Marges et prix : les goinfreries de la grande distribution

— Par Gérard Le Puil —

hypermarketLe travail réalisé par l’Observatoire permet de voir comment s’effectue le pillage du travail des paysans et d’une bonne partie de l’industrie alimentaire par les grandes enseignes de la distribution.
Avec une marge brute de 3,39€ sur un kilo de longe de porc, Carrefour, Leclerc et des autres distributeurs tirent plus d’agent de la simple vente d’un bout de viande que les 3,13€ revenant à l’éleveur pour avoir nourri le cochon et à l’abattoir pour l’avoir tué et débité. C’est ce que révèle le dernier rapport de l’Observatoire des marges et des prix.

Le troisième rapport de « l’Observatoire de la formation des prix et des marges des produits alimentaires » a été remis le 21 avril au ministre de l’Agriculture par Philippe Chalmin, le président de l’Observatoire. Cet organisme a été mis en place par la droite au pouvoir en 2010, pour mesurer les conséquences de la Loi de modernisation économique (LME) votée par la majorité de l’époque en 2008. La LME a donné plus de moyens aux enseignes de la grande distribution pour piller les paysans et mettre une pression permanente sur les petites et moyennes entreprises de l’industrie agroalimentaire. Depuis 2010, l’Observatoire tente de mesurer ses différents effets, le but affiché étant toutefois de tendre à démontrer que le gagnant final serait le consommateur bénéficiant des effets de la concurrence entre les grandes enseignes.

L’Observatoire produit des chiffres sur la marge brute prise par chaque intervenant de la filière. Ce qui conduit à ne prendre en compte que des denrées produites et transformées en France. Du coup, ses études occultent l’influence sur les prix des importations spéculatives qui servent à mettre une pression permanente sur les paysans français à commencer par les producteurs de viandes, de lait, de fruits et légumes. Or, il faut avoir cette donnée en tête pour comprendre pourquoi les prix agricoles ont baissé en moyenne de 5% en 2014 par rapport à 2013, cette baisse étant de 6% pour les bovins de boucherie et de 8% pour les porcs charcutiers. Dans le même temps, les prix moyens des produits transformés à partir des productions agricoles issues du territoire national ont baissé de 2% tandis que les prix de ces mêmes produits auraient baissé de 0,7% en moyenne dans les sept grandes chaînes de la distribution en excluant les magasins de hard discount.

(1) Dans mon livre L’écologie peut encore sauver l’économie » qui paraîtra en librairie le 20 mai (coédition de Pascal Galodé et de l’Humanité ) je vous explique plus en détail comment le rapport Attali a servi à accentuer le pillage du travail des paysans par la grande distribution.

http://www.humanite.fr/marges-et-prix-les-goinfreries-de-la-grande-distribution-572103
En dépit de ses limites, le travail réalisé par l’Observatoire permet de voir comment s’effectue le pillage du travail des paysans et d’une bonne partie de l’industrie alimentaire par les grandes enseignes de la distribution. Ainsi, quand vous achetez de la longe de porc à 6,88€ le kilo dans votre grande surface, vous devez savoir que la part du prix de cette viande revenant à l’éleveur qui a nourri le cochon est de 2,50€. La marge brute de l’abattoir qui l’a tué et découpé n’est que de 63 centimes d’euro sur ce kilo de viande, soit à peine plus que les 58 centimes de TVA qui reviennent à l’Etat. Mais, la différence entre le prix d’achat et le prix de vente en grande surface est de 3,39€, soit près de 50% du prix de la barquette de viande payée par le consommateur. Le seul acte de vente permet aux grandes surfaces de percevoir sur un kilo de viande 26 centimes de plus que la somme totale encaissée par l’éleveur et l’abatteur !

Sur un poulet standard entier vendu 4,26€ le kilo dans sa barquette en 2014, l’éleveur perçoit 1,34€. L’abattoir qui est allé le chercher à la ferme et a payé du personnel pour l’abattre, le plumer et le conditionner, a perçu 0,92€ pour ce travail tandis que l’Etat a récolté 22 centimes de TVA. La grande surface s’et contentée de le mettre en rayon pour l’achat en libre service, ce qui lui a rapporté 1,78€ de marge brute pour chaque kilo de poulet vendu. Pratiquement sans rien faire, la grande surface a touché 44 centimes de plus par kilo de poulet vendu que l’éleveur qui a investi dans un bâtiment d’élevage coûteux, acheté des aliments composés, brûlé de l’énergie et assuré les soins quotidiens de plusieurs milliers de têtes de volailles.

En 2011, première année de travaux de l’Observatoire des marges et des prix, le kilo de poulet standard était vendu 3,87€ en moyenne dans les grandes enseignes de la distribution. L’éleveur avait perçu 1,33€ et l’abattoir 87 centimes tandis que l’Etat empochait 20 centimes de TVA. La grande surface percevait 1,47 € pour la seule mise en rayon du poulet standard. Quatre exercices plus tard, la part de l’éleveur a augmenté de 1 centime, celle de l’abattoir de 5 centimes, celle de l’Etat de 2 centimes via la TVA. Celle de la grande surface a augmenté de 34 centimes en chiffres bruts, soit 34 fois plus que celle de l’éleveur et 5 fois plus que celle de l’abattoir.
Le pouvoir donné aux distributeurs est utilisée par la grande distribution pour piller les paysans et les PME de l’agroalimentaire

Concluant la présentation des travaux de l’Observatoire dont il assure la présidence, Philippe Chalmin a usé de propos ambigus et contradictoires en soulignant l’absence d’inflation sur les prix alimentaires. « Le consommateur est incontestablement le grand gagnant. Le drame est qu’il ne s’en rend pas compte. D’autant que dans la filière agroalimentaire tous les maillons sont fragilisés», a-t-il ajouté.

Prétendre que le consommateur est gagnant dans cette affaire est contestable car l’évolution de son pouvoir d’achat se calcule en comparant l’évolution moyenne de tous les prix à celle des revenus dont certains fluctuent souvent à la baisse du fait de la précarité de l’emploi ou sont carrément bloqués comme c’est le cas pour des millions de retraités. Mais il est vrai que le pouvoir donné aux distributeurs par la LME votée en 2008 est utilisée depuis 2009 par la grande distribution pour piller les paysans et les PME de l’agroalimentaire. Cette loi avait été préparée par le « Rapport Attali pour libérer la croissance ». Il avait été remis au début de l’année 2008 à Nicolas Sarkozy qui l’avait commandé à l’ancien conseiller de François Mitterrand quelques mois plutôt. Peu de gens savent que les préconisations de rapport avaient été « pompées» de manière éhontée dans un rapport de l’OCDE consacré à la France en 2008(1) . Il faut aussi se souvenir que le rédacteur final du rapport Attali, rédigé après discussion au sein de la commission du même nom, était Emmanuel Macron, l’actuel ministre de l’Economie. Lequel a entrepris de faire une nouvelle loi pour mettre en musique certaines idées inspirées du libéralisme débridé que Nicolas Sarkozy n’avait pas osé reprendre dans les propositions du rapport Attali.

(1) Dans mon livre L’écologie peut encore sauver l’économie » qui paraîtra en librairie le 20 mai (coédition de Pascal Galodé et de l’Humanité ) je vous explique plus en détail comment le rapport Attali a servi à accentuer le pillage du travail des paysans par la grande distribution.

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