Martinique : patrimoine à l’abandon

Par Michel Herland. La mise en valeur des sites naturels de notre île – dont nous avons souligné les faiblesses dans quelques articles récents – ne serait pas seulement un atout pour attirer les touristes. Elle profiterait à tous les Martiniquais. On peut en dire autant du patrimoine architectural : hélas ! il n’est pas l’objet de davantage de soins que les sites naturels. N’est-il pas pour le moins curieux que nos édiles, qui se gargarisent de la culture créole, ne voient pas les pépites qui parsèment encore nos communes – ou s’ils les voient ne manifestent aucun souci de les préserver ? Puisqu’il existe à l’UAG un centre de recherches sur les pouvoirs locaux, on lui suggère de lancer une enquête sur le comportement des élus à cet égard. Quelles peuvent bien être les raisons qui les conduisent à laisser disparaître, faute d’un minimum de soins, des trésors architecturaux (à notre échelle – il ne s’agit évidemment pas du Taj Mahal !) ? On en donnera cinq exemples, tous différents.

Case nègre

Case nègre

Dans la commune la plus touristique de l’île, qui fait l’objet, paraît-il, d’un ambitieux plan de (ré)aménagement sous l’égide de la Région, il n’y a pas que le front de mer à considérer.  La case que nous présentons se situe à l’intérieur des terres dans un lieu pour l’instant fort peu fréquenté mais qui ne demanderait qu’à l’être (avec une rivière et le départ de deux sentiers juste à cet endroit). De face elle peut faire illusion avec ses cloisons en planche et ses panneaux tressés de ti-baumes ; elle éveille immédiatement le souvenir d’une Martinique d’antan qu’on ne doit pas regretter (on imagine facilement l’inconfort de ces cases sombres et étriquées) mais dont il importe de préserver les traces là où elles existent encore. Qui serait assez fou pour argumenter en sens contraire? Et pourtant il suffit de faire le tour de cette case encore si belle vue de face, pour voir qu’elle est sur le point de s’effondrer : plus de toit ni de mur à l’arrière. Ceux qui laissent périr un tel joyau, alors que cela coûterait si peu d’entretien, ne devraient-ils pas être poursuivis pour attentat à la mémoire martiniquaise ?

Maison abandonnée

Maison abandonnée

Autre exemple, dans une commune du Nord-Caraïbe où l’on vient de refaire le bord de mer à grand frais : une maison, en dur celle-là, agrémentée d’un enclos ombragé, située juste au bord de la plage, précisément à l’endroit où l’on aimerait boire un verre ou prendre un repas en contemplant la mer. La photo montre suffisamment que nous ne sommes pas près de nous payer ce petit plaisir. Qui sont les responsables  de cet autre forfait ? A quoi bon dépenser de l’argent dans des opérations de promotion de la Martinique si nous ne sommes pas capables de conserver ce qui devrait faire le charme de notre île ? Et pourquoi sommes-nous nous-mêmes privés de ce patrimoine ? Et pourquoi de telles questions ne sont-elles jamais posées ?

Il n’y a pas que l’architecture traditionnelle. D’autres bâtiments, de style plus hétéroclite, ont également un intérêt. Par exemple l’espèce de château qui domine le quartier Didier, juste dans l’axe de la rue qui monte depuis la rocade.  Cette villa est suffisamment originale pour qu’on ait envie de la préserver. Est-ce justement la raison pour laquelle on la laisse disparaître peu à peu ? On pourrait presque le croire tant la politique patrimoniale de la Martinique semble conduite en dépit du bon sens.

 

Fontaine thermale - Absalon

Fontaine thermale – Absalon

 Et que dire des anciens thermes d’Absalon ? On a donné récemment un coup de badigeon aux bâtiments, toujours interdits au public au demeurant. C’est mieux que rien Mais quid de la source d’eau chaude ? On verra sur la photo comment se présente aujourd’hui la « fontaine thermale ». N’est-ce pas surréaliste ? Dans le tiers-monde on ne s’étonnerait pas. Mais en Martinique, qui devrait être la vitrine de la France dans les Caraïbes et, au-delà, en Amérique ? Surréaliste ? Le mot paraît faible…

Hôtel Kalenda

Hôtel Kalenda

Last but not least : ce qui fut le fleuron de l’industrie hôtelière dans cette commune déjà évoquée, la plus touristique de l’île. Là nous ne sommes plus dans un coin de campagne perdu mais bel et bien sur la plage qui est fréquentée aussi bien par les touristes venus d’ailleurs que par de nombreux Martiniquais qui ne voient pas pourquoi ils n’auraient pas le droit, eux aussi, de profiter d’un des endroits les mieux placés de la côte. Et que leur offre-t-on ? Que nous offre-t-on ? À quelques mètres derrière le sable de la plage, la carcasse en béton de l’hôtel jadis prestigieux devenu aujourd’hui un squat minable. On n’a rien contre les squatters, dans un pays où « le droit au logement opposable » n’est en fait qu’un mot, mais quand même ! il y a des endroits où il n’est pas opportun de les laisser s’installer. Encore hélas ! Il faut croire que les vérités les plus évidentes ne le sont pas pour tout le monde…

Alors ? Combien de temps tolérerons-nous un pareil laisser-aller ? En démocratie le peuple est souverain. Les politiciens ne sont pas inamovibles. Rien n’oblige de continuer à leur confier notre destin lorsqu’ils s’avèrent par trop incompétents.