L’histoire à coté de l’histoire continue de s’écrire

— Par Yves Léopold Monthieux —

L’absence d’historiens martiniquais dans le débat sur le pavillon des 4 serpents n’est pas anodine. Ils refusent généralement d’entrer dans ce genre de débats épidermiques où tout est dit au premier degré, écrit d’avance par les idéologues et que la moindre tentative d’apporter un codicille de rectification les fait vouer aux gémonies. Sachant que leur parole est de peu de valeur par rapport à celle des idéologues et que le dernier ignare peut les contredire, ils préfèrent se taire.
Même lorsqu’il s’agit d’historiens référents, leur notoriété ne les autorise pas davantage à sortir des clous idéologiques. Si leur honnêteté les conduit néanmoins à faire un pas dans ce sens, il leur faut aussitôt trouver la formule qui relativise leur audace pour ne pas, comme ils disent, « se faire assassiner ». La plupart des autres n’ont pas ce petit courage et ne sont pas (socialement ou au plan corporatiste) autorisés à l’exprimer. Cependant il n’y a pas que des historiens peu courageux ou paresseux en Martinique ; on ne doit pas non plus leur demander d’être des héros. Ils ont besoin de vivre comme tout le monde ; eux, dans un microcosme qui est finalement macro dans un petit pays où l’on se connaît tous. De là, pour l’un d’eux, à déclarer sur les ondes que les ananas figurant sur une l’affiche de prévention contre le COVID représentent des « petits esclaves », il y a une audace qui ne fait pas honneur à la corporation.
Ainsi donc, la nature ayant horreur du vide, des néophytes font l’effort de remplacer les historiens, parfois à bon escient, parfois non. Celui qui est à l’origine de la décision présidentielle a représenté avec succès un courant. Reste aux historiens de se prononcer après coup sur le bien-fondé de l’initiative.
Cette histoire de drapeau rappelle aussi celles de la décapitation et du déboulonnage des statues. Les faits sont là, on s’emploie à les justifier ensuite. Le drapeau a été supprimé, c’est l’histoire, on ne reviendra pas dessus. Quant à dire que les motifs de son retrait, eux, sont historiquement fondées du seul fait de ce retrait, c’est accorder peu d’importance à l’Histoire et à ses exigences, et se donner bonne conscience à bon marché. Par ailleurs, la dérobade qui consiste à supprimer l’objet litigieux pour ne pas avoir à s’en expliquer n’est pas le signe d’un désir de vérité ou la preuve du courage historique.
Le pavillon pouvait ne pas plaire pour l’image associée à des serpents vénéneux. Pouvait s’ensuivre tout un imaginaire primaire qui a pu être le mien pendant longtemps. D’où l’ignorance de l’autre image que véhicule le trigonocéphale, qui est un animal endémique à la Martinique et protégé à ce titre, ainsi que (à ce que j’ai pu lire) d’autres valeurs qu’inspirerait cet animal. Qu’on sache inexacts les motifs retenus après coup et qu’on les fasse néanmoins transmettre aux générations futures, sous prétexte de leur conformité à nos sentiments du moment, c’est ce que j’appelle, me référant à d’autres interprétations sommaires de l’histoire martiniquaise, « ECRIRE UNE HISTOIRE A CÔTE DE L’HISTOIRE ».
Ne soyons pas hypocrites. Quel pavillon portait les bateaux négriers qui transportaient les futurs esclaves en Guadeloupe ? Etait-ce celle fleurdelysée du pavillon de Gwada, l’équivalent de nos « 4 serpents » ? Par ailleurs, le drapeau BBR n’a-t-il jamais figuré sur les bateaux négriers ?
Ou sera-ce l’objet de la future étape de réécriture de l’histoire ?

Fort-de-France, le 27 mars 2021
Yves-Léopold Monthieux