Ouverture de l’année Césaire

Jean-Claude Duverger

Jean-Claude Duverger

—Par Selim Lander. —

L’année Césaire a commencé. Après la reprise par Hervé Deluge de son Gueuleur (voir l’article de Roland Sabra), voici Paroles et Silences conçu et mis en scène par José Alpha. Jean-Claude Duverger interprète des textes des « classiques » de la Martinique (Ménil, Lucrèce et bien sûr, et surtout Césaire lui-même) et au-delà (Amadou Hampaté Bâ et Khalil Gilbran).  Après un prologue en voix off, J.-Cl. Duverger ne quittera plus la scène, ni la parole – à l’exception de deux intermèdes assurés par cinq jeunes danseurs et danseuses du groupe Mouv’men Danc’z (sic). L’accompagnement musical, très efficace, est assuré par le percussionniste Christian Charles, bien connu du public martiniquais, accompagné cette fois par Michel Beudard qui a su tirer de son saxophone des accents mélancoliques bien en rapport avec la situation du personnage joué par J.-Cl. Duverger. Lequel personnage, armé d’un balai et d’une poubelle, est en effet chargé du nettoyage d’une gare parisienne. En fond de scène, une vidéo de Raphaël Thine donne à voir les mouvements des trains et des passagers.

C’est une bonne idée de confronter Césaire à des contemporains dont l’œuvre a des rapports évidents avec la sienne. De Césaire lui-même, on reconnaît des passages du Discours sur le colonialisme (« la civilisation déshumanise l’homme même le plus civilisé »), du Cahier (« le seul indiscutable record que nous ayons battu », « un nègre grand comme un pongo »), d’autres poèmes (« Moi qui Krakatoa », etc.). Les autres textes ont souvent moins d’emphase, il y a des ruptures de ton pas toujours parfaitement négociées et cela est vrai aussi pour les irruptions des danseurs. On peut en dire autant à propos du conte, en créole, d’un certain chien bleu chargé de monter la garde en l’absence de son maître, qui détend très agréablement l’atmosphère mais dont on se demande malgré tout pourquoi il intervient dans le spectacle. Cela ne signifie pas que tous ces morceaux, pris individuellement, ne soient pas instructifs ou plaisants et bien joués ; mais on en vient à s’interroger sur la manière dont ils s’emboitent pour composer le spectacle.

Il n’empêche, et c’est l’essentiel, que J.-Cl. Duverger nous tient de bout en bout sous l’autorité de sa présence et d’une verve dont il sait faire varier l’intensité au gré de son discours. Il nous communique sa passion, c’est-à-dire que nous communions avec lui en l’écoutant dire des textes que nous avons pour beaucoup si souvent entendus, mais sans nous lasser, comme ces catholiques  qui entendent de dimanche en dimanche à la messe les mêmes paroles sacrées sans que leur ferveur et leur émotion en soient diminuées pour autant. Peut-être, au contraire, s’accroissent-elles de cette répétition.

Il faut ajouter que le lieu, le petit théâtre « Aimé Césaire » du lycée Schoelcher (1), où ce spectacle est présenté, est particulièrement propice pour une « cérémonie » de ce genre. Petit mais disposant de tous les accessoires (lumières, coulisses,…) qui conviennent pour faire vraiment du théâtre, il favorise la rencontre entre le spectateur et le (ou les) comédien(s).

Prochaines représentations : les 23, 25 et 26 janvier 2013 au lycée Schoelcher à Fort-de-France.

Fabrice di Falco

Fabrice di Falco

Le 19 janvier, hors programme du CMAC mais sous son égide et dans la salle… Aimé Césaire de l’Atrium a été présentée une préfiguration de ce qui doit être le festival itinérant Aimez ces aires sous la direction artistique de Christian Ortolé. Cette soirée intitulée « Plaidoiries de Saint-Georges à nos jours »  combinait en fait deux sortes de performances : D’une part, des morceaux lyriques interprétés par le « sopraniste » Fabrice di Falco, né en Martinique. Le tract distribué à l’entrée ne donnait aucune précision sur le répertoire chanté mais l’on pouvait supposer à entendre la musique qu’il s’agissait au moins pour une bonne part d’œuvres du Chevalier de Saint-Georges (né en Guadeloupe en 1745, assassiné à Paris en 1799). D’autre part, les déclamations de cinq slameurs parmi lesquels Capitaine Alexandre, camerounais d’origine, venu de métropole, et quatre Martiniquais(es), trois femmes et un homme, talentueux conteur plus connu désormais sous le nom de Papa Slam. Le tout accompagné par le pianiste Florent Hu, irréprochable. Fabrice di Falco est un artiste confirmé et sa prestation n’a pas déçu même si l’on aurait aimé parfois qu’il se servît plus souvent du micro mis à sa disposition. Quant aux slameurs c’est une autre affaire. Même si certaines de leurs interventions étaient non dépourvues d’intérêt, on ne pouvait manquer de comparer avec la poésie de Césaire, puisqu’il s’agissait de lui rendre hommage. Certes il est toujours sympathique de voir s’exprimer des vocations artistiques. On se prenait à penser néanmoins qu’il eût été préférable de contenir la soirée dans la durée prévue de 1h10 au lieu de la laisser se prolonger, que le zèle démontré par la plupart de ces slameurs n’était pas un titre suffisant pour les laisser s’exprimer (longuement) en public.

Capitaine Alexandre

Capitaine Alexandre

Que sera la suite de l’année Césaire ? Lesquelles de ses pièces nous seront proposées ? Il n’y en a pas dans les programmes déjà connus. Mais laissons venir. Nous ne sommes qu’au mois de janvier.

(1)   La première salle de théâtre de Martinique à notre connaissance à être baptisée du nom du grand homme, ce qui se justifiait d’autant plus, en l’occurrence, que Césaire fut élève puis professeur dans ce lycée. Que deux autres salles aient emboité le pas par la suite est non seulement ridicule (on croyait le culte du grand homme réservé à d’autres régimes !) mais la source d’inutiles confusions.