Manuel Mendive à la Fondation Clément

— Par Selim Lander —

La Fondation Clément offre aux Martiniquais le plaisir d’une belle redécouverte avec cette grande exposition rétrospective consacrée à un plasticien cubain, né en 1944, auteur d’une œuvre considérable couronnée de nombreuses récompenses et que les Cubains comparent par son importance à un Wifredo Lam. Plaisir de contempler des formes inédites dans le paysage de l’art caribéen contemporain. Certes, on avait déjà beaucoup vu de figures anthropo- ou anthropozoo-morphes mais celles-ci sont différentes, des êtres composites, difformes qui ne nuisent pas à l’équilibre, à l’harmonie du tableau ou de la sculpture.

Mendive a expérimenté de nombreux supports, carton, tissu, bois, métal pour ses peintures. Quant à ses sculptures elles ont souvent une structure souple en chiffon, pour d’autres une sculpture en ciment recouverte de toile, d’autres enfin sont en bronze.

Au premier abord, on peut se demander quelle est la signification cachée de ces œuvres étranges. Des titres qui évoquent les divinités de la santeria nous mettent sur le chemin. Dayneris Brito qui signe le texte de présentation dans le catalogue précise que Mendive est porteur d’« une éthique de résistance fondée sur la spiritualité, un programme poéticio-politique qui ne nie pas la dévastation du présent mais la confronte par une autre logique […], d’« une esthétique vitaliste et guérisseuse ». De fait, ces œuvres éminemment bizarres font du bien sans qu’on ait besoin d’être – comme l’artiste lui-même – initié au culte yoruba.

La signification de certaines œuvres est contenue dans leur titre, par exemple El hijo de Yemaya conversa con las aves (non reproduit ici) qui s’inscrit dans une série baptisée Hijos de Yemaya. Dans ce tableau Yemanja, divinité de la mer et du savoir caché s’exprime par l’intermédiaire des oiseaux. Son fils – nous, l’humanité – se laisse pénétrer par le message.

Le mystère de la trinité

Cabezas magicas – 2007

On remarque des motifs récurrents chez l’artiste comme les baisers que se donnent d’improbables créatures. La facture, parfois, se fait naïve (comme dans El Malecon). On note en particulier une fascination pour le chiffre 3 aussi, avec d’innombrables figures pourvues de trois têtes ou trois pattes (comme sur le tableau intitulé Conversando, daté de 2005, reproduit en tête de l’article) ou trois seins, voire de trois pénis. On sait l’importance de la trinité dans la civilisation occidentale au moins depuis la division de la divinité en trois personnes, trois hypostases. Pierre Leroux, l’auteur socialiste ami de George Sand, voyait dans le chiffre 3 la clé de sa philosophie. Il analysait tous les phénomènes humains dans les termes d’une triade sensation-sentiment-connaissance. Par exemple dans la devise de la République française, la liberté renvoie selon lui à la sensation, la fraternité au sentiment et l’égalité à la connaissance. Qu’on pense également au triangle maçonnique, symbole d’équilibre entre les forces qui dominent l’univers – la création, la préservation et la destruction – ou à la Grèce antique qui tenait le triangle équilatéral comme divin. Il serait intéressant de savoir quel sens accorder à cette récurrence de la triplicité chez Mendive, si elle se retrouve dans le panthéon yoruba.

El Malecon – 1975 (détail)

El hombre malo – 1982

La vie devrait être belle – Manuel Mendive, exposition à la Fondation Clément, Martinique, 4 juillet-24 août 2025.