« Ou ka mandé an malad si i lé bouyon ? »

— Par Karl Paolo —

La grande majorité des commentateurs de l’actualité de notre pays, que ce soit dans les médias ayant pignons sur rue (Martinique la 1ère, RCI, …etc.) et dans la presse écrite, ici même, ont applaudi la tenue du Congrès des Elus du pays qui s’est déroulé le 8 octobre dernier. Au terme d’un ladja de paroles durant une journée, nos dirigeants actuels et futurs ont accouché d’une résolution en faveur de l’autonomie, assortie de la possibilité de faire des lois adaptées à notre situation de petit pays insulaire, situé dans les tropiques et non en Europe et bien entendu, et à ce que nous sommes.

Qui peut être contre le fait que les règles appliquées chez nous correspondent à nos réalités ? Personne, d’autant que cette demande n’a rien de nouveau : le 18 aout 1971, il y a donc 54 ans, se clôturait la convention du Morne-Rouge dont la déclaration finale portait sur le statut d’autonomie ainsi que les programmes à mener sur les plans économique, social et culturel.

Lors de la tenue du Congrès des Elus du 8 octobre dernier, un seul élu, Yan Monplaisir, maire de Saint-Joseph et conseiller à la collectivité territoriale de Martinique a eu le courage de faire connaitre publiquement son désaccord avec cette grand-messe, en présentant un argument d’une simplicité biblique : comment peut-on exiger plus de pouvoir local quand les compétences qui relèvent de nos collectivités sont si mal assumées que tout le monde s’en plaint (eau, transport, déchet, formation professionnelle, aménagement du territoire …etc.) ? A cela il faut ajouter le fait que la gestion de nos élus se caractérisent par des déficits permanents, régulièrement pointés du droit par la Chambre régionale des comptes ? Mais Yan Monplaisir n’est pas hostile, par principe, à l’extension des responsabilités des élus locaux dont il fait partie. Pour autant, cela n’a pas empêché Martinique la 1ère de le priver de l’antenne radio où il était prévu qu’il s’exprime …. !!!

En réalité, la question posée aux élus contenait sa propre réponse : demander à ces derniers s’ils veulent plus de pouvoir, « sé mandé an malad si i lé bouyon » !

La vraie question n’est pas de savoir si nos élus doivent disposer ou non de la possibilité de faire des lois mais que ces derniers disent précisément dans quels domaines et pour quoi faire, c’est-à-dire indiquer le programme qu’à la direction de la collectivité autonome, ils s’engagent à mettre en œuvre. C’est bien ce que 54 ans plus tôt, la Convention du Morne-Rouge n’avait pas omis de faire !

Pourquoi est-ce essentiel ? Prenons quelques exemples :

1 – Notre tissu économique est composé d’un grand nombre de petites entreprises qui éprouvent beaucoup de difficultés à maintenir leur activité sur une longue période. Selon l’INSEE, la moitié disparaissent 5 ans après leur création, non compris celles qui arrêtent toute activité. Cette situation n’a strictement rien à voir avec celles de l’Hexagone, qui, en dépit des difficultés, reste dans le TOP 10 des pays développés de la planète. Nos petites entreprises martiniquaises, ne seraient elle pas fondées à demander aux élus la mise en place d’un SMIC martiniquais, bien inférieur aux 1 801,80€ brut (1 426,30€ net) en vigueur sur tout le territoire français ? Que vont-répondre ces derniers à cette demande d’adaptation ?

2 – Avoir un pouvoir local ne suffit pas si ce dernier ne dispose pas de moyens financiers. On entend nos élus parler de « pouvoir fiscal », sans plus de précision. Que feront les élus de la collectivité autonome de la prime de vie chère de 40% accordée aux agents publics (fonctionnaires et contractuels) depuis 1950 ainsi qu’à ceux qui bénéficient d’une prime de vie chère spécifique comme la CGSS et la CAF. Vont-ils récupérer les centaines de millions d’euros que ces primes représentent pour alimenter les caisses de la CTM ? Curieusement, aucun élu n’en parle !!!! Il est vrai que beaucoup sont retraités de la fonction publique ….. yo pa asou sa !

3 – Pouvoir et abus de pouvoir semblent souvent associés. Comment éviter ces dérives très souvent observées ? Un grand penseur français, Charles Louis de Montesquieu, dans un ouvrage intitulé « De l’esprit des lois », affirme : « Pour qu’on ne puisse abuser du pouvoir, il faut que, par la disposition des choses, le pouvoir arrête le pouvoir ». Est-ce le cas actuellement et si ce n’est pas le cas, ne risque-t-on pas d’empirer les choses ?

La question vaut d’être posée et on l’a vu à propos de la taxation à l’octroi de mer, mise à zéro sur 54 familles de produits en fin 2024, pour, parait-il, « lutter contre la vie chère ». Pendant que d’une main, nos élus réduisaient de 6 millions d’euros le montant de la taxe perçue sur les « produits de 1ère nécessité », ils l’ont simultanément augmentée de 13,5 millions d’euro sur d’autres produits, par exemple, les ordinateurs. Mieux, il y a quelques mois, les 24 et 25 juillet 2025, pendant la période des grandes vacances, une nouvelle actualisation des tarifs de l’octroi de mer a conduit à augmenter la charge de cet impôt payé par tous les martiniquais de 28 millions d’euros ! Au total, une ponction de plus de 25 millions d’euros dans la poche des martiniquais et ce, en moins d’un an !!!!

Ce tour de passe-passe n’est pas vraiment une nouveauté : entre 2020 et 2022, la charge annuelle de l’octroi de mer par habitant est passée de 756,00e à 949,00€ soit une augmentation de 25,50% que les martiniquais se sont vu imposer. Avec les décisions de nos « chers » élus, nul doute que les choses ont empiré.

 

4 – On prête à l’empereur romain, Jules César le propos suivant : « la femme de César doit être irréprochable ». Si la femme de César ne peut être soupçonnée, allez-voir César lui-même ! César doit être au-dessus de tout soupçon.

Nos élus et, notamment, ceux qui sont à la tête de collectivités ou d’établissements publics, le sont-ils ? On aimerait le croire mais les affaires judiciaires dont font l’objet certains, de Sainte-Rose Cakin à Serge Letchimy en passant par quelques autres, pour le moment, présumés innocents, ne peuvent qu’interroger sur la probité de certains de ceux qui veulent prendre les rênes d’une Martinique autonome, quand bien même de grands éditorialistes et juristes locaux semblent considérer que ce sont des « péchés véniels » et qu’on ne fait pas d’omelette sans casser les œufs ! Imagine-t-on Aimé Césaire se faisant attribuer, par la ville dont il a été le maire pendant 56 ans, une retraite illégale ? Comme quoi le proverbe « on n’est jamais trahi que par les siens » est vrai !

Karl PAOLO

23/10/2025