«Noël, une invention de la bourgeoisie du XIXe siècle»

L’anthropologue Martine Perrot revient sur les éléments constitutifs de la fête chrétienne devenue rituel familial. Notre Noël «traditionnel» s’est en réalité constitué au fil du dernier siècle, même s’il puise certains de ses composants jusqu’à l’Antiquité

De quand date le Noël que l’on présente aujourd’hui comme une tradition?

Il s’est construit dans la seconde moitié du 19è siècle, ce qui est relativement récent. Il est contemporain de l’émergence d’une bourgeoisie, qui à travers cette célébration, rend hommage à ses propres membres. Cela correspond à l’Angleterre victorienne ou à la France de Louis-Philippe. Noël devient le prétexte à se réunir à la fin de l’année au même titre que la villégiature en été. On renouvelle à cette occasion notre adhésion aux valeurs familiales. Jusque là, Noël était une fête domestique mais pas une grande réunion de famille. On assiste au 19è à un glissement du rituel religieux au rituel familial. Cela ne concerne évidemment que les milieux aisés car cela suppose un certain faste. Pour les autres, il y a toujours eu au cœur de l’hiver un moment festif parce que l’on avait terminé de constituer les réserves de nourriture pour les mois à venir.

Y a-t-il un lien avec les Saturnales, qui célébraient durant l’Antiquité le solstice d’hiver?

Toutes les fêtes chrétiennes découlent de fêtes païennes. Les Saturnales sont marquées par des excès et des inversions de rôles mais elles sont en effet surtout liées à l’hiver. On a fait les réserves alimentaires et on célèbre la fin de la période maigre en faisant bombance. A la campagne, on tue le cochon pour préparer les charcuteries. En France en tous cas, le boudin noir a très longtemps été au menu des repas de Noël. Sur le plan plus symbolique, décembre est nommé le «mois noir» dans certaines régions. C’est une période sombre et inquiétante, où l’on doit lutter contre les revenants – la fête des morts n’est pas loin – et certains personnages du folklore. D’où les illuminations. L’avènement du Christ est présenté comme une lumière également. Tout cela est finalement lié; Noël est d’un syncrétisme incroyable.

Qu’en est-il les cadeaux?

Il y a eu la tradition des étrennes d’abord puis elle s’est minimisée au fur et à mesure que les cadeaux aux enfants prenaient de l’importance. On est alors passé d’un don pour la nouvelle année à un présent pour Noël. En Allemagne, en Alsace ou dans certaines régions de Suisse, c’est à la Saint-Nicolas. En Espagne, plutôt pour l’Épiphanie. Il y a des particularismes locaux mais globalement, les cadeaux se sont généralisés autour de Noël car le père Noël est le meilleur agent commercial qui soit. Lui aussi est un personnage syncrétique, découlant du bonhomme hiver, du Saint-Nicolas ou encore de Santa Claus. Mais ce sont les États-Unis qui l’ont véritablement imposé en Europe après guerre.

Les grands magasins ont joué un rôle également dans cette industrie.

A la fin du XIXe siècle en effet, Londres, Paris ou New York ont inventé les grands magasins. Leurs directeurs ont tout de site compris que Noël était une aubaine commerciale. Ils ont dressé des rayons spéciaux et inventé les vitrines de Noël. Le Bon Marché à Paris ou Harrod’s à Londres ont ont créé l’offre et le besoin de cadeaux à ce moment précis de l’année. Assez vite, le Père Noël a fait son entrée dans ces magasins pour écouter les souhaits des enfants. Jusqu’alors, nombre de familles offraient une orange, symbole de lumière et d’opulence. Les années 1950 ensuite, ont amené l’industrialisation du jouet et la plupart des enfants ont commencé à recevoir des jeux. C’est au même moment que les cadeaux entre adultes ont fait leur apparition.

Cela revient-il à façonner une société du don?

Noël est une fête de famille et l’idée qui prévaut ce jour-là est de «faire famille», malgré les tensions, les problèmes, les divorces… Pourquoi les gens font-ils tellement d’efforts alors que parallèlement, énormément critiquent une fête imposée et commerciale? Ils s’y plient car ils ont une envie plus ou moins consciente de dire à leurs proches qu’ils ont de l’affection pour eux. Les dons supposent des contre-dons et tout cela affirme des liens. C’est une grammaire inconsciente, une manière de renouveler son adhésion au groupe. Cela tient sans doute d’une envie archaïque de se tenir chaud, au sens propre et figuré, au cœur de l’hiver. Mais par le fait de la globalisation, les mêmes symboles et rituels se retrouvent en Australie, ce qui est tout de même étrange…

L’enfant est au cœur de la fête. Cela correspond-il à l’avènement de l’enfant roi?

Il est au centre à partir du 19è siècle, on le retrouve chez Dickens ou Hugo. Il y a à ce moment-là une prise de conscience de la figure de l’enfant misérable engendré par l’industrialisation sauvage de l’Angleterre ou de la France. Beaucoup vivent alors dans les rues. Tout cela ne fait que croître jusqu’à l’avènement de l’enfant roi et du Père Noël qui est là pour récompenser tous les petits sans conditions.

Et la place du religieux dans tout cela?

La pratique religieuse est en chute libre et l’aspect religieux de Noël a été un peu gommé par la dimension commerciale. L’enfant des familles est devenu le divin enfant et les parents font office de rois mages. Beaucoup de gens cependant, pas forcément croyants, sont lassés de l’absence de signification et du trop plein de cadeaux. Alors ils essaient de redonner du sens. Certains vont à la messe de minuit, mais un peu comme d’autres iraient au théâtre.

Invente-t-on de nouveaux rituels?

Chaque famille invente ses propres rituels mais globalement, le conformisme est énorme, qu’il s’agisse du menu ou des présents. Pour les cadeaux, des parents essaient de minimiser les frais, mais ils se précipitent souvent au tout dernier moment pour compenser et dépensent alors beaucoup! D’autres se limitent à un seul cadeau, procèdent à un tirage au sort…

Comment fête-t-on Noël hors d’Europe?

Pour la plupart des gens, Noël est une fête commerciale et le prétexte à gâter les enfants. A cet égard, il est fêté parfois dans les familles juives ou musulmanes, célébré au Japon, en Chine ou en Inde. Sur Internet, vous trouvez aujourd’hui des images de Père Noël émanant du monde entier! Quant aux chrétiens, ils vont à la messe pour Noël mais tous ne donnent pas la même importance à cette fête. Les orientaux par exemple célèbrent surtout l’Épiphanie, le 6 janvier. Et Pâques reste la fête la plus importante.

■ Le 25 décembre

La date du 25 décembre a été choisie au 4è siècle, pendant le règne de Constantin, pour coïncider avec les fêtes païennes du solstice d’hiver qui avaient lieu jusqu’au 24 décembre. Le culte romain de Sol Invictus, d’origine orientale, se superpose alors avec celui du Dieu persan Mithra. En invitant les chrétiens à célébrer la naissance du Christ le 25 décembre, Rome espère supplanter peu à peu les cultes solaires.

■ Le sapin

Le sapin est un symbole de renaissance, c’est le seul arbre qui reste vert durant l’hiver. «Il est également lié aux fêtes païennes durant lesquelles on allumait de grands feux pour conjurer la disparition du soleil», souligne Martyne Perrot. Les premiers sapins de Noël apparaissent dans l’Allemagne du 15è siècle, au sein des corporations, puis en Alsace. Aux 17è et 18è siècle, on commence à en accrocher des branches au plafond des maisons. Mais le conifère ne se démocratise véritablement que dans les années 1950, après guerre, avec la volonté de se faire plaisir et l’américanisation de nos modes de vie. Au départ, il est décoré de pommes, symbole du paradis perdu. Au milieu du XIXè siècle, une sécheresse pousse les artisans verriers des Vosges à fabriquer des boules pour remplacer les fruits.

■ L’«esprit de Noël»

Charles Dickens l’a mis en mots avec…

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Noël est une fête populaire déconnectée de son fondement religieux.

Instituée le 25 décembre au ive siècle et diffusée par la christianisation progressive de l’Europe et du bassin méditerranéen, cette fête de la Nativité prend peu à peu la place de différentes fêtes liées au solstice d’hiver (fête germanique de Yule, fête de Mithra, Saturnales romaines, etc.). Le Christ étant présenté comme le « soleil de justice » d’une nouvelle ère, sa naissance ouvre l’année liturgique chrétienne lors d’une messe de minuit ritualisée.

Le récit évangélique de la naissance de Jésus sert de base pendant des siècles à une grande richesse artistique (peinture, sculpture, musique, littérature) que renforce la diffusion populaire de la crèche au xiiie siècle, mais les ferments d’autres traditions liées au solstice ne disparaissent pas totalement. C’est ainsi que le sapin germano-nordique, signe d’une nature vivante malgré l’hiver, est honoré à partir du xvie siècle et gagne même les églises. Le sapin de Noël s’imposera comme symbole de la période des fêtes de fin d’année parallèlement à la déchristianisation de l’Europe à l’époque moderne.

La tradition du père Noël qui se mondialise au XXe siècle complétera cette évolution qui a ajouté une dimension profane à la fête chrétienne, plus orientée vers les enfants, les familles et des cadeaux.

Aujourd’hui, la fête de Noël s’est fortement sécularisée et n’est plus nécessairement célébrée comme une fête religieuse. Le jour de Noël est férié dans de nombreux pays, ce qui permet le regroupement familial autour d’un repas festif et l’échange de cadeaux. Le second jour de Noël (26 décembre) est également un jour férié dans plusieurs pays du nord de l’Europe (Pologne, Royaume-Uni, Pays-Bas, pays scandinaves) ainsi qu’en France, dans les trois départements du Haut-Rhin, du Bas-Rhin et de la Moselle. Cela permet également la participation aux messes de Noël pour ceux qui célèbrent la fête sous sa forme religieuse. Après Pâques, Noël est en effet la deuxième fête la plus importante du calendrier liturgique chrétien (la Nativité du Seigneur est une des Douze Grandes Fêtes). Noël est une des trois Nativités célébrées par l’Église catholique, les deux autres étant celle de Jean le Baptiste, le 24 juin, et celle de Marie, le 8 septembre.

La période entourant Noël est appelée « temps des fêtes » au Canada francophone et « fêtes de fin d’année » (ou plus simplement « les fêtes ») en Europe quand on y inclut les célébrations du Nouvel An. Depuis le milieu du xxe siècle, cette période perd son aspect chrétien tout en maintenant vivante la tradition de la fête. Dans cet esprit, Noël prend une connotation folklorique, conservant le regroupement des cellules familiales autour d’un repas et l’échange de cadeaux autour du sapin traditionnel. Hors des foyers elle donne lieu à l’illumination des rues, maisons et magasins et à l’organisation de marchés de Noël. C’est également une période importante sur le plan commercial.

Source : Wilipedia