D’ici 2030 , l’autonomie à l’épreuve du grand dessèchement monétaire et de la rigueur budgétaire.
— Par Jean-Marie Nol —
L’évolution institutionnelle des territoires d’outre-mer vers davantage d’autonomie semble désormais une trajectoire inévitable. Elle s’inscrit dans un mouvement global de l’ensemble des territoires d’outre-mer, alimenté par une montée en puissance du sentiment identitaire, largement relayé par les élus et de plus en plus accepté, voire encouragé, par l’État français. Toutefois, derrière les discours en apparence favorables à cette autonomie se cache une réalité beaucoup plus prosaïque, marquée par une logique d’ajustement budgétaire. En effet, l’autonomie n’est pas seulement envisagée comme une avancée démocratique ou identitaire, mais aussi, et surtout, comme une solution économique à court et moyen terme pour l’État, qui y voit une opportunité de réduire la charge budgétaire que représentent les outre-mer. Dans ce contexte, un phénomène préoccupant est appelé à s’intensifier d’ici 2030 : la diminution progressive de la masse monétaire en circulation dans ces territoires. Et avec elle, les conséquences économiques et sociales risquent d’être profondes. La masse monétaire d’un pays ou d’une zone monétaire permet de connaitre la quantité de monnaie en circulation entre agents économiques. Elle est mesurée par une série d’indicateurs, les « agrégats monétaires », appelés M1, M2, M3. La création monétaire est un Processus provenant essentiellement des crédits accordés à l’économie par lequel la masse monétaire augmente ou diminue.
La masse monétaire, en tant que mesure de la quantité de monnaie en circulation au sein d’une économie, est un indicateur fondamental de l’activité économique. Sa variation influence directement la demande globale, l’investissement, les taux d’intérêt, et in fine la croissance. Une diminution de cette masse en circulation dans les territoires d’outre-mer signifie mécaniquement que les agents économiques – ménages comme entreprises – auront moins de ressources financières pour consommer, investir ou emprunter. L’impact en chaîne est bien connu : contraction de la demande globale, baisse du produit intérieur brut réel, ralentissement de l’activité économique, réduction de l’investissement privé et public, et affaiblissement du marché du travail. Le cercle vicieux s’installe alors, avec des banques plus frileuses, une diminution des dépôts, une raréfaction du crédit et un climat de défiance généralisé.
Ce scénario, déjà observable dans certains territoires comme la Nouvelle-Calédonie, pourrait devenir la norme dans l’ensemble des régions ultramarines françaises.
Force est de souligner que nous sommes confrontés à une bombe à retardement monétaire pour les outre-mer. Le passage à une plus grande autonomie, notamment dans le cadre de l’application de l’article 74 de la Constitution, entraînera mécaniquement une réduction des transferts financiers de l’État. Ce retrait progressif de l’appui budgétaire national est la clé de voûte du raisonnement gouvernemental : moins de dépendance statutaire signifie moins de dépendance budgétaire. Mais cela signifie aussi moins de liquidités injectées dans le tissu économique local. L’argent ne circule plus comme auparavant, les salaires des fonctionnaires stagnent ou diminuent, les aides sociales sont réévaluées à la baisse, les investissements publics ralentissent. Résultat : la masse monétaire se contracte. Les dépôts bancaires diminuent parce que les gens peinent à joindre les deux bouts ou, pire, perdent leur emploi . Les banques ont moins d’argent à prêter. Quoi qu’il en soit, les entreprises et les particuliers rechignent à dépenser beaucoup en raison de la mauvaise conjoncture économique. La masse monétaire diminuera de fait de manière significative .
À cette baisse structurelle s’ajoute une politique nationale de rigueur budgétaire de plus en plus affirmée. Le plan d’assainissement des finances publiques engagé par l’État français ne laisse aucun territoire de côté. L’outre-mer, trop longtemps considéré comme un sanctuaire budgétaire pour des raisons historiques et politiques, sera désormais pleinement intégré aux efforts de redressement des finances publiques. Cela se traduira par des coupes dans les aides sociales, les subventions, les aides au développement, les dotations de fonctionnement et d’investissement des collectivités. Dans les faits, ce sont les économies locales qui en feront les frais. Les entreprises verront leur accès au crédit restreint, les projets d’infrastructure seront reportés, et les ménages perdront en pouvoir d’achat.
Par conséquent, cette baisse de la masse monétaire n’est pas un simple ajustement technique. C’est un bouleversement économique profond, aux répercussions multiples : frein à l’investissement, ralentissement de l’activité des entreprises, montée du chômage, paupérisation progressive d’une partie croissante de la population. Et comme dans toute économie en tension monétaire, les taux d’intérêt remonteront mécaniquement. Les banques, moins solvables, augmenteront le coût du crédit pour compenser le risque. Cette hausse freinera encore davantage l’investissement privé et l’accès des ménages au crédit à la consommation ou immobilier. Le ralentissement se nourrira de lui-même., car moins d’argent, plus de responsabilités c’est assurément le pari risqué de l’autonomie ultramarine.
Face à cette réalité, il serait illusoire de croire que le processus d’autonomie en lui-même suffira à créer un nouvel élan économique. La transition vers davantage de responsabilités locales ne peut réussir que si elle est accompagnée d’un changement de modèle économique et de dispositifs de soutien financier, de garanties bancaires et d’investissements massifs dans la production locale et l’économie réelle. Sinon, l’autonomie pourrait devenir synonyme de récession prolongée et de déclassement économique. Il ne faut pas se méprendre : l’avenir économique de l’outre-mer ne se joue pas uniquement dans les institutions, mais dans les équilibres monétaires et budgétaires qui sous-tendent leur fonctionnement quotidien.
Ne soyons pas dupes non plus de la stratégie de l’État, qui joue double jeu : en prônant l’autonomie au nom du respect des aspirations locales, tout en y voyant un levier de désengagement budgétaire. Derrière les promesses de responsabilité locale se cache un repli de la solidarité nationale. Et derrière l’argument identitaire, un calcul comptable froid. Dans ce contexte, les frustrations et les désillusions sont inévitables, car les populations ultramarines risquent de découvrir que l’autonomie, sans les moyens financiers qui l’accompagnent, pourrait devenir une impasse plutôt qu’un aboutissement.
Ainsi, la diminution à venir de la masse monétaire en outre-mer est bien plus qu’un simple phénomène économique. Elle est l’indicateur avancé d’un bouleversement profond, à la croisée des chemins entre autonomie institutionnelle, austérité budgétaire et précarisation économique. C’est un défi que les territoires ultramarins devront affronter avec lucidité, créativité et surtout vigilance, car il en va de leur stabilité sociale, de leur développement futur et de la crédibilité même de leur choix désormais irréversible d’émancipation institutionnelle, car cela va incontestablement dans le sens de l’histoire . A noter que mon analyse procède d’une vision prospective qui n’engage que moi.
» Apwè fèt fini, tout violon ké rangé an sak »
Traduction littérale : Après que la fête soit finie, tous les violons seront rangés dans le sac.
Moralité
Il y a un temps pour toute chose, et toutes les belles choses ont une fin. Bal fini, vyolon an sak !
Jean-Marie Nol, économiste