Penser bien plutôt que dire n’importe quoi

— Par Yvon Joseph-Henri —

Tour à tour, une infirmière scolaire, puis une inspectrice de l’éducation nationale viennent nous expliquer pourquoi il faut rouvrir sans tarder les écoles. Pour quoi faire en réalité ? De la garderie qui fera exploser la contamination ? Parce que telle est la demande du Prince ?

En préalable on peut s’étonner de voir l’une rapprocher des métiers que tout différencie voire oppose, et l’autre intervenir publiquement sans l’accord de sa hiérarchie quand la nature et le niveau d’autorité de son poste, lui imposent une stricte réserve.

Un peu d’attention permet de s’apercevoir que ce que certains simplifient à outrance n’est simple en rien. D’une part, nous sommes en Martinique dans la montée vers le pic de contamination au Covid-19. On oublie aussi facilement les liens sociaux de nos concitoyens, l’inconscience de certains, la dissémination des populations, les foyers de contamination que représentent nombre de cités, justifiant le survol de l’île par l’hélicoptère de la gendarmerie, sans compter les contrevenants pêcheurs sous-marins et kitesurfeurs pour ne citer qu’eux.

Nous savons tous que rien n’arrêtera en l’état actuel des choses, la progression du virus. Ce que chacun doit garder en tête, c’est que notre survie – jusqu’à un certain point – réside dans le maintien d’une progression lente des contaminations afin d’éviter tout engorgement des services d’urgence et de soins intensifs pour traiter le mieux possible les cas désespérés.

Le maintien actuellement de la fermeture des écoles passe par là en tablant sur une réouverture possible en septembre, en profitant du délai pour prendre les mesures sanitaires nécessaires et éviter l’hécatombe d’une réouverture mal préparée. Or, encore faudrait-il qu’on s’active pour mettre en place les éléments physiques et sanitaires pour répondre à cette nécessité ! Encore faut-il que le gouvernement tire les leçons de sa gestion calamiteuse de cette pandémie et qu’il s’occupe de l’humain plus que de l’économie ce dont on est encore très loin ! On ne voit rien venir mais on sent bien les pressions pour obliger à ouvrir les écoles selon la volonté du Prince…on imagine assez les négociations de bougnats pour vendre l’ouverture des écoles…

Du côté du rectorat, des mairies et de la CTM, il faudrait déjà s’interroger sur le réaménagement des salles de classe pour éviter la propagation du virus. Il faudrait parallèlement recenser le nombre et la surface des salles de classe disponibles. Il faut aussi s’interroger sur le nombre de personnels disponibles école, collèges et lycées confondus ; et nécessaires pour maintenir la désinfection des établissements après tout mouvement d’élèves et de personnels. Passer à une réouverture générale, même limitée, sur l’académie, n’a rien à voir, en termes de niveau d’exigences et en termes d’organisation. Sans compter les problèmes qui surgiront : toute contamination dans l’établissement nous fait reculer de plusieurs mois au moins. Et, s’il s’agit pour les parents de déposer leur enfant pour 2-3 heures et devoir venir le récupérer, le garder ensuite à la maison, lui donner à manger, devoir éventuellement ressortir pour chercher un autre enfant, là encore, on ne libère pas le parent pour lui permettre de travailler. Si on contamine des professeurs, en collège et lycée, on désorganise à nouveau tout le système… Bref, l’organisation du confinement à l’intérieur des établissements, dans les salles de classe, dans le va-et-vient inévitable aux toilettes, pour désinfecter les lieux de passage, sera tout sauf simple. Cette organisation suppose aussi la mise en place de structures qui existent dans les laboratoires de langues informatique type Edu 4, avec des cabines individuelles et une cabine totalement séparée pour le professeur afin de contrôler le travail de chacun, d’envoyer les données de cours à tous les élèves collectivement ou individuellement, bref de faire un cours en utilisant des outils informatiques qui existent dans un mobilier qui existe mais qui peut être construit par nos menuisiers locaux ; ces cours se faisant en présence physique du professeur comme cela se fait depuis longtemps en laboratoires de langue des lycées des Pays de Loire.

Par contre il faut

  1. Commencer à fabriquer ce mobilier et les appareils informatiques de qualité, faire les câblages, etc…
  2. Former les professeurs à l’utilisation de ces outils et disposer dans chaque établissement – du primaire au lycée – d’au moins un bon responsable informatique compétent évidemment sur le plan technique mais aussi dynamique et pédagogue pour entraîner les collègues dans leur formation.

Et il restera à définir un fonctionnement le plus resserré possible des établissements, dans le temps journalier, afin de diminuer le va-et-vient général de l’extérieur vers et hors des établissements.

Seule une organisation parfaite en termes de fonctionnement scolaire et de protection sanitaire – on ne pourra pas avant longtemps revenir à des classes de 30 et à des cours en classe « ouverte » où circulerait le virus – pourront convaincre les parents que leur enfant ne reviendra pas atteint ou porteur du virus.

Bien entendu, cela doit passer aussi par une organisation du transport scolaire dans des conditions adaptées globalement sur le modèle de cabines.

Enfin, mise en place de masques et de liquide hydroalcoolique désinfectant, de matériel de protection pour les agents et de la prise en charge du lavage des tenues par les structures de la CTM ou de l’État pour les communes, le tout en nombre suffisant pour un renouvellement nécessaire pour chacun, sont des conditions déjà demandées par les syndicats des agents de la CTM, notamment la SGAFP-CGTM.

Devant l’incurie de certains syndicats enseignants à être des structures de propositions et d’opposition ferme lorsque c’est nécessaire, se dresse un rectorat qui fonctionne par oukases dans l’incapacité de prendre le problème dans sa globalité et de bien comprendre la culture d’une île comme la nôtre.

Plus que jamais, donc, il importe et de bien penser et de s’en tenir tous ensemble à une ligne de conduite dont on ne bougera pas sinon pour l’améliorer.

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Ceci posé, nous savons tous que l’économie de la Martinique comme celle de la France, de l’Europe et de quasiment tous les pays, est en berne. Le résultat économique d’une situation qui est loin d’être contrôlée sur le plan sanitaire, si elle se prolonge conduit inexorablement à une faillite des entreprises et en prolongeant les choses sur l’expérience qu’on peut avoir au moins culturellement, à la faillite de nombreux pays dont la France et la Martinique.

Il ne s’agit pas d’être un oiseau de malheur, mais il faut comprendre que si faillite il y a – en dehors de la responsabilité évidente d’un gouvernement d’amateurs inexpérimentés et cyniques – c’est toute la fonction publique qui sera impactée. Autrement dit, comme dans certains pays dits « en voie de développement », plus de paie des fonctionnaires même si l’armée et la police seront sans doute privilégiées face aux autres catégories.

Cela impose au gouvernement de repenser sa politique, mais aux fonctionnaires que nous sommes de comprendre que nous avons aussi notre part à prendre dans le redressement urgent du pays. Pas à n’importe quelles conditions. Il n’est pas acceptable qu’une politique de libéralisme à outrance à l’égard des fonctionnaires et des retraités, réclame encore aux mêmes des sacrifices sans retours. Il faut donc des garanties pour tous. Et il doit aussi y avoir mise à contribution des grosses entreprises et des gros patrons assis sur des fortunes dont ils n’auront que faire dans leur tombe. Il importera aussi de remettre en place les pensions de réversion telles qu’elles existaient : ceux qui risquent d’être contaminés pour la mise en place d’un service public en faveur d’un secteur privé qui veut gagner son argent, doivent savoir que leur traitement contribuera à permettre à leur famille de continuer à vivre. Il n’est pas non plus acceptable que les retraités quel que soit le niveau de leur retraite surtout s’il s’agit d’une pension, soient dépouillés comme on l’a fait. Bref redonnons son lustre matériel et financier à cette fonction publique vilipendée et présentée comme des inutiles coûteux à la Nation.

Les enseignants, comme les personnels de santé, mais de manière évidemment différente, ont su donner l’exemple dans le pays des auteurs de la Rue Cases Nègres et du Cahier d’un retour au Pays Natal, ce pays où Schoelcher a fait de l’école le moyen de reconnaître chez les anciens esclaves l’égalité sociale qu’ils réclamaient par l’accession à la promotion sociale. Sans nul doute que mes collègues sauront montrer qu’ils maîtrisent leur responsabilité dans la fonction la plus noble qui soit : aider l’enfant à construire son avenir d’adulte malgré les aléas d’un petit pays. Les réponses mesurées, justes et pleinement fondées aux attaques imbéciles dont ils ont fait l’objet récemment en sont déjà un élément d’appréciation.

Yvon JOSEPH-HENRI

Président de l’association des Consommateurs et des Citoyens de la Caraïbe (A3C)

Président de CaribbeanStudies, formations et aide scolaire du primaire au lycée

Professeur retraité,

Ancien secrétaire du SNES du Lycée Schoelcher, et secrétaire académique du SNES Martinique

Ancien secrétaire départemental de la FSU Martinique

Animateur aux Nouvelles Technologies au Lycée David d’Angers transformé sous sa responsabilité en lycée entièrement câblé et informatisé dans les années 1997-2000 (400 ordinateurs pour 900 élèves – prises dans les dortoirs individuels pour les ordinateurs des internes etc…etc…)