« OFFRANDES », de Philippe Bourgade

Exposition de photographies, Galerie André Arsenec, à Tropiques Atrium

« Offrandes », l’exposition vue par…

Claude Cauquil

Un parcours artistique s’évalue sur la durée d’une vie et l’on ne peut appréhender l’Œuvre d’un créateur que dans sa totalité ; pourtant certaines périodes, séries s’identifient dès leur réalisation comme marquantes. Il est des expositions charnières qui s’imposent comme l’aboutissement d’une recherche avant même d’accéder aux cimaises.

OFFRANDES que nous soumet Philippe Bourgade est de celles-là. Elle baigne d’un éclairage nouveau son travail photographique et l’ancre définitivement dans le patrimoine culturel caribéen.

Sa grande sensibilité plastique est évidente dans la somme d’images qu’il nous a livrée depuis trois décennies, mettant en place la transmission visuelle d’une Martinique des Mornes, travail en noir et blanc pour pérenniser le souvenir. Philippe nous a raconté son pays d’une manière qui a permis à beaucoup d’éclairer leurs propres réminiscences d’une aura de poésie. Aujourd’hui, les personnages ont déserté le visuel pour laisser la place à de simples éléments de nature. Ici ce n’est plus le photographe qui tel un réalisateur construit son image. Il se fait observateur, passeur de l’infini vers le visible.

Cette approche exige une grande humilité, où l’oubli de ses propres attentes, rend propice à la perception des propositions, des évidences qui s’offrent à nous. « Tout est là », c’est le premier nom qui avait été choisi pour nommer cet ensemble de photographies. « Offrandes » s’est ensuite imposé. Une pratique épurée, excluant l’anecdote pour se laisser aller à la contemplation de ce qui nous est donné à voir.

Jaillissement de la couleur, fragmentation de la surface, l’eau, le bois, le sable, le feu, tout devient joaillerie. Le paradoxe de la complexité qui se fait évidence, c’est la grâce de la maturité artistique. Son travail se tourne vers l’intemporel, l’immatériel, l’universel, avec un avant goût d’éternité, la monstration d’une vibration originelle, simple et puissante comme une pulsation cardiaque.

Alfred Alexandre

Dans la trouée verte des lumières d’algues. Là où les arbres qui se regardent dans la mer étirent leurs ombrages au pied d’anciennes cabanes de pêcheur brûlées par le soleil. Eau. Bois. Feu. Sables et rouilles.

Telles sont les présences qui donnent au rêve sa matière. Telles sont les offrandes. Lorsque la vague aussi ramène tout ce que l’on croyait perdu. Et dont le pays n’a jamais tu la parole vive. 

Quoi ? Derrière la nuit : les corps égarés une fois encore à délivrer aux quatre croisées. Devant le jour : un bain de sel bleu.  Hors les médecines qui guérissaient même la faim.

Janine Bailly

La lumière. Elle émane des photographies, elle me happe et refuse de me lâcher tant que dure ma visite. Elle se pare de couleurs, ou se repaît de sa propre blancheur, jusqu’à se faire argentée ou dorée. Elle hante la semi-obscurité voulue dans la Galerie Arsenec. Légère jusqu’à l’évanescence, ou si dense qu’elle semble un matériau venu magnifier les autres éléments, dont elle naît mais à l’emprise desquels, comme pour vivre de sa vie propre, elle échappe. 

Dans ce parcours singulier et si personnel, Philippe Bourgade nous dit les choses de la nature, celles que son œil a perçues, entrevues, devinées ; celles qui de toute éternité habitent les sables, les mers et les rivières ; celles aussi qui s’ancrent dans ou sur la terre, pierres, arbres, écorces feuilles branches et racines. Non seulement les choses, auxquelles il donne un supplément d’âme, mais encore le reflet des choses ! Et ce qui dans le paysage semblait mort soudain reprend vie. L’eau irrigue les clichés, comme elle irrigue le monde et ses croyances, qu’on la nomme Manman Dlo, Mamiwata ou Yemayá, qu’elle coule sereine, qu’elle s’élève en gerbes d’artifices vers le ciel ou qu’elle jaillisse et se diffracte en mille et une gouttelettes dansantes. L’eau, qui cache et révèle, et plus loin le feu en mouvantes figures, insaisissable et triomphant et qui conte nos fantasmes. Les marques aussi des origines et des naissances, dans la mythologie des signes ; dans les déclinaisons de l’air/la terre/l’eau/le feu,  le minéral et le végétal, le temporel et le spirituel, le profane et le sacré. 

Regarder, c’est ici redevenir l’enfant qui dans les nuages se dessine un univers secret, intraduisible aux autres. C’est, avant même de comprendre, permettre aux sensations de troubler notre quiétude routinière. Permettre que la beauté soit. Découvrir le récit inscrit aux murs par le photographe, le lire au prisme de notre propre culture, qui sans être forcément la sienne pourtant la rejoint, en cela que l’exposition prend une signification universelle. Ainsi ai-je tout à coup ressenti, devant une certaine image, une émotion semblable à celle qui s’est emparée de moi la première fois qu’il m’a été donné de voir, de Claude Monet le tableau intitulé « Impression, soleil levant » : la même douceur jointe à la même force, la même nécessité, la même urgence tranquille dans la toile et dans la photographie !