Par Nils Solari, Sophie Eustache —

Le collectif La Friche [1] et EDUmédia [2] ont publié aux éditions du Commun le 12 mars 2021 un « Petit manuel critique d’éducation aux médias », sous-titré « Pour une déconstruction des représentations médiatiques ». Soulignons que, outre une approche critique de l’éducation aux médias, l’ouvrage rapporte des initiatives concrètes ayant vu le jour bien avant que la puissance publique ou les médias traditionnels ne se préoccupent de la question.

Dans un contexte politique post-attentat, où l’éducation aux médias a été érigée en moyen de lutte contre la radicalisation par les pouvoirs publics [3], ce « Petit manuel critique d’éducation aux médias » défend une éducation aux médias émancipatrice et populaire, et pose l’EMI comme question politique : « La nécessité de développer l’éducation aux médias et à l’information (EMI) fait aujourd’hui consensus, spécialement lorsqu’on l’envisage à destination des jeunes. Pourtant, cette unanimité masque des disparités réelles tant dans les objectifs assignés à l’EMI, qu’au niveau des dispositifs, pratiques et postures pédagogiques qui conditionnent sa mise en œuvre. L’EMI peut en effet aussi bien se penser et se pratiquer au prisme de l’émancipation qu’à celui de ce que nous pouvons nommer la « normalisation » », écrit la chercheuse Amandine Kervella, qui signe le chapitre « Éducation aux médias : faire face aux risques de récupération ».

L’EMI : un enjeu de lutte

En proposant des alternatives à l’éducation aux médias portée par les pouvoirs publics et certains grands médias, comme InterClass’, ce petit manuel rappelle que la définition de l’éducation aux médias est un enjeu de lutte :

L’éducation aux médias et à l’information dépasse son rôle institutionnel de lutte contre la désinformation et n’est pas l’apanage des médias traditionnels, des journalistes et des écoles de journalisme. La pratique de l’EMI doit considérer le travail mené par les acteurs et actrices qui l’exercent depuis de nombreuses années : les structures d’éducation populaire, les associations de quartiers, les médias de proximité, les enseignants, au premier rang desquels les professeur·e·s-documentalistes, etc. Pour notre part, nous la pensons avec les lunettes de l’éducation populaire, ce qui nous conduit à l’envisager comme la construction d’une lecture critique de la société et de ses représentations médiatiques, au-delà d’une simple lecture du monde via le prisme des médias. Se rattacher à ce champ pédagogique et politique, c’est assumer que l’éducation aux médias et à l’information n’est pas neutre.

Parce que l’EMI « possède une définition large et mouvante » tout en étant « devenue un élément central du discours institutionnel », il importe d’arguer en faveur d’une éducation « critique », comme nous l’appelions de nos vœux [4], qui puisse inclure des dimensions d’analyse critique des discours établis, et en particulier ceux des médias dominants. C’est en substance ce que propose en introduction le Manifeste de La Friche et d’EDUmédia, lorsqu’il invite les acteurs de l’éducation aux médias à « initier une réflexion commune afin d’interroger ensemble nos actions, nos postures, nos pédagogies et nos relations avec les institutions ». Le tout sur la base d’une réflexion que nous partageons :

Cherche-t-on à en faire [de l’éducation aux médias, ndlr] une pratique émancipatrice ou vise-t-on à raccrocher les citoyen·ne·s à une lecture dite républicaine des médias traditionnels ?

L’ouvrage, qui s’adresse aussi bien aux journalistes qu’aux enseignants et aux militants de l’éducation populaire amenés à animer des ateliers d’EMI, alterne travaux scientifiques et retours d’expérience, autour de plusieurs chapitres : « Des médias alternatifs à l’éducation aux médias » ; « La pédagogie par le faire : remède à la verticalité ? » ; « L’impact du numérique : nouvelles perspectives, nouvelles craintes » ; « Éducation aux médias : faire face au risque de la récupération » ; « Quand les invisibles se réapproprient la parole médiatique ». L’ouvrage est également ponctué de malicieuses « anti-boîtes à outils », pensées comme des « tentative[s] de réponse humoristique aux demandes régulières de « boîtes à outils clés main » qui nous sont faites. » Exemples : « Rendre son média scolaire hors de contrôle », « Détourner un atelier sur les théories du complot » ou encore « Aborder la laïcité sans servir les services de renseignement »…

[1] Il se définit comme un « collectif roubaisien de quatre journalistes indépendants : Lucas Roxo, Flora Beillouin, Sheerazad Chekaik, Julien Pitinome. Fortement imprégné par l’éducation populaire, le collectif organise des ateliers et des formations d’éducation aux médias et à l’information auprès de publics habituellement éloignés des canaux traditionnels de diffusion de l’information. Il met en avant l’importance des pratiques collectives et considère, à contre-courant de la pensée médiatique traditionnelle, qu’il faut donner la parole à tout le monde ».

[2] « Collectif réunissant des chercheuses du laboratoire GERiiC0 (pôle de recherche à vocation internationale en Sciences de l’information et de la communication de la Région Nord Pas-de-Calais), il a pour but de promouvoir l’éducation aux médias, à l’information et aux images principalement en région Hauts-de-France. »

[3] On retrouve ainsi des dispositions relatives à l’éducation aux médias dans la loi contre les fake news et dans le « Plan national de prévention de la radicalisation » du 23 février 2018.

[4] Lire notamment sur notre site « Pour une éducation critique aux médias » et « « L’éducation aux médias et à l’information », un objet à inventer ».

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