L’impact du coronavirus sur la santé mentale fait craindre une deuxième vague psychiatrique

Des médecins voient affluer des patients tristes, épuisés ou anxieux. Certains consultent pour la première fois.

— Par Juliette Demey —

C’est une conséquence encore mal évaluée de l’épidémie de coronavirus : son impact sur la santé mentale. Ces jours-ci, la psychiatre Marion Leboyer, du CHU Henri-Mondor à Créteil (Val-de-Marne), ne voit « que ça » : « Des gens épuisés, tristes, qui ont des idées suicidaires. » A la tête de la fondation FondaMental, qui réclame dans un manifeste une réponse urgente et des moyens pour sa discipline, la professeure s’alarme : « Des patients qui n’avaient pas de pathologie tombent malades. On voit apparaître des dépressions ou des troubles anxieux sévères… Il faut leur donner des clés. »

L’après-Covid sera psychiatrique.

Ce sont des soignants à bout ; des personnes isolées ; d’autres ayant affronté un deuil brutal. Si les maux sont de nature et de gravité variables – angoisse, insomnie, stress post-traumatique, burn-out, dépression, pensées suicidaires… –, pour la professeure Leboyer, c’est une certitude : « L’après-Covid sera psychiatrique. » D’autant qu’à l’instar d’autres pathologies inflammatoires « le Covid-19 peut être un facteur déclencheur de l’anxiété et de la dépression, qui sont des maladies comme les autres », dit-elle. En Italie, les médecins ont constaté 30% de nouveaux cas de dépression chez les patients qui ont eu le Covid.

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Pendant la crise, entre peur de consulter et difficulté de prise en charge, nombre de personnes en souffrance ont pu rester dans l’ombre. A ce stade, les chiffres de l’Assurance maladie traduisent plutôt une baisse des consultations en mai par rapport à l’an dernier, relève Maurice Bensoussan, psychiatre à Colomiers (Haute-Garonne) et président de l’union régionale des professionnels de santé d’Occitanie. « Mais les volumes de consultations sont très variables et le recul manque, nuance-t‑il. On est encore dans une phase intermédiaire : les gens restent sidérés, en retrait. Et il y a toujours un risque de retard de demande d’aide. »

Burn-out parental

Des initiatives ont tenté d’y remédier. La plateforme CovidEcoute, mise en place de mi-avril à mi-mai par la fondation FondaMental, a permis d’assurer près de 1.500  téléconsultations gratuites avec 220 professionnels bénévoles. Dans 70% des cas, les appelants étaient des femmes ; il s’agissait d’une première consultation psy dans deux tiers des cas.

La charge pour les parents a été importante

 Une étude des universités de Nîmes et d’Aix-Marseille, dirigée par Pierluigi Graziani, éclaire aussi l’impact psychologique de l’épidémie. Parmi les 3.763 personnes interrogées, 15,1% déclarent un niveau d’anxiété pathologique et 26,5 % un niveau de dépression pathologique. Des chiffres supérieurs aux prévalences habituelles, témoignant d’une situation inédite, entre confinement, peur de la maladie, cocktail maison-école-télétravail. « La charge pour les parents a été importante, complète Natalène Séjourné, enseignante-chercheuse en psychologie à l’université de Toulouse 2, spécialiste du burn-out parental. Gérer tout quand soi-même on est en proie à l’anxiété, sans frontière entre vie familiale et vie professionnelle… A un moment, certains n’en peuvent plus. »

« Tsunami » de décompensations

Dans son cabinet toulousain, la psychologue clinicienne Stacey Callahan a vu la demande de consultations doubler en avril et en mai. Des symptômes bien pris en charge. Mais la professeure de psycho­pathologie s’inquiète : « On est au bord de problématiques traumatiques qui peuvent s’afficher tardivement. Toute une population en France n’a pas accès aux soins de santé mentale et n’a peut-être pas encore fait signe. Que va-t‑il se passer dans deux mois, dans un an? »

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A l’extrémité du spectre, la Seine-Saint-Denis, le département le plus touché par l’épidémie, cumulant difficultés sociales et pénurie de médecins. Début avril, les équipes de psychiatrie de l’hôpital de Ville-Evrard, à Neuilly-sur-Marne, ont vu affluer des patients inconnus. Jeunes (20 à 35 ans), sujets à des décompensations, des bouffées délirantes, des troubles maniaques. Surpris par ce flot qui s’est tari ­depuis, les psychiatres y consacrent une étude bientôt bouclée. « On cherche à déterminer s’il s’agit d’une vraie vague ou d’un effet loupe dû au ­regroupement de ces patients dans des zones “tampons”, explique Dominique Januel, qui pilote ces recherches. Mais aussi à savoir s’ils auraient décompensé sans ce contexte, et comment ils ont évolué. »

Il faut vite en tirer les conclusions. Que fera-t‑on s’il y a une deuxième vague à l’automne?

Dans son unité, Fayçal Mouaffak, chef de pôle de psychiatrie adulte à Ville-Evrard et responsable des urgences psychiatriques de l’hôpital Delafontaine à Saint-Denis, indique que le nombre de ces « premiers épisodes » a triplé par rapport à la même période l’an dernier. Après un mois de mai calme, le service est saturé depuis mi-juin. Des patients connus, qui décompensent à nouveau, ­reviennent ; d’autres, inconnus et plus isolés, arrivent avec les pompiers, la police, le Samu. « On reçoit en moyenne 12 patients par jour, contre 7 en temps normal, témoigne Fayçal Mouaffak. Ils demandent du temps à des équipes faméliques, et on n’a pas de lits d’hospitalisation. On les garde dans des box aux urgences. » Si ses collègues parisiens ne déplorent pas un tel afflux, le Dr Mouaffak s’inquiète de ne pas voir ce « tsunami » refluer. « Il faut vite en tirer les conclusions. Que fera-t‑on s’il y a une deuxième vague à l’automne? »

 

Source : LeJDD.fr

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