Leur patrimoine et le nôtre

— Par Robert Saé —
Après que la statue de l’impératrice Joséphine ait été décapitée à Fort de France, il y a plusieurs années, voilà que son buste a été attaqué au Domaine de la Pagerie. Quelques responsables politiques ont vertement dénoncé le « vandalisme » des coupables et annoncé d’implacables représailles, au nom du respect de l’histoire et de la défense du patrimoine.
Une fois de plus se pose la question du sort qui doit être réservé aux monuments glorifiant le passé colonial. S’offusquer et diaboliser ceux qui ont fait une telle action ne saurait contribuer à enrichir la réflexion. Les postures masquant ici un affrontement idéologique relatif au rôle de l’histoire dans la lutte des classes. Nous serions, d’ailleurs, curieux d’entendre la position des censeurs quant au déboulonnage des statues de personnages historiques tels que Lénine, dirigeant de la Révolution Bolchévique, Staline qui a contribué à la victoire sur les nazis, ou Saddam Hussein, dont l’agression occidentale a provoqué la chute. Les défenseurs intégristes du patrimoine historique déplorent-ils que les statues du Maréchal Pétain ne trônent pas au cœur de Paris ? Condamnent-ils le combat mené aujourd’hui en Espagne par les familles et les associations qui, en mémoire de dizaines de milliers de victimes de torture et d’assassinats, exigent la destruction des monuments et autres croix érigés à la gloire du dictateur Franco  et de ses sbires?
L’argument consistant à dire que, pour éduquer les nouvelles générations en laissant intacts le nom des rues, les statues et monuments installés par les oppresseurs en accompagnant ceux-ci de plaques explicatives dénonçant les abus est tout à fait recevable. Des questions se posent alors : Dans combien de cas cette pieuse idée a-t-elle été mise en pratique par ceux qui sont à la tête des institutions ? Quelles dispositions ont été arrêtées pour mettre fin IMMEDIATEMENT à l’injure permanente et omniprésente faite à la mémoire des peuples ? Va-t-on ajouter au drapeau à quatre serpents un bandeau signalant « fanion esclavagiste ?
On réalise bien que posture et hypocrisie masquent ici les positionnements idéologiques. Le comble est atteint quand, pour dénoncer les personnes qui ont « vandalisé » la statue de l’impératrice Joséphine, on utilise l’argument de la transformation d’un camp de concentration en musée à vocation pédagogique.
La première situation concerne un pays ou les nazis ont été battus et dans lequel les camps sont maintenus pour démontrer la barbarie des bourreaux ; la deuxième, un pays colonisé où les oppresseurs imposent partout leur histoire, leurs statues, leurs symboles et dans lequel des personnes s’attaquent à l’un de ces derniers pour manifester leur opposition. On peut ne pas approuver leur choix, mais de là à les traiter de vandales, surtout quand par le passé on s’est dit révolutionnaire, cela indique qu’une barrière a été franchie.
Libre, donc, aux assimilationnistes, aux conservateurs et aux transfuges de défendre « leur » patrimoine. Nous restons, quant à nous, fidèles à la lutte pour la valorisation de «notre» patrimoine. Les rues honorant les criminels doivent être débaptisées et laisser place au nom de nos héros et héroïnes ! Les statues glorifiant le passé colonial, qu’elles soient sur des places publiques ou transférées dans des musées, doivent être accompagnées SANS DELAI, de commentaires circonstanciés. Tant que ce ne sera pas le cas, nous refusons de hurler avec les loups.

Robert Saé