« Pas de prison pour le vent » d’Alain Foix : hommage d’hommes de talents à des femmes admirables

 — Par Roland Sabra —


Alain Foix et la statue de Gerty Archimède à Basse-Terre

 La Martinique a de la chance mais elle ne le sait pas toujours. Elle accueillait Mardi 28 mars dans une trop grande discrétion une création mondiale d’Antoine Bourseiller : la mise en scène de Pas de prison pour le vent une pièce écrite par Alain Foix.

Antoine Bourseiller est aujourd’hui un vieux Monsieur qui a consacré toute sa vie au théâtre, à l’opéra et au cinéma. Qu’on en juge : en 1960 il reçoit le prix du Concours des Jeunes Compagnies, grâce auquel il prend la direction du Studio des Champs-Élysées. De 1960 à 1982, il est directeur de théâtre (Paris, Marseille, Orléans) et, de 1982 à 1996; il dirige l’Opéra de Nancy et de Lorraine, puis de 1994 à 2000 Les Soirées d’été de Gordes.  En 1967, invité par Jean Vilar, il avait ouvert un nouveau lieu au Festival d’Avignon, le Cloître des Carmes. Son oeuvre théâtrale est une aventure essentiellement marquée par des créations, ponctuée cependant de certaines exhumations d’œuvres classiques, telle La Marianne de Tristan Lhermitte, La mort d’Agrippine de Cyrano de Bergerac, Rodogune de Corneille, Axel de Villiers de L’Isle-Adam. Très proche de Jean Genet il réalise, dans la collection Témoins de son temps, produite par Danièle Delorme, la première vidéo-interview de Jean Genet en 1982. Il met en scène Le Balcon à Marseille en 1969 et à Paris en 1975 et Le Bagne en 2005. Il a aussi signé une Phèdre jouée plus de 300 fois en France et en Afrique… qu’on se le dise.

Ce vieux Monsieur est un aventurier : « A l’Athénée où j’ai joué Le Vicaire, avec tous les soirs des bagarres dans les couloirs et sur la scène, des lâchages de souris à l’orchestre pour effrayer le public féminin, sans parler des boules puantes et même des boules d’éther…
Savez-vous que dès le premier soir nous n’avons pas pu terminer la pièce ? Le producteur, Jean Reyre, PDG de Paribas, nous a donné rendez-vous pour le lendemain afin de nous faire part de sa décision. Nous n’en menions pas large… Le lendemain : J’ai déjeuné à l’Elysée, nous dit Jean Reyre, avec le général de Gaulle et madame. Le général m’a dit : Monsieur Reyre jouez votre pièce. Le pape Pie XII n’a jamais reconnu mon gouvernement provisoire à Alger. Et nous avons joué tant bien que mal, entourés de cars de C.R.S. …

Ce vieux Monsieur, découvreur de nouveaux talents, mais qui a signé plusieurs mises-en-scènes pour la Comédie Française nous propose aujourd’hui un travail commencé par une lecture publique l’an dernier en Avignon et qu’il termine cette année par une mise en scène. Il dit d’Alain Foix : « C’est un auteur! » Joli compliment il faut en convenir de la part d’une telle référence.

Alain Foix, guadeloupéen, est écrivain, docteur en philosophie, directeur artistique, documentariste et consultant. Journaliste et critique de spectacles, il est également auteur d’un grand nombre d’articles et de courts essais, notamment sur l’art et le spectacle, directeur artistique et d’établissements artistiques et culturels il a notamment dirigé la scène nationale de la Guadeloupe de 1988 à 1991. Il s’est vu décerné le Premier prix Beaumarchais/ Etc_Caraïbe d’écriture théâtrale de la Caraïbe pour Vénus et Adam (2005) et Prix de la meilleure émission créole au Festival Vues d’Afrique de Montréal (1989) etc. Alain Foix est un Nègre Gréco-Latin. Il raconte de façon fort drôle une rencontre au Père Lachaise avec deux vieilles dames qui n’en revenaient pas de l’entendre traduire du latin un écriteau qui évoquait Molière.


Dire que l’on a déroulé les tapis rouges pour un Sarkungunya ministre de la police et reçu dans une indifférence polie ces deux artistes. Nous n’avons pas tous les mêmes valeurs!

Ces deux talents réunis nous proposent donc « Pas de prison pour le vent.

Un douanier du port de Basse-Terre, un « guignol » «  défenseur du monde libre », a confisqué les livres et le passeport d’Angela Davis. Le motif ? cette universitaire, américaine en provenance de Cuba membre des Blacks Panthers est une dangereuse communiste recherchée par le FBI. Pour lui fournir de l’aide les dockers lui ont indiqué le chemin de Cocoyer où dans la villa paternelle la déjà célèbre avocate féministe et communiste Gerty Archimède, s’apprête à affronter un cyclone en compagnie de sa soeur, entrée dans les ordres sous le nom de Soeur Suzanne et d’un homme à tout faire dont on ne saura rien. Entre évocations du père mortifié de n’avoir eu que des filles , remémoration douloureuse du suicide d’une soeur, Germaine enceinte à vingt ans et qui s’est jetée par déshonneur dans la Seine d’un coté et souvenir de viol, cauchemar de prison, amour assassiné de l’autre les trois femmes dans le huis clos de la villa gémissante sous les assauts du vent disent ce qu’il en est et ce qu’il en coûte d’être femme et engagée vers les autres. Angela grâce au concours des deux soeurs, chacune sur leur registre, récupèrera son passeport et pourra repartir.

L’intrigue est mince et l’important est ailleurs. Il gîte dans le texte admirablement écrit d’Alain Foix qui relate dans « Pas de Prison pour le vent » un épisode véridique de la vie de sa grande tante Gerty Archimède. Cette figure de légende , aujourd’hui honorée d’une statue et d’un Musée en Guadeloupe est née en 1909 à Morne-A-l’Eau. Après des études de droit elle prête serment en 1939 devenant la première avocate Antillaise. Dotée d’une grande curiosité intellectuelle et oratrice exceptionnelle elle met avec brio et succès ses talents au service de la lutte anti-colonialiste. Sollicitée de par le monde entier dans des conférences elle ne perd jamais contact avec son peuple privilégiant la défense des humbles des réprouvés des humiliés aux procès à grand spectacle et autrement rémunérateurs. Le seul mandat auquel elle s’attache est celui de Maire de sa commune.

L’écriture d’Alain Foix témoigne de l’admiration, justifiée qu’il porte à cette parente. Mais c’est une admiration lucide qui ne fait pas l’impasse sur la femme et sur le poids des déterminations familiales dans l’engagement de Gerty Archimède. La figure tutélaire du Père est là, présence enveloppante à la fois stimulante et source d’inhibition. Soeur Suzanne offre ‘l’incendie de sa vie, ce soleil infini [ qui] en nous brûle à jamais » à Dieu le Père. Elle dit à Gerty « Tu n’avais pas le choix. Tu es l’aînée nest-ce pas? Tu as a fait  comme papa » même si pour la forme ce fût d’abord malgré papa « un roc, un grand homme ». Le père se prénommait Sainte-Croix :  « Nous portons notre croi »x déclare Gerty et la soeur de répondre « Oui, notre Sainte-Croix » Les hommes? La parole des femmes tourne autour mais ils sont absents, pas de rôle pour eux. Antoine Bourseiller a demandé à Gilbert Laumord d’incarner cette absence fantômatique qui entre et qui sort, qui va et qui vient, sans mots, homme à tout faire et à pas grand chose par ce qu’ « un homme pour la vie, c’est lourd dans une vie« . Surtout si c’est la figure d’exception du père, celle qui écrase sans espoir de rivaliser les compagnons, les amants, les maris, les ravalant au commun du petit autre.

Comme tous les vrais textes de théâtre celui là est difficile, particulièrement difficile. Incroyablement écrit et ré-écrit ce texte d’un combat contre l’oppression pèse et opprime celles sur scène qui essaient de lui donner chair. Comme un costume trop grand pour, qu’on a du mal a remplir il flotte au-dessus du plateau « pesant comme un couvercle » Marie-Noêlle Eusèbe dans le rôle de Gerty Archimède semble en représentation permanente et ne devoir jamais quitter la robe de son métier alors même que le huis-clos de la pièce, l’homogénéîté sexuelle des protagonistes, la maison familiale et non le cabinet, la scénographie invitent à l’intimité, à l’absence d’artifice, à la disparition des effets de langage face à l’absence d’enjeu de pouvoir entre ces femmes rassemblées dans une communauté d’engagements. Quand bien même ceux-ci divergent et peuvent se heurter ce qui les réunit l’emporte comme le montre le concours des deux soeurs dans le dénouement de la pièce.

Il faut nuancer cette critique, le spectacle vu était la «deuxième» représentation, souvent la moins bonne, la tension de la première est retombée et les comédiens n’ont pas encore eu le temps de trouver leurs marques. Nuance d’autant plus nécessaire que Mariann Matheus dans le rôle de Soeur Suzanne a déjà pris une bonne longueur d’avance dans l’appropriation du personnage dont elle dit le texte avec un grand naturel et une grande aisance. Elle laisse entrevoir une palette de talents suffisamment large pour être le pivot d’une troupe théâtrale. Ce n’est donc pas le texte qui fait problème mais bien la grande jeunesse du spectacle.

Merci à Fanny Auguiac qui, grande dame, s’est battue pour nous laisser ce cadeau d’adieu.


Roland Sabra

Pas de prison pour le vent, une pièce écrite par Alain Foix
Mise en scène par Antoine Bourseiller assisté de Cédric Couture
Design sonore: jean Baptiste Barrière
Lumières : Laurent Laban
Interprétée par Marie-Noëlle Eusèbe dans le rôle de Gerty Archimède; Sonia Floire dans le rôle d’Angela Davis ; Mariann Matheus dans le rôle de Soeur Suzanne ; Gilbert Laumord dans le rôle de Joachim et des voix-off masculines ;
Daniel-Yves Pharose dans le rôle de l’homme saoul; Michel Reinette prête sa voix à la radio