L’Îlet aux sorcières, des contes pour petits et grands

– par Janine Bailly –

luneQu’elle fut belle, cette dernière après-midi de vacances, quand avant de reprendre, un peu nostalgique, le chemin de l’école, on a pu rêver encore et voguer dans l’imaginaire sous la houlette de Jean l’Océan ! Comme un sursis accordé, comme un dernier voyage immobile au pays des arbres et des sorcières, qui hantent les nuits noires et les forêts profondes.

C’est à la mairie de Sainte-Luce qu’en ce mercredi nous étions conviés au spectacle de la Compagnie Car’Avan, dans le cadre des animations rendues possibles par les subventions de la Direction des Affaires Culturelles (représentée ce jour par Madame Anny Désiré). Les plus petits, assis par terre au devant de la salle, les plus grands sagement disposés sur les chaises, ont fait un public attentif aux contes originaux fleurant bon l’enfance, dans ses joies, ses bonheurs et ses peines, dans ses peurs ancestrales aussi. Et si quelques bambins, trop jeunes peut-être pour une écoute tranquille, ont quelque peu déstabilisé le début de la représentation, la douce autorité, le savoir-dire et le charisme du conteur ont su faire jouer la magie de l’instant.

Deux histoires nous furent dites, et dansées et chantées et mimées, car c’est ainsi, avec tout ce que le corps permet, que Jean l’Océan nous fait entrer dans son monde. Et si en préambule il évoque ce temps d’autrefois, où sous les arbres on venait écouter les contes traditionnels, dans l’espace il dessine de ses bras l’oranger, son tronc ses branches et ses feuillages, et voilà que sous nos yeux l’oranger se déploie, l’oranger prend corps et prend vie.

Puis Ti-Kolo apparaît, sous forme de poupée de bois, – mais était-ce même nécessaire de le figurer ainsi puisque Jean l’Océan incarne avec tant de facilité ses différents personnages ? Et ce Ti-Kolo, qui est souffre-douleur de son oncle, qui se voit surchargé de corvées tandis que ses deux cousins sont choyés, qui doit dans la nuit cruelle aller chercher loin un grand sac de pommes de terre, n’est pas sans évoquer et la Cosette des Misérables et la Cendrillon que persécutent une marâtre et ses deux péronnelles de filles. Si les choses et les mots, alternant français et créole, sont indéniablement des Antilles, force est de constater que le conte garde toujours ses valeurs universelles, en quelque pays qu’il prenne naissance.

JeanLOceanTi-Kolo cède ensuite sa place à l’Enfant-Têtu dont Jean l’Océan caresse la ronde tête de calebasse. Têtu, l’enfant ira, malgré l’interdiction maternelle, chercher dans la forêt la flûte perdue, et sur son chemin de retour subira les épreuves que tout héros de conte se doit d’affronter. Charmant de sa musique le méchant cheval, puis l’écumant dragon, il ne pourra vaincre la sorcière au nez crochu, et sera changé en oiseau, en triste tourterelle dont le beau chant nostalgique, chaque matin, intriguera sa mère à son réveil. Cette seconde histoire répond mieux encore au schéma narratif traditionnel défini par la linguistique structurale, qui veut voir le héros braver l’interdit, être puni de sa transgression, triompher des obstacles dressés sur sa route ou être enfin vaincu, mais toujours de quelque façon être à la fin de l’histoire métamorphosé.

Des mots qui dansent et dont nous, spectateurs timidement actifs, devons deviner et dire les dernières syllabes laissées en suspens, des gestes souples et amples qui se déroulent et campent des paysages, des yeux noirs qui roulent ou s’écarquillent, des litanies que le conteur fait répéter à son public conquis : tout cela est réjouissant à souhait. Mais il y a par-dessus tout les silhouettes si bien esquissées, la femme qui va lessiver le linge à la rivière, la sorcière et ses attributs, le dragon qui danse, ou l’enfant pataud… Il y a enfin la voix, accordée à chaque figure, et dont Jean l’Océan utilise toutes les modulations, de la douceur à la violence, du murmure au cri, de la parole au chant.

Nul n’a boudé son plaisir, et les « grands » ne furent pas les derniers à participer et applaudir, qui retrouvèrent pour un instant, et par la grâce du conte, leur âme d’enfant !

Janine Bailly

Fort-de-France, le 31 août 2016