« Lulu, femme nue » de Sólveig Anspach

L'art de la fugue dans les chemins de traverses. A Madiana.

— Par Roland Sabra —

 lulu_femme_nueLulu, donc, rate son entretien d’embauche pour un poste de secrétaire auquel elle ne semble pas trop croire. Néanmoins un peu dépitée, sur le quai de la gare de Saint-Gille -Croix de Vie, elle laisse partir le train qui devait la ramener au bercail où l’attendent, mari et enfants. Une ouverture comme un clin d’œil à celle de l’inoubliable Family life de Ken Loach ? Elle décide d’une échappée dans la « vraie vie ». C’est quoi la « vraie vie » ? Tout simplement sortir de l’aliénation du quotidien, cet enfer dans le quel les tâches répétitives, ménages, marmots, dodo, n’ont d’autres fins qu’elles-mêmes. Rien n’était décidé, rien n’était prémédité, mais voilà, un mot à la con du mari au téléphone «  « Tu t’es encore ridiculisée ! T’as encore voulu faire ton intéressante ! » provoque une bascule. Ras le bol de l’enferment conjugal. Lulu prend une petite chambre d’hôtel, pas chère, sans salle de bains. Elle y laisse son alliance, se ballade sur la plage, y rencontre, Charles un type un peu bizarre qui faisait le mort sur la plage. Un type qui s’intéresse à elle, qui l’invite à dîner dans le camping qu’il surveille. Il est flanqué de deux frères (Pascal Demolon et Philippe Rebbot) Ces trois là pourraient être une réincarnation de Croquignol, Ribouldingue et Filochard, des Pieds Nickelés des temps modernes. Ils déraisonnent, il déconstruisent la logique servile, s’épanouissent dans des propos surréalistes. Ça la change la Lulu, ça la change de son mari garagiste, des horaires pré-formatés de la sortie des classes et du retour du boulot.

 

Sólveig Anspach en adaptant la bande dessinée éponyme d’Etienne Davoeau donne une nouvelle occasion à une actrice avec laquelle elle déjà travaillée ( Hauts les cœurs) de montrer l’étendue de ses talents. Karin Viard est cette femme fragile effacée, peu sûre d’elle, écrasée par la platitude, en voie de reconstruction. Elle est cette femme, qui empruntant un chemin de traverse, au cours d’une série de rencontres va se (re)trouver, va advenir à elle-même. La comédienne fait preuve d’une grande sensibilité qu’elle restitue avec grâce en jouant admirablement de son visage très expressif. Un léger sourire, a à peine esquissé, la fait passer de la sombre tristesse à la joie lumineuse. Dans son voyage, plus intérieur que réel, elle croisera Charles ( Bouli Lanners), , son Ribouldingue, un décalé tout en rondeurs, bourré de tendresse, d’élans retenus par une pudeur séductrice et poétique. Elle croisera aussi Marthe ( Claude Gensac, une complice de Louis de Funès) une vieille dame indigne, débordante d’énergie et d’humanité, une jeune serveuse de bar bousculée, humiliée par sa terrifiante patronne ( Corinne Masiero).

 

Le film navigue avec grâce entre burlesque et tendresse. Un travail remarquable sur les lumières et les couleurs, décors et costumes compris contribue à la création d’une atmosphère d’une grande douceur et quelques fois féerique. Les ciels chargés se mêlent avec bonheur aux tons gris et ocres d’une station balnéaire en saison morte.

 

Une belle, douce et tendre invitation à sortir des chemins battus, à ne plus subir, en un mot à vivre.

Fort-de-France, lundi 17 mars 2014

Roland Sabra

Lulu, femme nue

De Sólveig Anspach
Avec Karin Viard, Bouli Lanners, Claude Gensac, Solène Rigot, Corinne Masiero, Pascal Demolon, Marie Payen, Nina Meurisse et Philippe Rebbot
Genre : Comédie – Nationalité : Français
Durée : 1h30min – Année de production : 2013
Titre original : Lulu, femme nue
Date de sortie : 22 janvier 2014