« Peaux échappées » un roman de Cindy Marie-Nelly

marie-nelly_peaux_echappeesVous ne sauriez être insensible à cette histoire ou plutôt ces histoires…

— Fais la fière, fais l’arrogante, mais tu ne vaux pas mieux que moi, chienne ! Le temps va te le montrer ! Je jure sur la tête de ma mère, la prêtresse de son village, que tes filles seront toutes des chiennes, flattées puis rouées de coups, comme toi, négresse !

SARAH – Tour Mermoz, Aubervilliers, Ile de France, Réveillon de Noël 2008

— Son ancêtre esclave a été maudite par une sorcière africaine, mec ! Mais attention ! Pas une malédiction genre « Tu vas mourir ». Non ! Une malédiction qui dit « Tu seras malheureuse en amour. Toi et toutes tes filles, vous allez galérer.

Pour Rose, Sarah et les autres, aimer ou être aimée appelle larmes, cris et sang. Toutes ces femmes semblent partager un même destin mais tentent désespérément de connaître le bonheur par delà ce qui semble être une fatalité.

Parce qu’être heureux ça se décide et qu’aimer ne tient qu’à sa propre volonté, les unes après les autres, souvent dans la douleur, devront vivre malgré tout et malgré le poids des mots…

MOTS DE LECTEUR :

« L’auteur nous livre ici avec une force douce incroyable et un talent littéraire indéniable un texte ambitieux et captivant. Des destins de femmes tiraillées entre le désir de prendre en charge la construction de leur propre bonheur et la nécessité de gérer leurs relations avec le sexe opposé, ces femmes devant se méfier d’une croyance ancestrale ancrée profondément dans l’histoire familiale ? Fascinant ! Beaucoup d’émotions traversent le lecteur face à ces intrigues, mais après avoir refermé le roman à la dernière page demeure comme sentiment dominant l’espoir. »

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Extraits croustillants (la larme à l’oeil ou l’eau à la bouche, au choix)

À la fin des épreuves, elle s’assit à l’arrêt du bus, et les mangea consciencieusement, avec le front plissé d’une petite fille qui forme les arabesques de ses lignes d’écritures. Elle mangeait et méditait. Elle mangeait et décidait.
En rentrant ce soir-là dans la petite chambre de bonne qu’elle louait avec son époux, elle se mit à repasser.
Elle repassa toutes les belles chemises de son mari, les amidonna avec soin, comme il les aimait, pour que les cols soient bien raides et qu’ils reçoivent mieux les marques de rouges à lèvres qui n’étaient pas les siennes. Elle les repassa toutes et en fit une pile. Puis ce fut les pantalons. Les tricots de peau. Les caleçons. Le clocher de l’église Saint-Paul affichait plus de 22h, mais il n’était toujours pas là. Sûrement dans quelque bar avec quelque belle. Elle sortit et empila les vêtements dans la cage d’escalier, sur leur paillasson, le front toujours plissé. Puis son visage se détendit. Elle sortit de son tablier un grand torchon dans lequel reposaient deux beignets encore chauds de la dernière cuisson. Elle prit le plus dodu, le plus tendre et le posa sur sa langue. Alors que le sucre fondu coulait dans sa gorge, elle releva sa longue jupe, son jupon en flanelle, et, debout, urina sur les piles de linges encore chauds. Elle dut légèrement se pencher pour s’assurer que les caleçons prenaient bien leur dose de « pisa ». Du « pisa » jaune, du « pisa » aigre, du « pisa » de femme en colère. Puis, le visage toujours serein, elle referma la porte, à double tour, avant d’avaler le deuxième beignet. (page 10)
Rose se retourna. Elle ajusta la position de l’enfant dans son panier.
« Justement. Tu n’as pas oublié qui il était vraiment. Souviens-toi de la souffrance des débuts. C’est cet homme là que tu veux attendre ?
— Tchip ! Et bien fous-moi l’camp d’ici, négresse arrogante ! »
Rose reprit sa marche, mais au bout de trois pas, Marie avait repris la parole, le timbre grave, sourd, tremblant de rage.
« Fais la fière, fais l’arrogante, mais tu ne vaux pas mieux que moi, chienne ! Le temps va te le montrer ! Je jure sur la tête de ma mère, la prêtresse de son village, que tes filles seront toutes des chiennes, flattées puis rouées de coup, comme toi négresse ! Les hommes les utiliseront, les séduiront puis les détruiront, pendant des générations ! Elles seront des chiennes ! Comme toi ! »
Elle cracha sur le sentier poussiéreux. Le vent dressait ses longues boucles brunes sur le sommet de son crâne, Méduse endiablée à l’air menaçant, et son corps, tendu à l’extrême, était voûté, vibrant comme la corde d’un arc.
Coup de colère, coup de folie ou envolée mystique… Les dernières paroles de Madame restèrent gravées dans l’esprit de Rose. Alors qu’elle quittait pour toujours l’Habitation Desrosières, sans se retourner une seule fois, elle se jura d’apprendre à sa fille à se méfier des hommes. Surtout des hommes puissants, si habiles à la séduction puis à l’abandon. (page 18)
Hélène se trouvait belle. Elle aimait passer des heures à se contempler, nue, devant son miroir à pieds, jouer avec ses mèches rousses, compter ses grains de beauté, retrousser son petit museau. Elle se trouvait belle et aimait être admirée. Elle n’avait rien d’une mijaurée et Gran’man avait beau essayer de lui enseigner la mesure, la discrétion, la crainte de la malédiction, Hélène cherchait le regard des hommes.
À l’écart du petit groupe qui se recueillait autour de la tombe de Gran’man, presque cachée derrière un tombeau de carrelage de blanc, elle se sentit rougir en pensant à ce qu’elle avait vécu la veille au soir.
Alors que la dépouille de Gran’man était préparée pour l’ensevelissement, elle avait décidé de se débarrasser de cette énergie brûlante qui l’habitait depuis des mois. Cette chaleur qu’elle sentait la consumer et qui la réveillait en pleine nuit, moite de sueur, les cuisses humides, collées à sa chemise de nuit. Une fois sa grand-mère et Marianne couchées pour la nuit, l’adolescente s’était levée, rhabillée, et avait quitté sans bruit la maison coloniale.
Plus tard, seule dans la pénombre et la moiteur de la nuit, elle avait franchi la porte de « Chez Nonette », une buvette du quartier des ouvriers, qui sentait le mauvais rhum, la fumée et la sueur. On s’y retrouvait le soir, pour boire et pour danser, pour défier la misère et rire de la pauvreté. L’alcool était fort et la promiscuité collait à la peau. Dans un coin, quelques tanbouyé battaient leur peau de cabri, et parfois, dans un cri, pantalon ou jupon se retroussait et deux jambes se jetaient dans le cercle, possédées par le rythme du Ka, un torse était secoué de spasmes dansants, une croupe ondulait frénétiquement alors que la foule battaient des mains en rythme.
Lorsque Hélène était entrée dans cette petite case surchauffée, même les musiciens avaient suspendu leur geste. Elle avait dressé un menton fier et traversé l’unique pièce jusqu’au bar où elle commanda un verre à une Nonette désapprobatrice. La propriétaire des lieux essaya de la faire décamper, l’injuriant copieusement et menaçant de la bastonner. Les petites Blanches devaient rester chez elles, pas de place pour les filles de Diablesses dans son établissement. Hélène, butée, ne bougea pas d’un cil. Elle se doutait que personne n’oserait la toucher, personne ne prendrait ce risque, par peur de devoir s’en expliquer auprès de Marianne ou juste de subir un mauvais sort.
Petit à petit, les clients reprirent vie, la musique repartit et les verres se vidèrent de nouveau. (…)
Alors, le rythme de la musique accélérant, elle s’était jeté sur la piste de terre et avait agrippé sa grande jupe de toile fine. Elle cala la broderie anglaise de son jupon à sa ceinture, révélant un mollet pâle, veinée de bleu sombre et une cuisse ferme et lisse. Les tanbouyé gardaient le rythme frénétique du toumblak et jetaient vers elle des regards interrogateurs. Elle se sentit vibrer, tendue comme le fil d’une arbalète, puis elle cassa brutalement ses reins, se pliant en deux telle une liane et tourbillonna, forçant à s’écarter les curieux qui l’entouraient. Elle bondissait, soufflait, suait, son chignon défait laissant couler dans son dos une rivière rousse, ses talons s’enfonçaient dans le sol, chacun de ses pas soulevant une poussière humide, les répondè battaient la cadence et l’espace d’une danse, elle oublia qui elle était et ce qu’elle faisait. Elle n’était qu’écho, un cri dans la nuit.

Genre: Roman

Caractéristiques:

ISBN: 978-2-37520-510-5
Date de parution: 17 mars 2016
Type: Livre broché
Nombre de pages: 160
Dimensions: 220 × 140 × 15 mm
Poids: 300 g