Lois sur la famille : sous les parvis, la rage

Par CATHERINE MALLAVAL

 Pilule, avortement, pacs… A chaque texte sociétal, l’Eglise appelle ses ouailles à manifester.

Poster-Tabou

Année 1967. Alors que certains osent crier au «fossoyeur de l’humanité» ou à l’«assassin d’enfants», l’Église aussi se déchaîne contre «Lulu la pilule». En l’occurrence, Lucien Neuwirth, député gaulliste et père bienfaiteur de la loi autorisant la contraception. C’est peu dire qu’en ce temps-là, la hiérarchie catholique, résolument hostile à toute distinction entre acte sexuel et procréation, batailla ferme. Réussissant même par son intense lobbying à faire retarder de deux années la publication des premiers décrets d’application du texte.

1975, rebelote. On la retrouve qui brandit son crucifix contre la loi sur l’avortement portée par Simone Veil, avant d’enchaîner contre le divorce par consentement mutuel. Une vingtaine d’années plus tard, l’Eglise se remobilise de toutes ses forces contre le pacs – néanmoins adopté en 1999.

Et la revoilà aujourd’hui qui envoie ses ouailles dans la rue contre le mariage pour tous, tandis que résonnent encore les slogans de la manif de novembre («Oui à la famille, non à l’homofolie», «Non au mensonge, la vie se transmet par un homme et une femme»…). Alors que flotte encore l’odeur des boules puantes d’«inceste» et de «polygamie» lancées par le cardinal Barbarin.

«Bûcher». «C’est la même histoire, la même rengaine. Comme sous de Gaulle lors du débat sur la contraception, VGE quand il y a eu l’avortement, Jospin avec le pacs, l’Eglise est contre le projet de mariage pour tous de Hollande. On en revient toujours à un certain mythe de la famille», soupire le député PS Patrick Bloche, corédacteur du texte du pacs, qui n’a pas oublié les manifs de 1998, quand certains osaient gueuler «les pédés au bûcher».

Au fond, pas une réforme concernant la famille et la procréation n’a échappé aux foudres de la hiérarchie catholique. Au grand dam de certains chrétiens d’ailleurs. «Logique, analyse Christian Terras, catholique progressiste qui dirige les éditions Golias. La famille reste le lieu potentiel de vocations. Plus les familles font des enfants, plus il y a une chance que certains entrent dans les ordres. Et puis, la famille est un des rares lieux où l’Eglise a encore de l’influence sur les consciences. Aujourd’hui, l ’Eglise est essoufflée : la majorité de ses fidèles ont des cheveux blancs. Elle perd, si j’ose dire, des parts de marché face à l’islam et les évangéliques. Le mariage homo est une opportunité de mobiliser, de partir à nouveau en croisade avec des positions traditionalistes contre le « relativisme » de la société. Comme elle le fait depuis quarante ans, au risque de creuser davantage le fossé avec la société et ses fidèles…»

La faute à qui ? «Paul VI», assure Terras. Ce que confirme l’historienne Martine Sevegrand (1). «Certes, bien avant lui, en 1880, il y avait déjà eu une encyclique de Léon XIII condamnant le divorce puis, en 1930, une autre de Pie XI contre toute forme de limitation des naissances. Mais, alors que dans les années 60 les moralistes préparaient le terrain à davantage d’ouverture, Paul VI a tout verrouillé.» Sous son papal règne sont publiés deux textes auxquels Rome et ses disciples se réfèrent toujours : Humanae vitae en 1968 (une lettre encyclique) sur le mariage et la régulation des naissances (une affaire «intrinsèquement déshonnête»), et Persona humana en 1975 (publié par la Congrégation pour la doctrine de la foi), qui condamne dans le même paquet homosexualité, masturbation et relations préconjugales…

«Schisme». «Humanae vitae a créé un séisme au sein de l’Eglise, un schisme dont elle ne s’est toujours pas remise. Des fidèles lui ont tourné le dos», raconte Terras. Martine Sevegrand reprend : «Jean Paul II a été le dernier évêque que Paul VI a consulté avant son Humanae vitae. Il a poursuivi le combat quand il est à son tour devenu pape.» Lui aussi s’est engagé contre l’avortement, la contraception… Au fond, l’Eglise a rarement autant parlé de sexe que sous son pontificat. «Benoît XVI est plus discret sur ces sujets», mais aussi farouchement opposé au mariage pour tous accusé, grand dieu, de détruire la famille.

(1) Auteure de «l’Affaire « Humanae vitae » : l’Eglise catholique et la contraception», éd. Karthala. 2008, 164 pp., 15 €.

Libé +11 janvier 2013