María Corina Machado, Prix Nobel de la paix 2025

La reconnaissance d’un combat, la cristallisation des tensions

Oslo, 10 octobre 2025 – L’annonce du Prix Nobel de la paix 2025, attribué à l’opposante vénézuélienne María Corina Machado, a résonné bien au-delà de la Norvège. Récompensée pour ses efforts en faveur d’une « transition juste et pacifique de la dictature à la démocratie » au Venezuela, cette figure controversée et déterminée devient ainsi un symbole mondial de résistance civique – mais aussi un point de crispation géopolitique.

Une militante devenue icône

Âgée de 56 ans, María Corina Machado n’est pas une nouvelle venue sur la scène politique vénézuélienne. Issue d’une famille d’industriels dont les entreprises ont été nationalisées sous Hugo Chávez, cette farouche anticommuniste est devenue l’un des visages les plus visibles de l’opposition au régime de Nicolás Maduro. Surnommée la « libératrice » par ses partisans – un clin d’œil à Simón Bolívar – elle a su fédérer une opposition longtemps divisée, notamment lors des primaires d’octobre 2023, où elle avait obtenu plus de 90 % des suffrages. Inéligible à la présidentielle de 2024, elle a continué le combat en soutenant le diplomate Edmundo Gonzalez Urrutia, contraint à l’exil peu après l’élection controversée de Maduro.

Dans un pays où l’espace démocratique s’est effondré, María Corina Machado a choisi de rester. Menacée, poursuivie, contrainte à la clandestinité, elle a même envoyé ses enfants vivre à l’étranger. « Nous n’y sommes pas encore, mais je suis sûre que nous l’emporterons », a-t-elle déclaré, émue, après avoir reçu l’appel du comité Nobel, en pleine nuit.

Un prix lourd de symboles

La décision du comité Nobel, annoncée ce vendredi matin à Oslo, est lourde de sens. « María Corina Machado est l’un des exemples les plus extraordinaires de courage civique en Amérique latine ces dernières années », a déclaré le président du comité, Jørgen Watne Frydnes. Il a salué « une figure-clé de l’unité » au sein de l’opposition, face à un État devenu « brutal et autoritaire ».

Ce prix s’ajoute aux nombreuses distinctions déjà reçues par l’opposante, dont le Prix Sakharov (octobre 2024) et le Prix Vaclav-Havel (septembre 2024), qui consacrent son engagement en faveur des droits humains.

Une décision qui fait grincer

Mais cette reconnaissance ne fait pas l’unanimité. Aux États-Unis, la Maison Blanche n’a pas caché son amertume. Le président Donald Trump, qui brigue une nouvelle fois la récompense, s’est vu éclipser au profit d’une figure soutenue par les droites dures à travers le monde. Pour son entourage, le comité Nobel aurait « fait passer la politique avant la paix ».

Steven Cheung, directeur de la communication de la présidence américaine, a déclaré sur X : « Le président Trump continuera à conclure des accords de paix, à mettre fin aux guerres et à sauver des vies. » Une réaction à peine voilée, alors que Trump revendique un rôle clé dans la récente trêve signée entre Israël et le Hamas – accord conclu trop tard pour influencer le choix du comité.

Trump, obsédé depuis des années par l’idée de recevoir le Nobel, affirme avoir mis fin à huit conflits depuis son retour à la Maison Blanche. Des affirmations largement contestées par les experts, qui pointent des exagérations, voire des inventions.

Entre tensions géopolitiques et aspirations démocratiques

Paradoxalement, María Corina Machado elle-même a salué Donald Trump, déclarant compter sur son soutien pour « achever la conquête de la liberté » au Venezuela. Le président américain a relayé ce message sur son propre réseau, Truth Social, sans commentaire.

Derrière cette reconnaissance internationale, c’est toute la complexité du dossier vénézuélien qui refait surface. La crise économique et humanitaire, l’effondrement démocratique, les pressions diplomatiques et militaires, les alliances stratégiques – tout converge vers un pays qui concentre désormais l’attention du monde.

Un Nobel à double tranchant

Avec 338 candidats cette année – un chiffre record – le Prix Nobel de la paix 2025 aurait pu aller à d’autres figures marquantes : les bénévoles soudanais des Cellules d’intervention d’urgence, la Russe Ioulia Navalnaïa ou encore Antonio Guterres. Le choix de Machado marque une orientation claire du comité en faveur d’un engagement politique civique face à l’autoritarisme – mais pas sans risques diplomatiques.

En 2024, la récompense avait été décernée au collectif Nihon Hidankyo, survivants des bombardements atomiques d’Hiroshima et Nagasaki, pour leur combat contre l’arme nucléaire. Le contraste est net : cette année, c’est la lutte politique, au cœur du tumulte latino-américain, qui est mise à l’honneur.

María Corina Machado, adulée par certains, critiquée par d’autres, rejoint ainsi le cercle des prix Nobel de la paix. Un prix qui, comme souvent, dit autant sur les espoirs qu’il soulève que sur les fractures qu’il révèle.