« M comme Médée », adaptation & m.e.s. d’Astrid Bayiha

Samedi 4 février 19h30 – Tropîques-Atrium

Dramaturgie, adaptation et mise en scène : Astrid Bayiha
Création lumières et régie générale : Jean-Pierre Népost 
Scénographie : Camille Vallat 
Costumes : Emmanuelle Thomas 
Composition musicale : Swala Emati 

Avec Fernanda Barth, Jann Beaudry, Valentin de Carbonnières, Swala Emati, Daniély Francisque, Nelson-Rafaell Madel, Josué Ndofusu 

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— Présentation par Astrid Bayiha —

Je dis toujours qu’un mythe est en chacun de nous, une sorte d’ADN d’images ancestrales.

Euripide s’est emparé du mythe de Médée comme tant et tant d’autres auteurs, autrices, ou artistes après lui. J’ai le désir de m’en emparer aussi. De me rapprocher de Médée à ma façon. En tentant de raconter cette femme dans toute sa multiplicité et sa complexité. Celle qui existe au-delà mais aussi au coeur de la meurtrière et de la mère infanticide. Médée est immonde, c’est-à-dire en marge du monde. Elle choque considérablement la raison et la morale. Elle serait monstrueuse. Mais au regard de qui et de quelles lois exactement ? Qui de mieux que cette figure féminine, féministe et mythologique pour interroger ce que sont la monstruosité et la marginalité, alors même qu’aujourd’hui la femme est toujours celle qu’on met le plus face à la raison et à la morale ? Surtout quand elle sort de la norme. Des normes. Je souhaite questionner l’altérité, en questionnant la supposée monstruosité de Médée. Questionner ce qu’est une femme, ou plus largement ce qu’est un être humain, en travaillant sur le caractère multiple du mythe de Médée, l’abondance de ses résonances et interprétations.

La question de la pluralité dans l’interprétation et l’adaptation du mythe est donc le point d’ancrage de mon travail. J’ai commencé par récolter une vingtaine de textes s’en inspirant – de l’Antiquité à nos jours, d’auteurs et autrices de France et d’ailleurs – puis mon choix s’est arrêté sur neuf d’entre eux. Neuf pièces de théâtre racontant Médée, et abordant toujours la question de l’exil, la question de la figure féminine hors-norme ou hors de la norme, et celle d’une histoire d’amour extraordinaire.

J’ai fait un montage de différents extraits tirés de ces dix pièces, pour tenter de raconter ce mythe à nouveau. En lui donnant une forme encore plus universelle et intemporelle, et tentant d’en recueillir l’essentiel. D’Euripide à Heiner Müller, en passant par Jean-René Lemoine ou encore Sara Strisdberg, tout en suivant la chronologie du mythe, je tente de raconter Médée et Jason, à travers différents imaginaires que je mêle à mon imaginaire. Toutes ces histoires en deviennent une. Et cette histoire ne cesse de raconter Médée et Jason.

Dans mon adaptation, qui se concentre principalement sur leur relation et sur leur(s) traversée(s), je souhaite faire entendre que tout le monde peut-être une Médée ou un Jason, que tout le monde peut-être un.e exilé.e, que tout le monde peut trahir l’être aimé, et que tout le monde peut être une femme anéantie et bafouée avant de devenir une femme monstrueuse ou une mère infanticide.

Au plateau, sept artistes de la Martinique, d’Afrique, du Moyen-Orient, du Brésil et de France, dont une chanteuse-compositrice. Un choeur d’hommes et de femmes, de Médées et de Jasons.


Scolaire le 2 et le 3 février à 9h30

Production : La Compagnie HÜRICÁNE
Coproduction : Tropiques Atrium Scène nationale de la Martinique
Soutiens : FEAC, l’Institut Français Dans le cadre du dispositif « Des Mots à la Scène », la DRAC Île-de- France 

Pièces desquelles des extraits ont été tirés pour l’adaptation :
MÉDÉE, POÈME ENRAGÉ de Jean-René Lemoine

Jean-René Lemoine porte à l’incandescence un texte dont il est l’auteur, avec une infinie douceur pour dire l’extrême horreur.
Dans l’indécision des sexes, cette réécriture du mythe s’articule en 3 mouvements. Le premier est celui de la passion sans borne, sans frontière, sans morale. C’est la conscience absolue du destin amoureux qui habite le personnage de Médée, mais aussi le désir fou d’échapper au carcan asphyxiant de la structure familiale. Le deuxième mouvement raconte le désenchantement et l’errance. Le couple Jason/Médée ne trouve de refuge dans aucun pays, sur aucune terre. Le troisième mouvement est celui du retour au pays natal. Médée découvre qu’elle est maintenant l’étrangère dans son propre pays. Elle retrouve son père mourant, accompagne son agonie, attend un signe, un geste d’amour et de réconciliation qui ne viendra pas.
Pour Jean-René Lemoine, dans cet « autoportrait en Médée », il s’agit de faire vivre et d’entrelacer les cultures, le passé et présent, pour créer un chant, une mythologie contemporaine avec ses pulsations et son lyrisme.


MANHATTAN MEDEA de Dea Loher ( traduction de Laurent Muhleisen et Olivier Balagna )

Dans Manhattan Medea, Médée et Jason, deux immigrés clandestins, vivent dans l’underground new-yorkais. Jason a quitté Médée pour la fille d’un riche fabricant. La veille des noces, Médée l’attend devant la maison de la mariée, une Médée bien décidée à la ramener à elle, à recoudre une nouvelle fois leur union, coûte que coûte.
La scène est à New York, et les héros, Jason et Médée, sont des immigrés. Comme dans l’antique histoire, leur amour est né d’un crime laissé derrière eux : ensemble ils ont tué. Mais pas question de se retourner : pour des clandestins, il n’est d’autre loi que survivre. “Entre nous ce serait toujours la mort”, dit Jason qui abandonne Médée pour échapper au feu qui le dévore et se refaire une nouvelle identité. L’œuvre tragique, condensée en dix épisodes brefs, raconte que l’amour aurait une mémoire rouge sang. L’éclairage cru donné à l’histoire, la façon dont la pièce s’attache au statut même du réfugié, rendent plus âpre encore la trajectoire de Médée jusqu’à l’infanticide. Lire aussi=> Le drame brûle-til?

 

MEDEALAND de Sara Stridsberg ( traduction de Marianne Ségol-Samoy )

En faisant de Médée un cas psychiatrique, Sara Stridsberg se révèle dans l’art du glissement du général au particulier, du mythe au cas clinique. « Une des raisons d’être de ma littérature est de faire naître le paradoxe. La littérature embrasse le monde entier et peut être un asile pour les indésirables et tous les marginaux du monde. » Ainsi sa pièce est une matière vivante et crispante, qui brûle la langue et le cerveau. « L’amour c’est le gaz carbonique du sang. L’amour c’est une punition. Dans le futur, personne n’aimera. L’amour sera supprimé. Une barbarie révolue, incompréhensible et antidémocratique. Tout le monde rira de nous, pauvres fous aimants. » Lire aussi=> La présentation de Véronique Hotte

MÉDÉE d’Euripide ( traduction de Florence Dupont )

Médée est une femme abandonnée, trompée et trahie. C’est une femme qui refuse de se laisser faire. Elle est peinte comme violente, pleine de haine : « son esprit est brutal ». Lorsque Médée paraît sur scène, elle est décomposée, triste, mais surtout outragée. Elle promet de se venger.
Euripide en profite pour dénoncer la situation des femmes à Corinthe, à travers le personnage de Médée. Elle explique ainsi que la condition de la femme est la même que la condition de l’étranger. Ils sont soumis. L’épouse doit se soumettre à son mari. Lire=> Emmanuèle Blanc


MÉDÉE d’Anouilh

L’adaptation du mythe antique
Le texte de Jean Anouilh reprend les éléments du mythe de Médée. L’action est concentrée autour de quelques personnages : Médée, Jason, Créon et la Nourrice de Médée. Le texte s’achève sur la mort de Médée, qui périt dans les flammes, sous les yeux de Jason, empêchant toute intervention.
Dans cette pièce, le mythe est modernisé. Ainsi, par exemple, Médée vit dans une roulotte. De même, Anouilh analyse de façon plus approfondie la question des rapports hommes-femmes.

MÉDÉE de Sénèque ( traduction de Florence Dupont )

Médée, radicalement différente de celle d’Euripide : on entendait au début de la pièce d’Euripide des gémissements pitoyables. Ici, il ne suffit que de lire les premiers vers de la pièce pour le constater (vers 1-25) (et commenter le Jam parta ultio est / peperi) : d’emblée c’est une force du mal qui demande à toutes les divinités de la nuit comme au Soleil, son grand-père, de porter la mort à Créüse, et même elle veut comme un nouveau Phaéton, incendier entièrement la ville de Corinthe (cf. Néron) c’est d’ailleurs ce qui se passe) à la fin de la pièce. Et si elle tue ses enfants, c’est moins pour effacer ce qui lui rappelle Jason, que parce qu’elle a compris que c’était par où l’atteindre au plus vif : car Jason est un père pour qui la vie de ses enfants est la chose primordiale. Enfin, elle est d’une cruauté raffinée : elle fait durer le supplice du pauvre Jason : d’abord elle tue un enfant, puis elle laisse Jason l’implorer pour qu’elle ne tue pas l’autre, et après qu’il l’a bien suppliée, elle égorge le second !


MÉDÉE-MATÉRIAU de Heiner Müller ( traduction de  J. Jourdheuil, H. Schwarzinger, F. Peyret, J.-L. Besson, J.-L. Backès )

Medea Material, une introspection dans la psyché et les pulsions d’une femme jugée folle pour le meurtre de ses enfants. Dans ce travail, nous transformons les images du texte en mouvement et à travers le travail visuel d’un autre artiste, qui exécute l’illustration en direct sur la scène et dont les projections interagissent avec la danse des interprètes.

Formé de trois textes (Rivage à l’abandonMatériau-Médée et Paysage avec Argonautes), Médée-Matériau constitue un triptyque politique, érotique et métaphysique portant sur le joyeux nihilisme de nos sociétés actuelles – vaste rivage à l’abandon jonché des débris de l’Histoire – et sur le combat auxquels continuent de se livrer capitalisme et marxisme, néolibéralisme et communisme, Occident et Orient, hommes et femmes dans un paysage mondial de plus en plus dévasté. «À la nécrophilie actuelle qui se manifeste dans l’acier, le verre ou le béton (et qui ne s’arrête pas du reste à la porte des théâtres), faut-il opposer quelque chose comme «la parole vivante»?», demandait un autre écrivain d’Allemagne de l’Est, Christa Wolf, dans son Cassandre«Le théâtre, répond Heiner Müller, établi dans la déchirure entre le temps du sujet et le temps de l’histoire, est l’une des dernières demeures de l’utopie.»