Noir de boue et d’obus

De la compagnie Difé Kako de Chantal Loïal . Le 29 avril et le 30 avril à 9h30 (scolaires, première partie assurée par les élèves du lycée Schoelcher) et le 30 avril à 20h.

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Inscrit à la Mission du Centenaire de la Première Guerre Mondiale, Noir de boue et d’obus exhume des tranchées, la mémoire des poilus venus de l’Empire colonial français. Avec sa compagnie Difé Kako, Chantal Loïal restitue une dignité à des hommes voués au sacrifice.
DU GRONDEMENT des mitrailleuses, du crépitement de la pluie, jaillissent des rythmes africains, antillais. Embourbés dans leur destin, piégés par la violence de la guerre, défaits de tout espoir de liberté, ces hommes ravivent leur lignage, leur héritage. Comment pourraient-ils tenir sans leur culture ? Comment survivre dans ce bourbier putride à des milliers de kilomètres de leurs maisonnées ?
Originaires du Maghreb, du Sénégal, de la Guadeloupe et de la Martinique, des centaines de milliers de soldats de l’Empire colonial français ont payé l’impôt du sang.
Si la grande faucheuse n’a épargné ni noir ni blanc, l’armée française a été moins égalitaire. Aux conscrits nationaux, elle a réservé un meilleur sort qu’aux tirailleurs étrangers. Le racisme ne connaît ni trêve, ni paix des braves.
De la Grande Guerre, la chorégraphe Chantal Loïal tire les linéaments de sa nouvelle création Noir de boue et d’obus. Familière des scènes alsaciennes, sa compagnie Difé Kako développe un travail exigeant, indispensable sur l’histoire coloniale, la négritude, contre une amnésie sélective, qui tente d’infléchir les représentations, les assignations stigmatisantes de l’autre.
À la suite de son magnifique solo, On t’appelle Vénus et de la pièce chorale Château Rouge, la chorégraphe réactive entre obus et boue, la parole des damnés de la terre. Des correspondances avec leurs familles, des témoignages montent les protestations, les cris de ces anonymes réduits à n’être que de la chair à canon. On nourrit moins bien les Sénégalais que les blancs et les métis. La discrimination règne implacablement.
La musique répétitive, entêtante composée par l’inventif Pierre Boscheron, complice du chanteur –M–, scande l’air comme les corps projetés au sol, cassés dans leur élan. L’allure martiale se brise, le régiment se disloque on rampe, aveuglé par la fumée. Un cri retentit glaçant:« je rigole maintenant, parce que là-bas, je sais que je vais mourir ».
Lieutenants de la mémoire de leurs frères d’infortune, d’hier et d’aujourd’hui, les interprètes de Noir de boue et d’obus, pansent un corps communautaire démembré., qui mieux qu’une leçon d’histoire ou qu’une statue commémorative transmet et transcende les outrages subis. Dans le déni d’existence.
VEP.
Les Dernières Nouvelles d’Alsace du 05 / 04 / 2014