Marie Tudor, une pièce de Victor Hugo

Renard et Gilbert

Renard et Gilbert

— Par Selim Lander —

–A quoi tient la magie du théâtre ? Qu’est-ce qui peut bien nous faire croire qu’une reine d’Angleterre est présente devant nous en chair et en os, que les quelques mètres carrés du plateau peuvent devenir successivement un carrefour dans la ville, la salle du trône ou les souterrains de la Tour de Londres avec ses ignobles cachots ? Pour que cela soit possible, on voit bien qu’il faut à la fois un texte digne de susciter l’intérêt, des comédiens sûrs de leur technique et par ailleurs convenablement dirigés, des spectateurs complaisants enfin, c’est-à-dire prêts à accepter les conventions du théâtre. Les humains ont naturellement cette disposition ; il suffit d’observer des enfants aux marionnettes, de voir comment ils réagissent au quart de tour pour défendre le gentil Guignol ou pour accabler le vilain gendarme ! Il n’est donc pas nécessaire que le théâtre se rapproche de la réalité autant qu’il lui est possible, par exemple en habillant les comédiens en costumes d’époque et en les plaçant dans un décor au plus près du cadre supposé de l’action.

Le théâtre de Victor Hugo ne fait pas vraiment parti du répertoire classique. Mais Victor Hugo est un immense poète (on connaît la boutade d’André Gide : « Quel est le plus grand poète français ? Victor Hugo, hélas ! »), on est donc toujours curieux de découvrir une pièce de lui. Marie Tudor n’est pas la plus connue et sans doute cela tient-il à la faiblesse de l’intrigue, que l’on peut résumer ainsi : Jane, abandonnée au berceau, a été recueillie et élevée par un ouvrier ciseleur, Gilbert. Jane devenue une belle jeune fille, Gilbert est tombé amoureux d’elle. Mais cette dernière s’est laissée séduire de son côté par un jeune homme de la cour, Fabiani, un Italien, favori et amant de la reine. Il est haï de toute la noblesse et du peuple anglais. Renard, qui est arrivé à Londres pour préparer le mariage de la reine avec son maître, prince espagnol, comprend que Fabiani est de trop et résout donc de l’éliminer. Il tombe sur Gilbert qui, entre-temps, a été prévenu de sa mauvaise fortune par un pauvre juif et se montre donc prêt à concourir à l’élimination de Fabiani. Le juif lui a appris par ailleurs que Jane était la fille d’un Grand du royaume (premier coup de théâtre) que l’on croyait mort sans enfant, raison pour laquelle la reine avait pu mettre Fabiani en possession de ses biens. La reine, informée par Renard, décide de mettre à mort Fabiani et de replacer Jane dans son rang et dans ses biens. Elle simule une agression de la part de Gilbert, lequel accepte d’accuser Fabiani comme étant l’instigateur de ce (faux) attentat. Gilbert et Fabiani seront décapités mais Gilbert a accepté d’avance son destin, désespéré par la « trahison » de Jane et convaincu désormais que cette dernière, qui appartient désormais à la plus haute noblesse du royaume, ne pourra jamais l’aimer. Une visite de Jane à Gilbert, enfermé dans un cachot de la Tour de Londres nous apprend qu’il n’en est rien : Jane a rejeté Fabiani de son cœur, elle est désormais amoureuse de son ex-tuteur (deuxième coup de théâtre). La reine, pourtant, se découvre encore trop amoureuse de son Italien pour le laisser mourir (troisième coup de théâtre) ; elle tergiverse et lorsque le peuple manipulé par Renard exige l’exécution, elle substitue à Fabiani un Gilbert cagoulé et enveloppé dans une grande cape pour qu’on ne s’aperçoive de rien. Heureusement Renard, prévenu à temps, empêche ce noir dessein de se réaliser et Gilbert revient sur scène (quatrième coup de théâtre) pour tomber dans les bras de Jane. Quant à la reine, elle doit admettre que c’est pour son bien qu’on lui a désobéi. Ouf !

Ce drame « élisabéthain » est on ne peut plus daté, on le voit, non pas à cause de l’époque où il se situe mais parce que l’on n’imaginerait pas aujourd’hui une intrigue aussi tirée par les cheveux, sauf peut-être dans le plus mauvais théâtre de boulevard. Monter Marie Tudor était donc une gageure… dont Pascal Faber, le metteur en scène, se tire plutôt bien. Il le doit principalement à Pierre Azéma qui campe un très remarquable Gilbert. Il est entouré par d’autres comédiens de talent inégal mais on accordera un accessit à Pascal Guignard-Cordelier (le juif) et à Séverine Cojannot (la reine). Dans les trois cas, il s’agit d’acteurs « excessifs » qui poussent leur personnage jusqu’au paroxysme. D’autres spectateurs préfèrent peut-être un jeu plus retenu (ce qui ne veut pas dire plus intériorisé, car celui de P. Azéma est intériorisé). Pour notre part nous préférons les acteurs qui en font parfois peut-être un peu trop à ceux qui n’en font pas assez, question de goût.

Une dernière mention pour les accessoires. Le décor est épuré au maximum, ce qui en soi n’est pas gênant (cf. supra). Nous nous sommes interrogé néanmoins sur l’habillement des comédiens, surprenant compromis entre le costume d’époque et celui d’aujourd’hui. Fallait-il insister à ce point sur le caractère artificiel du théâtre ?

Au Théâtre de Fort-de-France, du 23 au 26 janvier 2013.